Il faut relancer de grands programmes industriels
Le déficit du commerce extérieur handicape lourdement la France. Celle-ci ne pourra le résorber durablement qu’en développant ses exportations industrielles. Cela implique de relancer nos grands programmes industriels et créer les conditions permettant à nos entreprises de privilégier des stratégies exportatrices sur du long terme, de cibler les soutiens à l’innovation et l’investissement.
Propos rapportés par la Rédaction
REPÈRES
Dans l’histoire industrielle de la France, le corps des Mines a joué de tout temps un rôle clef. En ouvrant le Colloque consacré au bicentenaire de ce Corps, Jean-Louis Beffa (60) a exprimé ses vues personnelles sur ce que devraient être les bases d’une politique industrielle française dans un monde marqué par la mondialisation.
Le déficit extérieur de la France constitue un lourd handicap pour la croissance de l’économie française et un risque pour la stabilité de l’euro.
Depuis quinze ans, on observe un décalage croissant entre la France et l’Allemagne
L’évolution des prix de l’énergie et des matières premières va inéluctablement aggraver ce déficit et le développement des activités de services ne pourra pas le combler : le redressement passe par l’industrie.
Parmi les causes de la désindustrialisation, les écarts de coûts salariaux sont souvent mis en avant, tout comme ceux du prix de l’énergie (on peut d’ailleurs s’étonner que la France n’ait pas plus développé sa filière nucléaire, sachant qu’elle pourrait en tirer avantage pour exporter de l’électricité vers des pays comme l’Allemagne !). On évoque aussi le défi technologique, avec la montée en puissance de la Chine, tant en recherche fondamentale qu’en recherche appliquée.
Problème structurel
Métiers mondiaux et multirégionaux
Dans les métiers régionaux comme l’artisanat ou les services aux collectivités, les positions des entreprises – confrontées à des concurrents locaux – ne sont pas affectées par les différentiels de coûts salariaux ou les parités monétaires. Mais, sur les métiers mondiaux, on est en concurrence avec toute la planète. Par ailleurs, avec Internet certains métiers régionaux prennent une dimension mondiale (presse, édition, musique).
Mais, la France prend du retard sur l’Allemagne, alors que les écarts de coûts salariaux et de l’énergie sont faibles. Cela tient essentiellement aux choix institutionnels qui ont été faits par des pays comme l’Allemagne, la Chine, la Corée et le Japon : pour eux, l’exportation est une priorité nationale. La France, depuis le début des années 1990, a donné priorité à la finance et favorisé les choix à court terme dictés par les grands investisseurs financiers. Le problème est donc structurel, ce qui rend le redressement difficile.
Stratégies industrielles
Les grands groupes français de l’automobile et ceux issus des programmes lancés par Georges Pompidou – Alstom, Areva, Airbus, voire Ariane – sont menacés par une concurrence de plus en plus mondialisée. Et les grandes entreprises qui se portent le mieux exercent souvent des métiers régionaux. C’est ainsi que Saint-Gobain réalise 12 % de sa production industrielle en France. 80 % de ses investissements de croissance sont faits dans des pays émergents.
Les quatre pays déjà cités ont une politique qui les distingue de la France sur trois points cruciaux : le rôle des actionnaires ; l’aide de l’État en matière d’innovation ; et la participation des salariés à la stratégie de l’entreprise. Leur approche de ces questions permet de développer des stratégies à long terme et de privilégier les productions faites sur le territoire national.
Réorienter la politique
Priorités européennes
Dans ses décisions, l’Europe a régulièrement privilégié le consommateur et ignoré les défis extérieurs. La politique en matière de concurrence conduit à limiter la taille des leaders européens, sans voir la montée en puissance de la Chine. Ce nombrilisme a des effets destructeurs sur l’emploi et le commerce extérieur.
Il faut en premier lieu stabiliser la gouvernance des entreprises françaises en évitant les effets néfastes des manoeuvres d’investisseurs financiers court termistes (hedge funds, OPA hostiles) ; développer l’actionnariat salarié en mettant en place les protections indispensables ; réorienter les prises de participation de l’État (FSI, fonds de retraite) vers les industries exportatrices ; donner une place aux syndicats dans les conseils d’administration, afin de les associer à la stratégie de l’entreprise et en particulier à la localisation des emplois.
« Les grandes entreprises qui se portent le mieux exercent souvent des métiers régionaux. »
Au plan du développement technologique, il faut continuer à aider les PME dans leurs actions de recherche et d’innovation, mais aussi relancer de grands programmes industriels permettant de mobiliser les grandes entreprises.
Enfin, au plan fiscal, il faut envisager des incitations massives pour que les grands groupes français développent de nouveaux métiers permettant d’exporter à partir du territoire français.
Il est indispensable et urgent de revoir les choix politiques et institutionnels, tant au niveau français qu’au niveau européen, et de se rappeler que le consommateur est aussi un producteur.
Une nouvelle politique industrielle s’impose, dans laquelle le corps des Mines aura son rôle à jouer. À défaut, les temps seront très difficiles pour notre industrie et nos emplois.