Il ne suffit pas d’avoir l’idée d’un « sursaut », encore faut-il la vendre !

Dossier : Le SursautMagazine N°619 Novembre 2006
Par François BRUNOT (62)

Depuis cinq ans que j’ai choi­si de prendre une retraite très active dans les Hautes-Alpes, j’ai la chance de vivre huit mois par an au sein de la « France profonde ».
Je n’a­vais pas pré­vu le choc cultu­rel que cela repré­sen­te­rait pour un ancien res­pon­sable de banque inter­na­tio­nale, qui ne connais­sait guère d’autres conver­sa­tions que celles des voya­geurs de la classe affaires ou des dîners pari­siens, new-yor­kais ou viennois.
Mais je consi­dère que j’y ai beau­coup gagné humai­ne­ment et en com­pré­hen­sion de la situa­tion de notre pays.

Michel Cam­des­sus (Vers une nou­velle crois­sance pour la France), Michel Pébe­reau (Rompre avec la faci­li­té de la dette publique), les auteurs des nom­breux rap­ports sur les retraites (Jean-Michel Char­pin et alii), bien d’autres offi­ciels ou non, y com­pris X‑Sursaut, apportent leur contri­bu­tion à la réflexion sur les fai­blesses de la France et l’ur­gence des réformes à y appliquer.

Les hommes poli­tiques et plus géné­ra­le­ment « l’é­lite », au-delà d’une satis­fac­tion intel­lec­tuelle com­pré­hen­sible, se dotent ain­si d’i­dées per­ti­nentes et poten­tiel­le­ment utiles. Mal­heu­reu­se­ment, celles-ci sont sou­vent mal expli­quées, « ven­dues » de façon peu cré­dible et donc, sans sur­prise, mal per­çues ou incom­prises des Fran­çais « de base ».

Le seul com­mu­ni­cant talen­tueux serait-il Fran­çois de Clo­sets (Plus encore) ? Mais com­bien des 42 mil­lions d’é­lec­teurs de 2007 l’au­ront lu ?

Par­tons de quelques constats (dont cer­tains proches du pos­tu­lat, je l’avoue) :

le Fran­çais « moyen » (et pas seule­ment lui) a spon­ta­né­ment peur de la nou­veau­té, sur­tout quand elle vient de l’ex­té­rieur. Il n’aime pas le « vent du large » si on ne l’y pré­pare pas ;
 les réformes néces­saires com­portent presque tou­jours des remises en ques­tion d’a­van­tages « acquis » ;
 les citoyens-élec­teurs acceptent de moins en moins, non seule­ment la langue de bois (quand ce n’est pas le men­songe, au moins a pos­te­rio­ri), mais aus­si le « bon­heur mal­gré eux » que leur ont fabri­qué depuis soixante ans (et bien plus ?) les poli­tiques et leurs tech­no­crates (le Plan, l’Eu­rope), avec sou­vent les meilleures inten­tions du monde (cf. l’En­fer), tou­jours les meilleurs talents (mer­ci l’E­NA, l’X et autres), des réus­sites évi­dentes… mais pas à tout coup. Cette nou­velle conscience citoyenne est au fond une bonne chose pour la démo­cra­tie, mais com­plique dia­ble­ment la vie des décideurs ;
• « l’é­lite » qui peut seule ini­tier les réformes (notam­ment en fédé­rant cer­taines aspi­ra­tions citoyennes) est heu­reu­se­ment dans sa très grande majo­ri­té léga­liste et ni auto­ri­taire (encore qu’in­tel­lec­tuel­le­ment sou­vent arro­gante), ni révo­lu­tion­naire. Elle se flatte d’être répu­bli­caine et démo­crate… même si l’in­com­pré­hen­sion de l’o­pi­nion la hérisse plus qu’à l’occasion ;
 les médias tra­di­tion­nels, de plus en plus com­mer­ciaux, ne contri­buent guère à l’in­for­ma­tion-édu­ca­tion, ou alors dans des cré­neaux de faible dif­fu­sion (excep­tion pour LCP sur la TNT que j’ap­pré­cie beau­coup mais dont je ne connais pas l’audience) ;
 les nou­veaux médias (Inter­net) per­mettent des échanges plus « vécus » (peer-to-peer et pas seule­ment top-down) et plus répar­tis ; mal­heu­reu­se­ment sur nos sujets, ils sont rela­ti­ve­ment endo­gènes (« l’é­lite parle à l’é­lite »), car je constate dans mon dépar­te­ment recu­lé le faible taux de connexion et sur­tout d’u­ti­li­sa­tion effective ;
 les hommes poli­tiques res­tent et res­te­ront les yeux rivés sur leur réélection.

Dans ce contexte, le problème-clé n’est pas seulement de peaufiner les réformes nécessaires, mais de commencer par les « vendre » à une partie suffisante de l’opinion publique pour qu’elles soient viables politiquement et d’abord électoralement.

Or je ne vois pas grand-chose de pro­po­sé ni de fait en ce sens, hors des dis­cours for­cé­ment sus­pects des poli­tiques (tant on a l’im­pres­sion qu’il ne faut sur­tout pas dévoi­ler la par­tie « qui fâche » de son pro­gramme pour être élu) et des articles tan­tôt com­plai­sants, tan­tôt déma­go­giques des grands médias.

N’est-il pas urgent de créer un groupe de réflexion au sein d’X-Sur­saut, spé­ci­fi­que­ment sur ce thème de la péda­go­gie et de la com­mu­ni­ca­tion avec les élec­teurs sur les réformes ?

Quelques pistes de travail

• Tout « intel­lec­tuel » ou cadre supé­rieur de la fonc­tion publique ou du pri­vé (en com­men­çant bien sûr par les membres d’X-Sur­saut) devrait consa­crer au moins autant de temps à « l’é­du­ca­tion citoyenne » qu’à la réflexion per­son­nelle et au tra­vail en commission.

Tous devraient s’en­ga­ger au quo­ti­dien pour expli­quer très concrè­te­ment et aus­si sim­ple­ment que pos­sible, avec ses convic­tions mais sans com­plai­sance ni par­ti pris, le fonc­tion­ne­ment, les avan­tages, les limites, les défauts de l’é­co­no­mie de mar­ché, le rôle le plus sou­vent posi­tif mais par­fois néga­tif des entre­prises même grandes et inter­na­tio­nales, les champs d’ac­tion et les contraintes des déci­sions et des deniers publics, etc.

Les audiences existent au sein des struc­tures de dif­fu­sion du savoir ou de réflexion par­ti­ci­pa­tive, les plus proches pos­sibles de l’é­lec­teur « de base » (éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment du pri­maire et du secon­daire, MJC et les mul­tiples asso­cia­tions gra­vi­tant autour, Uni­ver­si­tés du Temps libre ou de Tous les Savoirs ou du Troi­sième Âge, groupes d’a­ni­ma­tion de quar­tiers, col­lec­tifs et débats « citoyens », etc.).

Cer­taines de ces orga­ni­sa­tions ont par­fois une colo­ra­tion idéo­lo­gique, expli­cite ou du fait de leur socio­lo­gie ; mais on peut y appor­ter une touche de réa­lisme et de rai­son concrète, si l’on s’y implique en les aidant à bâtir leurs pro­grammes, à trou­ver des inter­ve­nants, en y plan­chant soi-même à l’oc­ca­sion, sans fuir s’il le faut le débat contra­dic­toire (il y a eu tant d’oc­ca­sions ratées avant le réfé­ren­dum euro­péen : le résul­tat en aurait pro­ba­ble­ment été dif­fé­rent si les par­ti­sans du Oui s’é­taient mobi­li­sés dès sep­tembre 2004, comme les alter­mon­dia­listes et autres par­ti­sans du Non, au lieu de se réveiller trois mois avant un scru­tin qu’ils croyaient gagné d’avance).

. Que tous les « pen­seurs » essaient d’é­crire dans et pour les jour­naux locaux et asso­cia­tifs, et pas seule­ment dans La Jaune et la Rouge, Le Figa­ro, Le Monde, Les Échos » et autres, qui ne sont lus que par les sphères proches des pou­voirs poli­ti­co-socio-éco­no­miques éta­blis (à nou­veau « l’é­lite parle à l’élite »).

. Que des orga­nismes offi­ciels, neutres (s’il en existe de cré­dibles) ou « mul­ti­par­ti­sans » (Conseil éco­no­mique et social, Assem­blée natio­nale, Sénat, etc.) patronnent une action de sen­si­bi­li­sa­tion-édu­ca­tion dans le domaine éco­no­mique et social équi­valent à « La main à la pâte » pour la démarche scien­ti­fique. Il fau­dra peut-être sur­mon­ter le par­ti pris de cer­tains ensei­gnants, mais cela n’empêche pas de com­men­cer avec ceux qui sont le plus « ouverts ». Ne lais­sons pas cette res­pon­sa­bi­li­té au minis­tère des Finances, mal pla­cé pour être per­çu comme objectif.

 Que les chaînes publiques consacrent bud­get et temps d’an­tenne en « prime time » à de l’in­for­ma­tion-sen­si­bi­li­sa­tion-édu­ca­tion à la fois intel­li­gente et attrayante, l’au­dience dût-elle en souf­frir ! Un vrai débat sur l’in­dé­pen­dance poli­tique et finan­cière, et sur les fina­li­tés et cri­tères d’é­va­lua­tion de ces chaînes publiques en est-il un préalable ?

 Comme pour le fond, que l’on s’ins­pire de ce qui réus­sit dans ces domaines édu­ca­tif et de com­mu­ni­ca­tion dans des pays plus proches de nous pour la culture éco­no­mique que les pays anglo-saxons, sans négli­ger ces der­niers pour autant même s’ils servent trop faci­le­ment de repoussoir.

Ces quelques réflexions n’ap­portent rien au fond du débat théo­rique, j’en suis conscient. Mais peut-être pour­ront-elles contri­buer à ce qu’il devienne jus­te­ment moins « dés­in­car­né », et sur­tout à aug­men­ter les chances que ses conclu­sions soient accep­tées par les élec­teurs, et donc « pres­crip­tibles » pour les can­di­dats aux fonc­tions poli­tiques élec­tives qui n’ont pas le goût du suicide.

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