Il ne suffit pas d’avoir l’idée d’un « sursaut », encore faut-il la vendre !
Depuis cinq ans que j’ai choisi de prendre une retraite très active dans les Hautes-Alpes, j’ai la chance de vivre huit mois par an au sein de la « France profonde ».
Je n’avais pas prévu le choc culturel que cela représenterait pour un ancien responsable de banque internationale, qui ne connaissait guère d’autres conversations que celles des voyageurs de la classe affaires ou des dîners parisiens, new-yorkais ou viennois.
Mais je considère que j’y ai beaucoup gagné humainement et en compréhension de la situation de notre pays.
Michel Camdessus (Vers une nouvelle croissance pour la France), Michel Pébereau (Rompre avec la facilité de la dette publique), les auteurs des nombreux rapports sur les retraites (Jean-Michel Charpin et alii), bien d’autres officiels ou non, y compris X‑Sursaut, apportent leur contribution à la réflexion sur les faiblesses de la France et l’urgence des réformes à y appliquer.
Les hommes politiques et plus généralement « l’élite », au-delà d’une satisfaction intellectuelle compréhensible, se dotent ainsi d’idées pertinentes et potentiellement utiles. Malheureusement, celles-ci sont souvent mal expliquées, « vendues » de façon peu crédible et donc, sans surprise, mal perçues ou incomprises des Français « de base ».
Le seul communicant talentueux serait-il François de Closets (Plus encore) ? Mais combien des 42 millions d’électeurs de 2007 l’auront lu ?
Partons de quelques constats (dont certains proches du postulat, je l’avoue) :
• le Français « moyen » (et pas seulement lui) a spontanément peur de la nouveauté, surtout quand elle vient de l’extérieur. Il n’aime pas le « vent du large » si on ne l’y prépare pas ;
• les réformes nécessaires comportent presque toujours des remises en question d’avantages « acquis » ;
• les citoyens-électeurs acceptent de moins en moins, non seulement la langue de bois (quand ce n’est pas le mensonge, au moins a posteriori), mais aussi le « bonheur malgré eux » que leur ont fabriqué depuis soixante ans (et bien plus ?) les politiques et leurs technocrates (le Plan, l’Europe), avec souvent les meilleures intentions du monde (cf. l’Enfer), toujours les meilleurs talents (merci l’ENA, l’X et autres), des réussites évidentes… mais pas à tout coup. Cette nouvelle conscience citoyenne est au fond une bonne chose pour la démocratie, mais complique diablement la vie des décideurs ;
• « l’élite » qui peut seule initier les réformes (notamment en fédérant certaines aspirations citoyennes) est heureusement dans sa très grande majorité légaliste et ni autoritaire (encore qu’intellectuellement souvent arrogante), ni révolutionnaire. Elle se flatte d’être républicaine et démocrate… même si l’incompréhension de l’opinion la hérisse plus qu’à l’occasion ;
• les médias traditionnels, de plus en plus commerciaux, ne contribuent guère à l’information-éducation, ou alors dans des créneaux de faible diffusion (exception pour LCP sur la TNT que j’apprécie beaucoup mais dont je ne connais pas l’audience) ;
• les nouveaux médias (Internet) permettent des échanges plus « vécus » (peer-to-peer et pas seulement top-down) et plus répartis ; malheureusement sur nos sujets, ils sont relativement endogènes (« l’élite parle à l’élite »), car je constate dans mon département reculé le faible taux de connexion et surtout d’utilisation effective ;
• les hommes politiques restent et resteront les yeux rivés sur leur réélection.
Dans ce contexte, le problème-clé n’est pas seulement de peaufiner les réformes nécessaires, mais de commencer par les « vendre » à une partie suffisante de l’opinion publique pour qu’elles soient viables politiquement et d’abord électoralement.
Or je ne vois pas grand-chose de proposé ni de fait en ce sens, hors des discours forcément suspects des politiques (tant on a l’impression qu’il ne faut surtout pas dévoiler la partie « qui fâche » de son programme pour être élu) et des articles tantôt complaisants, tantôt démagogiques des grands médias.
N’est-il pas urgent de créer un groupe de réflexion au sein d’X-Sursaut, spécifiquement sur ce thème de la pédagogie et de la communication avec les électeurs sur les réformes ?
Quelques pistes de travail
• Tous devraient s’engager au quotidien pour expliquer très concrètement et aussi simplement que possible, avec ses convictions mais sans complaisance ni parti pris, le fonctionnement, les avantages, les limites, les défauts de l’économie de marché, le rôle le plus souvent positif mais parfois négatif des entreprises même grandes et internationales, les champs d’action et les contraintes des décisions et des deniers publics, etc.
Les audiences existent au sein des structures de diffusion du savoir ou de réflexion participative, les plus proches possibles de l’électeur « de base » (établissements d’enseignement du primaire et du secondaire, MJC et les multiples associations gravitant autour, Universités du Temps libre ou de Tous les Savoirs ou du Troisième Âge, groupes d’animation de quartiers, collectifs et débats « citoyens », etc.).
Certaines de ces organisations ont parfois une coloration idéologique, explicite ou du fait de leur sociologie ; mais on peut y apporter une touche de réalisme et de raison concrète, si l’on s’y implique en les aidant à bâtir leurs programmes, à trouver des intervenants, en y planchant soi-même à l’occasion, sans fuir s’il le faut le débat contradictoire (il y a eu tant d’occasions ratées avant le référendum européen : le résultat en aurait probablement été différent si les partisans du Oui s’étaient mobilisés dès septembre 2004, comme les altermondialistes et autres partisans du Non, au lieu de se réveiller trois mois avant un scrutin qu’ils croyaient gagné d’avance).
. Que tous les « penseurs » essaient d’écrire dans et pour les journaux locaux et associatifs, et pas seulement dans La Jaune et la Rouge, Le Figaro, Le Monde, Les Échos » et autres, qui ne sont lus que par les sphères proches des pouvoirs politico-socio-économiques établis (à nouveau « l’élite parle à l’élite »).
. Que des organismes officiels, neutres (s’il en existe de crédibles) ou « multipartisans » (Conseil économique et social, Assemblée nationale, Sénat, etc.) patronnent une action de sensibilisation-éducation dans le domaine économique et social équivalent à « La main à la pâte » pour la démarche scientifique. Il faudra peut-être surmonter le parti pris de certains enseignants, mais cela n’empêche pas de commencer avec ceux qui sont le plus « ouverts ». Ne laissons pas cette responsabilité au ministère des Finances, mal placé pour être perçu comme objectif.
• Que les chaînes publiques consacrent budget et temps d’antenne en « prime time » à de l’information-sensibilisation-éducation à la fois intelligente et attrayante, l’audience dût-elle en souffrir ! Un vrai débat sur l’indépendance politique et financière, et sur les finalités et critères d’évaluation de ces chaînes publiques en est-il un préalable ?
• Comme pour le fond, que l’on s’inspire de ce qui réussit dans ces domaines éducatif et de communication dans des pays plus proches de nous pour la culture économique que les pays anglo-saxons, sans négliger ces derniers pour autant même s’ils servent trop facilement de repoussoir.
Ces quelques réflexions n’apportent rien au fond du débat théorique, j’en suis conscient. Mais peut-être pourront-elles contribuer à ce qu’il devienne justement moins « désincarné », et surtout à augmenter les chances que ses conclusions soient acceptées par les électeurs, et donc « prescriptibles » pour les candidats aux fonctions politiques électives qui n’ont pas le goût du suicide.