Il faut continuer à exiger des rentabilités de 15%

Dossier : ExpressionsMagazine N°665 Mai 2011
Par Jean ESTIN

Par­ti­ci­per ou gagner
Les ques­tions récur­rentes sur la néces­si­té et la pos­si­bi­li­té d’ob­te­nir des ren­ta­bi­li­tés de 15% ou plus de façon sou­te­nable dans une acti­vi­té relèvent en fait d’un débat plus pro­fond : joue-t-on pour gagner ou sim­ple­ment pour par­ti­ci­per ? S’ac­com­mode-t-on du déclin euro­péen ou veut-on être un acteur de la crois­sance mondiale ?

Dans un monde où la crois­sance des pays occi­den­taux risque d’être faible à moyen et long terme (1 à 2% par an), et donc où les ren­ta­bi­li­tés des entre­prises seront réduites, la ten­ta­tion est grande d’a­bais­ser les exi­gences concer­nant les ren­ta­bi­li­tés mini­males atten­dues d’une entre­prise ou d’un inves­tis­se­ment. Le coût du capi­tal sera plus faible ; les chances d’ob­te­nir des ren­ta­bi­li­tés éle­vées réduites ; des objec­tifs trop ambi­tieux décou­ra­ge­ront des inves­tis­se­ments de long terme et peuvent obé­rer l’a­ve­nir d’une entreprise.

La crois­sance mon­diale va res­ter forte, de 5 à 6 % par an

C’est oublier que la crois­sance mon­diale, tirée par les pays émer­gents, va res­ter forte (5 à 6% par an) et que les capi­taux voyagent. Le coût du capi­tal ne bais­se­ra pas à long terme. Les entre­prises occi­den­tales qui se conten­te­ront de ren­ta­bi­li­tés et de crois­sances réduites dis­pa­raî­tront sim­ple­ment à long terme au pro­fit de concur­rents occi­den­taux ou de pays émer­gents plus ambitieux.

Ce n’est pas une ques­tion finan­cière de cou­ver­ture ou non du coût du capi­tal. C’est une ques­tion stratégique.

Les leaders ont toujours des rentabilités supérieures à 15%

Dans une acti­vi­té clas­sique, avec une baisse des coûts de 10 à 20 % pour chaque dou­ble­ment de taille, et à des stades de concen­tra­tion nor­maux, les lea­ders peuvent théo­ri­que­ment avoir des EBIT1 de 20 à 35 % du chiffre d’af­faires, alors que les n° 2 ont envi­ron 10 à 20 % et les n° 3 sont proches du point mort.

Ren­ta­bi­li­té et part de marché
Dans nombre d’in­dus­tries bien struc­tu­rées (fortes bar­rières à l’en­trée, effets d’é­chelle signi­fi­ca­tifs, pas de cap­ture trop grande de la valeur par les clients ou les four­nis­seurs), on peut obser­ver que le ROCE est d’ailleurs sou­vent proche de la part de mar­ché : 20 % de part de mar­ché implique 20% de ROCE ; 30 % de part de mar­ché implique 30 % de ROCE.

On constate rare­ment de tels écarts dans la réa­li­té car les lea­ders uti­lisent cet avan­tage pour réin­ves­tir et concen­trer l’in­dus­trie. Une par­tie de la sur­marge poten­tielle est en fait absor­bée par des coûts plus éle­vés (meilleure qua­li­té du pro­duit, plus grande inno­va­tion tech­no­lo­gique, meilleur ser­vice au client, inves­tis­se­ments publi­ci­taires plus éle­vés) ou des prix plus bas, qui per­mettent au lea­der d’a­voir un modèle d’ac­ti­vi­té plus com­pé­ti­tif, de gagner des parts de mar­ché sur ses concur­rents et de concen­trer l’in­dus­trie. L’EBIT résul­tant pour le lea­der s’é­ta­blit plus sou­vent à 10 ou 20 %, et le ROCE2 (avec une hypo­thèse de CA/CE3 = 2x) à 20 voire 40%.

Deman­der des ren­ta­bi­li­tés supé­rieures à 15 % ne revient pas seule­ment à vou­loir cou­vrir le coût du capi­tal, qui est d’ailleurs aujourd’­hui le plus sou­vent très infé­rieur. C’est deman­der des ren­ta­bi­li­tés de lea­der ou de colea­der. Il faut même deman­der beau­coup plus des acti­vi­tés sans crois­sance où l’en­tre­prise a des posi­tions de 30 à 40 % de part de marché.

Des allocations de ressources pertinentes

À l’in­verse, la logique vou­drait que l’on n’exige pas de telles ren­ta­bi­li­tés pour les acti­vi­tés où l’en­tre­prise a de faibles parts de mar­ché ou bien pour celles où le métier est mal struc­tu­ré (peu ou pas d’ef­fets d’é­chelle, pas de bar­rières à l’en­trée, cap­ture de la valeur par les grands clients).

Des excep­tions à la règle
Cer­taines acti­vi­tés à inves­tis­se­ment non capi­ta­li­sable (dépenses publi­ci­taires et mar­ke­ting très impor­tantes, comme dans les par­fums, dépenses de R&D comme dans la phar­ma­cie, les semi-conduc­teurs ou déve­lop­pe­ment de logi­ciels comme dans les ser­vices Inter­net, les jeux vidéos) peuvent jus­ti­fier des exi­gences de ren­ta­bi­li­té moins éle­vées. Il faut alors retrai­ter les ren­ta­bi­li­tés de l’im­pact de ces inves­tis­se­ments non capi­ta­li­sés ou fixer des exi­gences adap­tées de rentabilité.

Il faut pour­tant le faire. Il est clair que l’on ne pour­ra pas les obte­nir. Mais les exi­ger revient à mettre une pres­sion très forte sur ces acti­vi­tés, à les gérer au détri­ment du long terme et donc à en sor­tir à terme, ou à for­cer le mana­ge­ment à les redé­fi­nir, voire à les céder. Stra­té­gi­que­ment, c’est une saine pres­sion. Elle conduit à des allo­ca­tions de res­sources per­ti­nentes. Réduire cette exi­gence revient à accep­ter de res­ter dans des acti­vi­tés sans inté­rêt stra­té­gique ou finan­cier à long terme pour l’entreprise.

Hors logiques tran­si­toires de lan­ce­ment de pro­duits, de démar­rage d’ac­ti­vi­tés, ou de gains majeurs de parts de mar­ché, il y a peu d’ex­cep­tions. Même et sur­tout dans les acti­vi­tés en forte crois­sance, les lea­ders ont des ren­ta­bi­li­tés fortes, per­met­tant de finan­cer la croissance.

En cas de crise, on peut accep­ter des ren­ta­bi­li­tés réduites pen­dant un ou deux ans. Rare­ment plus.

Financer la croissance

En cas de crise, on peut accep­ter des ren­ta­bi­li­tés réduites pen­dant un ou deux ans

Les lea­ders en crois­sance ont tou­jours des TSR4 supé­rieurs à 15 %. Un ROCE de 15 % se tra­duit géné­ra­le­ment par des ROE5 de 15 à 20% qui per­mettent de finan­cer des crois­sances au mini­mum de 10% par an tout en dis­tri­buant des divi­dendes. Encore faut-il trou­ver les métiers et les stra­té­gies qui per­mettent de main­te­nir ce rythme.

10 % n’est pas la crois­sance d’un acteur de pays émergent (les grands lea­ders chi­nois croissent de 25 à 35 % par an). C’est la crois­sance nor­male d’un acteur occi­den­tal dans des mar­chés en crois­sance modé­rée (5 à 6 % par an en valeur) et concen­trant ces mar­chés (crois­sance de l’en­tre­prise de 10% par an).

Une crois­sance de 10 % avec des ROE stables de 15 à 20 % par an pro­cure géné­ra­le­ment des TSR de 15 % par an. Une telle crois­sance devient hors de por­tée dans des mar­chés trop mûrs (1 à 3 % de crois­sance en valeur) et déjà for­te­ment concen­trés (où le lea­der a par exemple 40% de part de marché).

Mais c’est une crois­sance nor­male pour un acteur ayant un mix d’ac­ti­vi­tés qui croît comme la moyenne de l’é­co­no­mie mon­diale et qui concentre les mar­chés dans les­quels il est présent.

Exi­ger un TSR de 15 % revient à inci­ter l’en­tre­prise à faire évo­luer son mix d’ac­ti­vi­tés en per­ma­nence pour évi­ter les mar­chés trop mûrs ou déjà trop concen­trés, et à recher­cher conti­nuel­le­ment de la crois­sance, par le choix de ses métiers et géo­gra­phies et par ses stra­té­gies de lea­der­ship. Là encore, ce n’est pas sim­ple­ment vou­loir cou­vrir le coût du capi­tal et la ren­ta­bi­li­té moyenne des mar­chés des actions (bien infé­rieurs). C’est deman­der un TSR de lea­der en crois­sance.

Fleu­rons disparus
Les lea­ders qui ne croissent plus, ou trop fai­ble­ment par rap­port à la moyenne de l’é­co­no­mie mon­diale, dis­pa­raissent ou se font rache­ter à long terme. Même s’ils sont très ren­tables, leur valeur bour­sière ne croît plus, leurs marges de manœuvre se réduisent (il devient dif­fi­cile de faire des acqui­si­tions), et leurs action­naires se lassent. La liste des entre­prises autre­fois dans le pelo­ton de tête et aujourd’­hui dis­pa­rues ou rache­tées est longue, qu’il s’a­gisse de PanAm, de l’UAP, du CCF, de DEC ou d’Euromarché.

Un objectif stratégique

Un objec­tif de 15 % de ROCE, ou de ROE, ou de TSR, n’est pas un simple objec­tif finan­cier. C’est un choix stra­té­gique pour le diri­geant d’un grand groupe qui veut dis­tan­cer ses concur­rents par des stra­té­gies de lea­der­ship dans chaque métier, et par le choix de métiers et de géo­gra­phies plus attractifs.

Contrai­re­ment aux idées reçues, c’est l’ob­jec­tif le plus sou­te­nable à long terme car repo­sant in fine sur des mix de métiers et de géo­gra­phies attrac­tifs, des posi­tions concur­ren­tielles et des stra­té­gies fortes.

Tout objec­tif infé­rieur induit des posi­tions de sui­veur, des marges de manoeuvre stra­té­giques et finan­cières réduites, des capi­ta­li­sa­tions bour­sières pla­fon­nées, des capa­ci­tés de réin­ves­tis­se­ment insuf­fi­santes et donc des posi­tions et des résul­tats non sou­te­nables à long terme. Qui n’a­vance pas recule et disparaît.

1. EBIT : Ear­nings before inter­est and taxes.
2. ROCE : EBIT/capitaux engagés.
3. CA/CE : chiffre d’affaires/capitaux engagés.
4. TSR : Total Sha­re­hol­der Return, retour total pour l’ac­tion­naire sur son inves­tis­se­ment de départ (divi­dendes, dis­tri­bu­tion d’ac­tions gra­tuites, plus-value sur titres) avec hypo­thèse de divi­dendes réinvestis.
5. ROE : béné­fice net après impôts et frais financiers/fonds propres.

Estin & Co est un cabi­net inter­na­tio­nal de conseil en stra­té­gie basé à Paris, Londres, Genève et Shan­ghai. Le cabi­net assiste les direc­tions géné­rales de grands groupes euro­péens et nord-amé­ri­cains dans leurs stra­té­gies de crois­sance, ain­si que les fonds de pri­vate equi­ty dans l’a­na­lyse et la valo­ri­sa­tion de leurs investissements.

4 Commentaires

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ch gla­tronrépondre
1 mai 2011 à 20 h 18 min

com­plè­te­ment has been et ultra conser­va­teur. aucune notion de poli­tique géo­po­li­tique à moyen terme n’est abordée.

Miguel Morinrépondre
24 mai 2011 à 12 h 17 min

Je suis un étu­diant en PhD d’E­co­no­mie, et pour ma recherche j’es­saye de com­prendre la fixa­tion géné­ra­li­sée sur le Return on Equi­ty (ROE).

Voi­ci ma pers­pec­tive. Il y a deux façons d’aug­men­ter le ROE : aug­men­ter le numé­ra­teur ou dimi­nuer le déno­mi­na­teur. La pre­mière aug­mente aus­si le Return On Assets (ROA) et repré­sente da la créa­tion de valeur réelle. La deuxième consiste à se finan­cer avec moins de capi­tal et plus de dette, met en péril la sol­va­bi­li­té, et est une créa­tion illu­soire. A la limite de zéro capi­tal, on peut avoir un ROE infi­ni, mais ça met en dan­ger l’entreprise.

Est-ce que vous pou­vez m’expliquer pour­quoi l’in­dus­trie se fixe sur le ROE et pas le ROA ?

Msellerépondre
17 juin 2011 à 16 h 47 min

c est le bac d’e­co ?
Une mau­vaise copie de BAC ? c est ce qu on pour­rais croire en consta­tant que la notion de risque est com­ple­te­ment éludée…

Fernandezrépondre
12 août 2011 à 4 h 13 min

capi­taux propres et actifs
@ M.
equity=capitaux propres , cad de l’argent en pro­ve­nance de la sueur de quelqu’un.
assets=c’est des élé­ments de l’ac­tif, comme l’hé­ri­tage immo­bi­lier de votre grand-mère ,
donc assets et equi­ty ont des dyna­miques différentes.
un secret pour vous , : sur­veillez le résul­tat net et la tré­so­re­rie , le reste est secon­daire, et “l’in­dus­trie” comme vous dites , ne regarde que cela , je vous le garantie.
Mer­ci éga­le­ment à M.Estin pour la grande valeur qu’il nous offre par son article.

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