Il faut croire en nos jeunes entreprises
Pour exécuter les programmes de recherche et développement de ses entreprises de technologie, la France forme une ressource humaine de grande qualité. Ses ingénieurs, chercheurs, techniciens se comparent très favorablement à leurs concurrents étrangers.
REPÈRES
Pour les jeunes entreprises de technologie, la recherche et le développement sont le coeur de leur projet d’entreprise. Ils forment le plus souvent la base des innovations à mettre sur le marché même si des assemblages astucieux de techniques connues ou développées par d’autres peuvent aussi conduire à des innovations de rupture par des fonctionnalités et des usages nouveaux, voire des esthétiques attractives comme l’a démontré Apple par exemple.
Cette recherche, souvent de haut niveau comme on l’observe dans les meilleures équipes publiques, a cependant une finalité essentielle : rencontrer un marché, ou même le créer. Dès lors, la rapidité, l’efficacité, l’optimisation des coûts et l’adaptation aux besoins anticipés des marchés futurs sont indispensables à la réussite du projet.
J’ai néanmoins quelquefois observé que les chercheurs publics, même brillants, qui rejoignent les sociétés qu’ils ont contribué à créer ont un peu de mal à s’adapter aux exigences des entreprises ; s’il est relativement facile de constituer des équipes efficaces de management pour les phases de démarrage très orientées technologie, il est beaucoup plus difficile de faire évoluer les équipes de management et d’attirer des manageurs confirmés prêts à prendre le risque de rejoindre ces jeunes sociétés pour les faire évoluer vers la production, le marketing, la vente et le financement.
C’est un réel handicap pour notre pays.
La propriété intellectuelle, précieux patrimoine
Une innovation bien protégée est la seule véritable différenciation qui protège la jeune société de ses concurrents plus puissants et déjà bien établis ; la propriété intellectuelle et en particulier un portefeuille brevets bien construit est un patrimoine essentiel.
Seule une innovation bien protégée protège la jeune société de ses concurrents plus puissants
Si les jeunes sociétés bien sensibilisées à cette problématique gèrent correctement la protection de leurs innovations, le transfert des brevets de la recherche publique, source importante d’innovations technologiques, vers les jeunes sociétés est encore très problématique ; les délais de négociation sont exagérément longs et les exigences des bailleurs publics souvent irréalistes.
Il est dommage que cette situation bien connue de tous les acteurs du transfert de technologie et du système d’innovation ne s’améliore pas plus vite.
Création florissante
Globalement, le nombre de créations d’entreprises de technologie est très élevé ; dans le domaine de l’Internet, par exemple, les entreprises foisonnent, en raison bien sûr des talents disponibles, mais aussi des besoins financiers modestes au départ souvent apportés par l’environnement proche : business angels, fonds locaux, etc. Le risque technique est limité, l’enjeu réside dans le réalisme du modèle économique. En contrepartie, la sélection naturelle est sévère.
Dans les domaines à la fois plus techniques et plus capitalistiques, il se crée sans doute (les statistiques précises sont rares) plusieurs centaines d’entreprises par an dont beaucoup sont fondées sur des modèles économiques de service à haute valeur ajoutée ; elles génèrent donc des revenus assez rapidement et réussissent à s’autofinancer après des investissements de l’ordre de quelques centaines de milliers d’euros, voire de quelques millions pour les plus ambitieuses.
Par ailleurs, quelques dizaines d’entreprises se créent avec des objectifs plus ambitieux, des modèles économiques industriels et la vocation d’opérer sur les marchés internationaux. Certaines peuvent même viser à devenir leader dans leur domaine ; les montants à investir sont beaucoup plus élevés de plusieurs millions d’euros à plusieurs dizaines de millions d’euros.
Réussites françaises
Lorsque l’on parle de start-ups ou de spin-off réussies, on pense immédiatement à des entreprises américaines qui, quelques années après leur création, ont été introduites en Bourse et ont des capitalisations de plusieurs milliards d’euros : HP, Intel, Microsoft, Apple, Yahoo, Facebook, Twitter, etc.
On oublie ou on ignore qu’il y a également de belles réussites en France : Dassault Systèmes, STMicroelectronics, Soitec, Gemalto (ex-Gemplus, maintenant dans le CAC 40), Criteo, Neolane, Price- Minister, Free, Laboratoires Théa, Pixmania, Meetic, Dailymotion, etc.
Ces entreprises ne sont pas pour la plupart issues de la recherche publique ou n’ont pas de gènes technologiques, mais c’est le cas aussi des entreprises américaines. L’innovation, comme nous l’avons déjà dit, n’est pas forcément fille de la recherche et touche de nombreux domaines.
Le nerf de la guerre
Le financement de ces sociétés est évidemment le problème le plus crucial. La recherche est une activité risquée et de son succès dépendent la survie et la croissance de la société. Elle doit donc se financer principalement par des fonds propres ou par des subventions. La plupart des pays développés ont mis en place des méthodes de financement pour limiter les risques encourus par les entreprises et en particulier les plus jeunes.
La recherche est une activité risquée et de son succès dépend la survie de la société
La France a un dispositif assez complet et qui a fait ses preuves de cofinancement de la recherche des jeunes entreprises, maintenant regroupé au sein de la BPI. À cela s’ajoutent des mécanismes originaux pertinents pour les jeunes entreprises : le crédit d’impôt recherche, le statut des jeunes entreprises innovantes, les CIFRE, etc., qui sont des contributeurs significatifs à la trésorerie des entreprises et qui ont le mérite d’être neutres vis-à-vis de leurs programmes de recherche.
Cependant, ces cofinancements ne couvrent évidemment pas la totalité des besoins et donc, in fine, l’accès au marché des capitaux est indispensable.
Fragiles entreprises
À cet égard, la situation en France est contrastée. Dans les domaines réputés peu capitalistiques comme les logiciels et l’Internet, où en plus la recherche est moins risquée et l’accès au marché assez rapide, les fonds de capital investissement recommencent à se lever et à investir.
Recours à la Bourse
La Bourse est devenue un moyen de financement très important pour les jeunes sociétés de technologie. Ce marché est devenu particulièrement actif sur les deux compartiments Alternext et Euronext compartiment C, plusieurs dizaines de sociétés de technologie se cotent tous les ans et lèvent des montants d’une dizaine de millions d’euros jusqu’à 50 millions d’euros ou plus, et leur capitalisation boursière peut atteindre, en cas de développement favorable, plusieurs centaines de millions d’euros, voire dépasser le milliard d’euros.
Dans les domaines plus capitalistiques comme les composants, le hardware, les technologies biomédicales et plus encore les biotechnologies, la situation est plus délicate. Plusieurs fonds d’amorçage lancés dans le cadre des investissements d’avenir couvrent assez bien les besoins des très jeunes sociétés mais leur taille réduite (de 30 à 40 millions d’euros) ne leur permettra pas de suivre les tours de financement suivants ; en sciences de la vie, par exemple, la phase d’amorçage dure environ trois à cinq ans et coûte de 6 à 10 millions d’euros, voire beaucoup plus ; les tours suivants de capital innovation s’élèvent pour leur part à plusieurs dizaines de millions d’euros.
Comme les fonds de capital innovation dans ces domaines se lèvent beaucoup plus difficilement, il y a un risque réel de rupture de la chaîne de financement et donc de disparition d’entreprises de qualité. Des mesures fiscales adaptées à la rémunération du risque pour attirer des capitaux privés dans ces domaines seraient très utiles.
Plusieurs études récentes estiment à environ 2 milliards d’euros par an les fonds supplémentaires qui seraient nécessaires pour irriguer en fonds propres le tissu des jeunes entreprises de technologie et les faire croître. Ce montant est à comparer à une capacité d’épargne en France d’environ 200 milliards par an et à un encours des contrats d’assurance-vie de l’ordre de 1 400 milliards d’euros.
La tâche ne devrait pas être insurmontable, d’autant plus que ces entreprises visées sont la base du renouveau industriel tant recherché du pays.