Il faut réindustrialiser la France
Le mouvement saint-simonien a contribué à moderniser la France, selon Pierre Musso, professeur à Rennes-II et à Télécom ParisTech, tant dans les esprits (Michel Chevalier, 1823) que dans les faits, avec la création des chemins de fer, d’écoles de formation et des sociétés de crédit.
L’industrie devint un moteur, tout devant être organisé pour et par elle, afin que la technique change la société.
Devenir un pays exportateur
La première table ronde a fait le constat du retard de la France. Son principal défi est de redevenir un pays exportateur. Elle a besoin de « champions cachés », ces entreprises de taille intermédiaire (ETI), leaders sur leurs marchés et très innovantes, selon Stéphan Guinchard (94).
Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, est né en 1760. C’est après une vie tumultueuse d’abord dans l’armée de La Fayette, puis comme spéculateur immobilier, qu’il se fait philosophe à presque quarante ans. Sa doctrine sera à l’origine aussi bien du socialisme, de l’anarchisme que du technocratisme et du positivisme.
La France s’accroche aux secteurs en déclin sans s’imposer sur les nouveaux. Son modèle socioéconomique est pertinent en période de rattrapage, comme lors des trente glorieuses, mais non pour une économie de l’innovation.
Pour Alfred Galichon (97), c’est sur la capacité à produire des doctorants de très haut niveau qu’un système éducatif doit être jugé. Or, la France n’est pas bonne pour les PhD, elle les utilise mal et les profils de ses élites sont trop homogènes. Pas étonnant que, en comparaison avec l’Allemagne, il manque 500 ETI en France, soit presque un million d’emplois.
Un environnement plus propice au business, avec moins de charges pour les entreprises, donnerait un élan, selon Agnès Verdier- Molinié, DG de l’IFRAP. Il faudrait renoncer à augmenter la fiscalité pour, au contraire, réduire les dépenses publiques, ce qui suppose une approche collective et concertée.
L’Union européenne devrait changer d’habits
Cependant, tout n’est pas si sombre. La France est le troisième exportateur mondial par habitant, ses universités se rapprochent du monde des entreprises, notamment grâce aux bourses CIF.
Selon Laurent Daniel (96), le protectionnisme est contre-productif, car nous avons besoin d’importations pour exporter. Les États-Unis font presque jeu égal avec l’Allemagne comme première destination de nos exportations en valeur ajoutée. Les services comptent autant que l’industrie en valeur ajoutée de nos exportations : des gains de productivité sont à chercher dans les services.
Huit pôles majeurs
La table ronde n° 2 s’est penchée sur le rôle de cette puissance publique qui, pour les saint-simoniens, devait être au service de l’économie.
Hubert Lévy-Lambert (53), dans une adresse fictive à Prosper Enfantin (1813), évoque « Les Français [au XIXe siècle] à la pointe du progrès scientifique et technique […], ils construisaient des usines pour créer des emplois […], des chemins de fer pour relier les régions […], ils créaient des banques pour financer toutes ces activités. »
Comme l’a rappelé Philippe Herzog (59), Saint-Simon fut le premier à proposer la création d’une Société européenne, dotée d’un « parlement général ». L’Union européenne, puissance normative par excellence, devrait changer d’habits et apprendre à penser et organiser le long terme, notamment en matière de décarbonation de l’énergie, de numérique ou d’éducation.
À l’autre bout de la chaîne géographique, les métropoles et les territoires prennent une importance croissante dans le développement économique.
Suite à une enquête approfondie auprès d’entreprises, Jean-Christophe Fromantin, député- maire de Neuilly, a identifié huit pôles majeurs structurant l’économie française.
Ils devraient permettre la convergence des pouvoirs publics et la simplification de ce que Jean-Claude Prager (64) appelle les mille-feuilles : politique, réglementaire et administratif. Chaque région possède de 50 à 200 structures d’aide à l’innovation ; et ce sont les PME qui souffrent le plus de cette confusion.
La Banque publique d’investissement (BPI) est justement une simplification, un « poil à gratter » selon Paul-François Fournier (89), qui supplée à la frilosité du secteur bancaire, en injectant 800 millions d’euros par an dans l’innovation.
Mais l’argent ne fait pas tout : il faut aussi un bon écosystème. D’où l’importance des futures métropoles et de tous les intermédiaires qui relient les mondes académiques et entrepreneuriaux. Et là, l’important n’est pas tant les structures, que les acteurs et le leadership collectif.
La France garde de sérieux atouts
La table ronde n° 3 s’est intéressée aux conditions de la réindustrialisation.
Yvon Raak (74) a porté un regard lucide sur une France dont les atouts s’amenuisent dans la mondialisation. Le basculement des marchés et des compétences vers l’Asie explique les délocalisations.
L’étude de l’Académie des technologies qui a réalisé une « spectroscopie fine » des secteurs, présentée par Alain Bugat (68), liste les retards, faiblesses du code des marchés publics ou du manque de soutien de la DGA aux PME innovantes.
Mettre les mains dans le cambouis électoral
Mais rien de définitif : le pôle de Grenoble autour des nanotechnologies et de l’informatique embarquée démontre que la France garde de sérieux atouts.
Pierre Delaporte (49) s’est également montré optimiste en prenant l’exemple du récent sauvetage de la production d’aluminium en Maurienne. Grâce à un coût de l’électricité réduit, la France peut attirer ou maintenir les industries électro-intensives, comme l’aluminerie de Dunkerque ou la chimie de base.
Franck Lirzin (2003), de même, a expliqué comment Marseille a su basculer d’un modèle industrialo-portuaire à un modèle d’innovation et de services pour renouer avec la croissance, notamment dans l’optique-photonique et les biotechnologies.
Hervé Mariton (77) a insisté sur le rôle d’orientation du politique pour simplifier les dispositifs d’aide à l’innovation et définir des chefs de file tout en s’appuyant sur une solide expertise. Un réel effort de pédagogie est nécessaire pour convaincre les Français du bien-fondé des politiques mises en œuvre.
Un agenda 2020
Quel pourrait être un « agenda 2020 » s’est interrogée la quatrième table ronde ? Pour Grégoire Postel- Vinay, responsable de la mission stratégie à la DGCIS, la condition sine qua non est la compétitivité de l’industrie et des services : diffusion des nouvelles technologies (TIC, robotique) et méthodes (lean, qualité), différenciation par l’innovation (design, pôles de compétitivité), réduction des coûts, introduction de la flexisécurité.
Prosper Enfantin (1813) est un prophète à sept vies, selon l’expression de Jean-Pierre Callot. Tour à tour négociant en vin, disciple de Saint-Simon, promoteur du saint-simonisme sous la figure quasi religieuse du Père, essayiste, initiateur du canal de Suez, voyageur en Algérie et administrateur de la Compagnie Paris-Lyon- Marseille.
Il faut une « intelligence collective » décentralisée pour orienter l’investissement, et non une politique industrielle qui impose des choix, selon Jean-Paul Nicolaï (80), ce que l’État peut initier dans le cas de la silver economy, l’économie des seniors.
Mais se fixer d’ambitieux objectifs ne suffit pas, répond Guy Vallancien, professeur de médecine à Paris Descartes, en prenant l’exemple de la santé : bien que tous s’accordent sur son importance croissante, aucune vision pragmatique d’un système de soins n’existe.
À l’avenir, 80% de la médecine sera de proximité, ce qui suppose de basculer d’un artisanat médical à une industrie du soin avec des centres de soins installés localement.
Lionel Stoléru (56) a invité les polytechniciens à mettre les mains dans le cambouis électoral, pour se rendre compte que la raison ne suffit souvent pas à convaincre des citoyens aux envies contradictoires.
Et de citer le chancelier Erhard : « Une économie ne peut pas être plus ou moins de marché, pas plus qu’une femme ne peut être plus ou moins enceinte. » Une leçon pour nos concitoyens.
Du colbertisme intelligent
En conclusion, Bertrand Collomb (60) a rappelé qu’après un lent déclin, la France ne perd plus de parts de marché. Cette stabilisation est un prélude au sursaut, mais que faire pour regagner en dix ans ce qu’on a perdu en dix ?
Pour reprendre la terminologie des entreprises, il faudrait réduire les frais généraux, desserrer les freins, restaurer la confiance et gérer la période de reconquête.
C’est-à-dire réduire les dépenses publiques, favoriser l’innovation dans les services, l’industrie ou l’énergie, accepter des programmes d’emplois aidés dans le secteur marchand, faire du colbertisme intelligent et un zeste de keynésianisme, enfin privilégier la cohérence sur la flamboyance en se fixant des objectifs crédibles à trois ou cinq ans. Mais y parviendra-t-on sans contrainte extérieure ?
Tout est question de volonté, de cohérence et de continuité.
Dans les entreprises, les Français acceptent de se battre ; il n’y a nulle raison qu’ils n’en fassent pas de même pour leur pays.