Il faut continuer à exiger des rentabilités de 15%
Participer ou gagner
Les questions récurrentes sur la nécessité et la possibilité d’obtenir des rentabilités de 15% ou plus de façon soutenable dans une activité relèvent en fait d’un débat plus profond : joue-t-on pour gagner ou simplement pour participer ? S’accommode-t-on du déclin européen ou veut-on être un acteur de la croissance mondiale ?
Dans un monde où la croissance des pays occidentaux risque d’être faible à moyen et long terme (1 à 2% par an), et donc où les rentabilités des entreprises seront réduites, la tentation est grande d’abaisser les exigences concernant les rentabilités minimales attendues d’une entreprise ou d’un investissement. Le coût du capital sera plus faible ; les chances d’obtenir des rentabilités élevées réduites ; des objectifs trop ambitieux décourageront des investissements de long terme et peuvent obérer l’avenir d’une entreprise.
La croissance mondiale va rester forte, de 5 à 6 % par an
C’est oublier que la croissance mondiale, tirée par les pays émergents, va rester forte (5 à 6% par an) et que les capitaux voyagent. Le coût du capital ne baissera pas à long terme. Les entreprises occidentales qui se contenteront de rentabilités et de croissances réduites disparaîtront simplement à long terme au profit de concurrents occidentaux ou de pays émergents plus ambitieux.
Ce n’est pas une question financière de couverture ou non du coût du capital. C’est une question stratégique.
Les leaders ont toujours des rentabilités supérieures à 15%
Dans une activité classique, avec une baisse des coûts de 10 à 20 % pour chaque doublement de taille, et à des stades de concentration normaux, les leaders peuvent théoriquement avoir des EBIT1 de 20 à 35 % du chiffre d’affaires, alors que les n° 2 ont environ 10 à 20 % et les n° 3 sont proches du point mort.
Rentabilité et part de marché
Dans nombre d’industries bien structurées (fortes barrières à l’entrée, effets d’échelle significatifs, pas de capture trop grande de la valeur par les clients ou les fournisseurs), on peut observer que le ROCE est d’ailleurs souvent proche de la part de marché : 20 % de part de marché implique 20% de ROCE ; 30 % de part de marché implique 30 % de ROCE.
On constate rarement de tels écarts dans la réalité car les leaders utilisent cet avantage pour réinvestir et concentrer l’industrie. Une partie de la surmarge potentielle est en fait absorbée par des coûts plus élevés (meilleure qualité du produit, plus grande innovation technologique, meilleur service au client, investissements publicitaires plus élevés) ou des prix plus bas, qui permettent au leader d’avoir un modèle d’activité plus compétitif, de gagner des parts de marché sur ses concurrents et de concentrer l’industrie. L’EBIT résultant pour le leader s’établit plus souvent à 10 ou 20 %, et le ROCE2 (avec une hypothèse de CA/CE3 = 2x) à 20 voire 40%.
Demander des rentabilités supérieures à 15 % ne revient pas seulement à vouloir couvrir le coût du capital, qui est d’ailleurs aujourd’hui le plus souvent très inférieur. C’est demander des rentabilités de leader ou de coleader. Il faut même demander beaucoup plus des activités sans croissance où l’entreprise a des positions de 30 à 40 % de part de marché.
Des allocations de ressources pertinentes
À l’inverse, la logique voudrait que l’on n’exige pas de telles rentabilités pour les activités où l’entreprise a de faibles parts de marché ou bien pour celles où le métier est mal structuré (peu ou pas d’effets d’échelle, pas de barrières à l’entrée, capture de la valeur par les grands clients).
Des exceptions à la règle
Certaines activités à investissement non capitalisable (dépenses publicitaires et marketing très importantes, comme dans les parfums, dépenses de R&D comme dans la pharmacie, les semi-conducteurs ou développement de logiciels comme dans les services Internet, les jeux vidéos) peuvent justifier des exigences de rentabilité moins élevées. Il faut alors retraiter les rentabilités de l’impact de ces investissements non capitalisés ou fixer des exigences adaptées de rentabilité.
Il faut pourtant le faire. Il est clair que l’on ne pourra pas les obtenir. Mais les exiger revient à mettre une pression très forte sur ces activités, à les gérer au détriment du long terme et donc à en sortir à terme, ou à forcer le management à les redéfinir, voire à les céder. Stratégiquement, c’est une saine pression. Elle conduit à des allocations de ressources pertinentes. Réduire cette exigence revient à accepter de rester dans des activités sans intérêt stratégique ou financier à long terme pour l’entreprise.
Hors logiques transitoires de lancement de produits, de démarrage d’activités, ou de gains majeurs de parts de marché, il y a peu d’exceptions. Même et surtout dans les activités en forte croissance, les leaders ont des rentabilités fortes, permettant de financer la croissance.
En cas de crise, on peut accepter des rentabilités réduites pendant un ou deux ans. Rarement plus.
Financer la croissance
En cas de crise, on peut accepter des rentabilités réduites pendant un ou deux ans
Les leaders en croissance ont toujours des TSR4 supérieurs à 15 %. Un ROCE de 15 % se traduit généralement par des ROE5 de 15 à 20% qui permettent de financer des croissances au minimum de 10% par an tout en distribuant des dividendes. Encore faut-il trouver les métiers et les stratégies qui permettent de maintenir ce rythme.
10 % n’est pas la croissance d’un acteur de pays émergent (les grands leaders chinois croissent de 25 à 35 % par an). C’est la croissance normale d’un acteur occidental dans des marchés en croissance modérée (5 à 6 % par an en valeur) et concentrant ces marchés (croissance de l’entreprise de 10% par an).
Une croissance de 10 % avec des ROE stables de 15 à 20 % par an procure généralement des TSR de 15 % par an. Une telle croissance devient hors de portée dans des marchés trop mûrs (1 à 3 % de croissance en valeur) et déjà fortement concentrés (où le leader a par exemple 40% de part de marché).
Mais c’est une croissance normale pour un acteur ayant un mix d’activités qui croît comme la moyenne de l’économie mondiale et qui concentre les marchés dans lesquels il est présent.
Exiger un TSR de 15 % revient à inciter l’entreprise à faire évoluer son mix d’activités en permanence pour éviter les marchés trop mûrs ou déjà trop concentrés, et à rechercher continuellement de la croissance, par le choix de ses métiers et géographies et par ses stratégies de leadership. Là encore, ce n’est pas simplement vouloir couvrir le coût du capital et la rentabilité moyenne des marchés des actions (bien inférieurs). C’est demander un TSR de leader en croissance.
Fleurons disparus
Les leaders qui ne croissent plus, ou trop faiblement par rapport à la moyenne de l’économie mondiale, disparaissent ou se font racheter à long terme. Même s’ils sont très rentables, leur valeur boursière ne croît plus, leurs marges de manœuvre se réduisent (il devient difficile de faire des acquisitions), et leurs actionnaires se lassent. La liste des entreprises autrefois dans le peloton de tête et aujourd’hui disparues ou rachetées est longue, qu’il s’agisse de PanAm, de l’UAP, du CCF, de DEC ou d’Euromarché.
Un objectif stratégique
Un objectif de 15 % de ROCE, ou de ROE, ou de TSR, n’est pas un simple objectif financier. C’est un choix stratégique pour le dirigeant d’un grand groupe qui veut distancer ses concurrents par des stratégies de leadership dans chaque métier, et par le choix de métiers et de géographies plus attractifs.
Contrairement aux idées reçues, c’est l’objectif le plus soutenable à long terme car reposant in fine sur des mix de métiers et de géographies attractifs, des positions concurrentielles et des stratégies fortes.
Tout objectif inférieur induit des positions de suiveur, des marges de manoeuvre stratégiques et financières réduites, des capitalisations boursières plafonnées, des capacités de réinvestissement insuffisantes et donc des positions et des résultats non soutenables à long terme. Qui n’avance pas recule et disparaît.
1. EBIT : Earnings before interest and taxes.
2. ROCE : EBIT/capitaux engagés.
3. CA/CE : chiffre d’affaires/capitaux engagés.
4. TSR : Total Shareholder Return, retour total pour l’actionnaire sur son investissement de départ (dividendes, distribution d’actions gratuites, plus-value sur titres) avec hypothèse de dividendes réinvestis.
5. ROE : bénéfice net après impôts et frais financiers/fonds propres.
Estin & Co est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres, Genève et Shanghai. Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens et nord-américains dans leurs stratégies de croissance, ainsi que les fonds de private equity dans l’analyse et la valorisation de leurs investissements.
4 Commentaires
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complètement has been et ultra conservateur. aucune notion de politique géopolitique à moyen terme n’est abordée.
Je suis un étudiant en PhD d’Economie, et pour ma recherche j’essaye de comprendre la fixation généralisée sur le Return on Equity (ROE).
Voici ma perspective. Il y a deux façons d’augmenter le ROE : augmenter le numérateur ou diminuer le dénominateur. La première augmente aussi le Return On Assets (ROA) et représente da la création de valeur réelle. La deuxième consiste à se financer avec moins de capital et plus de dette, met en péril la solvabilité, et est une création illusoire. A la limite de zéro capital, on peut avoir un ROE infini, mais ça met en danger l’entreprise.
Est-ce que vous pouvez m’expliquer pourquoi l’industrie se fixe sur le ROE et pas le ROA ?
c est le bac d’eco ?
Une mauvaise copie de BAC ? c est ce qu on pourrais croire en constatant que la notion de risque est completement éludée…
capitaux propres et actifs
@ M.
equity=capitaux propres , cad de l’argent en provenance de la sueur de quelqu’un.
assets=c’est des éléments de l’actif, comme l’héritage immobilier de votre grand-mère ,
donc assets et equity ont des dynamiques différentes.
un secret pour vous , : surveillez le résultat net et la trésorerie , le reste est secondaire, et “l’industrie” comme vous dites , ne regarde que cela , je vous le garantie.
Merci également à M.Estin pour la grande valeur qu’il nous offre par son article.