Il faut lire le rapport Attali
Dans son contenu, rien n’est en effet nouveau. Toutes les » 8 ambitions « , présentées en fin du document et le synthétisant, font l’objet de travaux depuis un certain temps. Qu’on en juge par leurs intitulés : » Préparer la jeunesse à l’économie du savoir » ; » Participer à la croissance mondiale » ; » Améliorer la compétitivité des entreprises françaises » ; » Construire une société de plein-emploi » ; » Supprimer les rentes, réduire les privilèges et favoriser les mobilités » ; » Créer des nouvelles sécurités à la mesure des instabilités croissantes » ; » Instaurer une nouvelle gouvernance au service de la croissance » ; » Ne pas mettre le niveau de vie d’aujourd’hui à la charge des générations futures « . Ces thèmes sont toutefois l’objet de désaccords croissants au fur et à mesure que les modalités de leur application sont détaillées. Ce qui change et fluctue, c’est leur acceptation par la société civile. Le nouveau, c’est ce cryptodirigisme consistant à se fier à l’État pour qu’il réduise, de son propre chef, son emprise sur l’économie.
Au fait des réalités
Beaucoup de conclusions avaient déjà été acceptées à titre personnel par une grande majorité des personnalités françaises
Mais, ne voir dans l’action de la commission que son rapport, c’est oublier que Jacques Attali et les membres de cette commission sont des hommes avisés dont la qualité les place, sans le moindre doute, très au fait des réalités de notre société. Leur véritable dilemme a été que beaucoup des conclusions avaient déjà été acceptées à titre personnel par une grande majorité des personnalités françaises, de droite ou de gauche ou bien libérales ou dirigistes, mais rejetées dans les instances officielles par beaucoup de ces mêmes personnes. Peut-on imaginer fil de rasoir plus coupant entre nécessités d’action et contraintes de convenances sociales ?
Une démarche de communication
Ne faudrait-il pas, alors, chercher à voir, dans les travaux de cette commission, sa démarche de communication, qui d’ailleurs a été saluée en tant que telle par l’étranger ? La riposte immédiate et primaire de l’ensemble des compartiments de la société française, qu’elle s’est s’attirée du fait de son option tous azimuts, n’est-elle pas la marque certaine qu’elle a été bien entendue ? On ne sera donc pas surpris d’entendre le président de l’assemblée des départements de France (ADF) juger » parfaitement incongrue et iconoclaste » la suppression des départements, ni de savoir que la CGPME considère que la libéralisation des prix et de l’installation des acteurs de la distribution » nuirait à la qualité du service rendu et aurait des répercutions désastreuses en matière d’aménagement du territoire « , cela alors que la fédération des entreprises de commerce et de distribution considère que » ça bouge dans le bon sens « , ni de subir les mouvements de grève des taxis justifiés par le fait qu’ils se considèrent comme » les boucs émissaires » du rapport, ni de percevoir la déception des pharmaciens qui jugent » qu’Attali ne voit en eux que des commerçants « , ni de saisir sur le vif la consternation de l’Association française des éditeurs de logiciels (AFDEL) face à des propositions qu’ils jugent » discriminatoires « , etc. De fait, à l’aune d’une communication politique actuelle cherchant des résultats immédiats, le rendement d’une telle campagne n’est pas apparu comme probant. D’ailleurs communiquer avec 243 pages n’est-t-il pas renouveler l’erreur même de la Constitution européenne ? Ne dit-on pas errare humanum est, perseverare diabolicum ?
Se substituer aux carences
La commission Attali, alors, n’aurait-elle pas plutôt été tentée d’agir directement sur la société civile en court-circuitant les professionnels de la politique pour se substituer à leurs carences ? Qu’a réellement, en effet, jamais achevé cet appareil politique pour réduire un déficit budgétaire qui s’obstine à galoper, pour stimuler la créativité des chercheurs français englués dans l’aléa moral de leur statut de fonctionnaires, pour libérer la production de logements victime d’un malthusianisme craintif, pour faciliter la mobilité sociale de nouveaux Français qui ne demandent qu’à s’intégrer, pour inverser la hausse des prix par la stimulation de la concurrence dans la distribution, pour réduire les effectifs de l’État en tirant parti du redéploiement de l’État et des apports des nouvelles technologies, pour empêcher les petites entreprises d’être spoliées de la valeur qu’elles créent par leurs investissements et leurs innovations ? Mais, à bien y réfléchir, une telle démarche ne pouvait aboutir. Les 316 » Décisions pour changer la France » se focalisent sur des résultats attendus sans se poser la question des quelques mesures structurelles qui pourraient les rendre possibles.
Restaurer la confiance
Empêcher les petites entreprises d’être spoliées de la valeur qu’elles créent par leurs investissements et leurs innovations
L’intention, si elle n’était pas politique, pouvait alors être, telle celle de juristes, de proposer aux Français un contrat global de démantèlement multilatéral de l’ensemble des corporatismes et autres rentes dans une sorte de donnant-donnant visant à restaurer la confiance sociale devant, in fine, se révéler » gagnant-gagnant « . Ce donnant-donnant serait les salariés acceptant des contrats de travail plus faciles à rompre contre un filet de flexi-sécurité plus efficace, les taxis monnayant leur licence contre des horaires plus riches en courses, les bailleurs de logement moins sélectifs contre une baisse de la protection des locataires. Mais ce serait, par ailleurs, des acteurs de l’économie, entreprises et employés, acceptant de jouer le jeu de la concurrence qui, baissant les prix, augmenteraient le pouvoir d’achat et finalement dynamiseraient l’économie et l’emploi, ce serait aussi les syndicats qui accepteraient aussi le changement des règles de la représentativité pour pouvoir enfin mieux faire ce qui est leur métier : représenter les intérêts des salariés, ce serait finalement les acteurs de l’État et de ses satellites, et cela jusqu’au plus haut niveau, qui accepteraient d’abandonner l’ensemble de leurs privilèges historiquement acquis, mais actuellement illégitimes, et cela pour faire mentir le président Mao affirmant que tous les » poissons pourrissent par la tête « .
Obtenir un sursaut moral
Le ton provocateur de la communication autour des travaux de la commission n’aurait été alors que tactique et destiné, comme celui de Diogène en son temps et en d’autres lieux, à attiser les contradictions de la société pour obtenir un sursaut moral. Moraliste, le rapporteur et organisateur de cette commission a certainement voulu l’être, sur le tard, en dénonçant les contradictions de la société qu’il doit bien assumer en raison de ce qu’a été sa carrière riche et diverse. Moraliste, il l’a été aussi en cherchant à heurter les préjugés les plus enracinés sur lesquels il s’était cependant appuyé dans les différents rôles politiques qu’il a tenus. Embrassant la société dans son ensemble, il a même été bien au-delà et, ce faisant, a pris la posture d’un philosophe. Sera-t-il philosophe au point d’envisager que son oeuvre, à l’instar de celle de Voltaire, qui est sans aucun doute son modèle, n’aboutisse que dans les siècles futurs ? Il est certainement trop tôt pour dire si les travaux de cette commission vont tomber dans l’oubli ou s’ils deviendront l’outil d’un sursaut français. Peut-être a‑t-elle été trop audacieuse en posant dans des rôles multiples et contradictoires ; peut-être, au contraire, son rapport est-il plein de promesses et constitue-t-il le » Cahier de doléances » devant précéder la révolution économique et sociale nécessaire à la France pour qu’enfin elle accomplisse son destin. En tout état de cause ce rapport aura le mérite d’avoir illustré de manière encyclopédique les difficultés éprouvées par la société française de 2007. Ne serait-ce que pour cela, il faut le lire et le faire lire. C’est tout à la fois du bon et du nouveau !
Le texte intégral du rapport Attali est en accès libre sur :
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr