Il n’y a rien à changer au Bitcoin… Ça n’est juste pas une monnaie
Le Bitcoin est-il ou peut-il être une monnaie ? Cette question est sur de nombreuses lèvres depuis le premier « boom » du Bitcoin en 2017. La réponse est claire : le Bitcoin n’a pas été conçu pour être une monnaie digne de ce nom, ce qui nécessite de la confiance. Il a été conçu pour se passer de confiance et dès lors son architecture a des conséquences qui sont rédhibitoires pour une monnaie. Lightning n’y change rien. Bitcoin ne sera jamais une monnaie, passons à autre chose !
Un vieil adage, attribué au fil des décennies à différents auteurs, bien connu chez les économistes, est que l’homme a inventé la monnaie, puis a oublié qu’il l’avait inventée, allant jusqu’à considérer la monnaie comme un élément aussi exogène que le soleil. Les récents débats autour du Bitcoin, et de sa capacité à être une monnaie, nous rappellent que cet adage est plus que jamais d’actualité. Sauf que cette fois cet adage s’étend non seulement à la monnaie elle-même, mais également à la technologie particulière du Bitcoin, qui permet son existence. On pourrait ainsi dire que « l’humanité a inventé le Bitcoin, puis a oublié qu’elle l’avait inventé ».
Le Bitcoin a ses défauts pour de bonnes raisons
En effet, les défauts du Bitcoin qui limitent ou empêchent son utilisation comme une vraie monnaie : sa lenteur, son volume limité de transactions, sa forte consommation énergétique par la fameuse « preuve de travail », sa forte volatilité, n’en sont tout simplement pas. « It’s not a bug, it’s a feature », dit-on en langue anglaise : la lenteur, le volume limité, la consommation énergétique élevée du Bitcoin, la variabilité de son cours, ne sont pas des défauts qu’il faudrait corriger, mais des caractéristiques fondamentales qui ont assuré son succès (d’où probablement les échecs ou le manque d’engouement pour les variantes du Bitcoin – comme le Bitcoin Cash ou, plus récemment, la solution Lightning – qui modifient la technologie en gommant ses défauts).
Des compromis nécessaires
Même si les origines du Bitcoin restent enveloppées de mystère (personne ne sait à ce jour qui est – ou qui sont – le fameux Satoshi Nakamoto, inventeur du Bitcoin), son objectif est clair : permettre des échanges entièrement décentralisés et à grande échelle entre individus dans un système entièrement ouvert, transparent, sans aucun intermédiaire de confiance, sans confiance nécessaire entre les participants, libre de tout attachement à un autre actif ou monnaie, démocratique (ce qui veut dire qu’aucun participant ne peut avoir un poids largement plus important que d’autres), et raisonnablement sûr (contrairement à nombre de systèmes antérieur, le Bitcoin adopte le principe de réseau pair-à-pair suffisamment sûr défini par Gatti, Lewis, Ozment, Rayna et Serjantov (2004) : la « difficulté » du minage augmente avec la popularité du Bitcoin, qu’il aurait été très facile d’attaquer dans ses premières années) et utilisant des actifs technologiques standards et largement disponibles.
Le système qui en résulte, le Bitcoin, et la version particulière de la technologie blockchain qui le sous-tend ont donc été inventés de manière à remplir chacune de ces exigences. Mais, faute de baguette magique, remplir ce cahier des charges a nécessité un certain nombre de compromis, ceux-là mêmes qui sont depuis au moins la première hype Bitcoin en 2017 remis en cause de manière quasi permanente.
Des limites qui ne sont pas technologiques
Or toutes les solutions offertes aux problèmes du Bitcoin montrent qu’on a tout simplement oublié ce pour quoi il a été créé. Par exemple, le volume arbitrairement limité de transactions pouvant être traitées dans chaque bloc (qui ont une taille maximale de 1 Mo, soit autour de 2 000 transactions) et la lenteur artificielle du réseau (un bloc validé toutes les dix minutes environ) ne sont pas des limites d’ordre technologique, mais une nécessité pour assurer la convergence du Bitcoin vers une version unique du fameux registre ou carnet de compte (chacun gardant et mettant à jour sa propre copie du fameux ledger, ou registre, et les transactions et les blocs étant émis et diffusés de manière décentralisée, a priori il n’y a aucune raison pour qu’à un instant donné un participant ait devant lui une version du registre identique à celle d’un autre), sachant que chacun en garde sa propre version qu’il met à jour de manière dynamique, sans que personne ne soit là pour donner le « la ».
Augmenter la vitesse et le volume de transactions dans un système ouvert, de grande échelle et décentralisé pourrait tout simplement empêcher une telle convergence et rendrait alors les transactions impossibles.
Augmenter la « bande passante » du Bitcoin remettrait d’ailleurs potentiellement en cause un autre des prérequis fondamentaux du Bitcoin : sa relative sécurité. En effet, une manière d’attaquer le Bitcoin n’est pas tant de réécrire frauduleusement des blocs en mobilisant une puissance de calcul inouïe, mais (en s’appuyant sur les imperfections du réseau) d’abreuver le réseau de blocs certes légitimes, mais incohérents et contradictoires, afin d’en empêcher la convergence. Si personne n’est plus en mesure de se mettre d’accord avec les autres sur l’état des comptes, le Bitcoin ne fonctionne tout simplement plus.
Une question de confiance
Mais augmenter le volume et la vitesse de transaction remettrait également en cause un autre aspect fondamental du Bitcoin et qui est une source de confiance en ce système : sa transparence, qui provient de la capacité de tout un chacun d’auditer la blockchain du Bitcoin en examinant toutes les transactions depuis le lancement du Bitcoin, afin de vérifier qu’elles sont toutes, ainsi que les blocs qui les contiennent, valides, et ainsi confirmer que les transactions faites aujourd’hui s’appuient effectivement sur des actifs existants (une transaction dans le Bitcoin n’est valide que si elle n’implique pas de « surdépense » : on ne peut pas être à découvert dans le Bitcoin et toute dépense supérieure à ses avoirs est tout simplement considérée comme invalide).
Or à l’heure actuelle, la blockchain du Bitcoin pèse déjà plus de 500 Go, ce qui fait qu’elle ne tient déjà plus sur la vaste majorité des terminaux utilisés pour les transactions Bitcoin : les smartphones. Augmenter le volume ou la vitesse de validation ne ferait qu’amplifier ce problème. Par exemple, la taille de la blockchain Bitcoin SV, une des deux variantes du Bitcoin Cash, lancée fin 2018, qui permet des blocs 128 fois plus gros que ceux du Bitcoin, avec une vitesse de transaction mesurée pour le Bitcoin en secondes au lieu de minutes, voire d’heures, se comptent en dizaines de millions de Go, soit une dizaine de pétaoctets ! Où sont le contrôle démocratique et la transparence lorsque littéralement personne n’est en mesure de stocker de telles données afin de pouvoir les auditer ?
Ainsi, augmenter le volume et la rapidité des transactions du Bitcoin nécessiterait plus de confiance : plus de confiance dans le fait que la technologie pourrait résister à d’éventuelles attaques (ou tout simplement converger et, ainsi, fonctionner) et plus de confiance dans le fait que le registre actuel n’aurait pas été manipulé, tant il serait impossible pour le commun des mortels de revérifier l’intégralité des transactions. Il faudrait nécessairement faire confiance aux très rares parties prenantes en mesure de le faire, ce qui remettrait là aussi en cause deux des prérequis essentiels du Bitcoin : sa « démocratie » et sa transparence.
L’intérêt de la preuve de travail
Une telle remise en cause des fondamentaux du Bitcoin (absence de confiance, sécurité, démocratie) se retrouve d’ailleurs dans une autre des facettes noires du Bitcoin : la preuve de travail. Son coût à la fois financier et énergétique en est tel que nombreux sont ceux qui ont essayé de la remplacer par d’autres méthodes de validation, telle la preuve d’enjeu (proof of stake en anglais) ou la preuve de destruction (proof of burn en anglais).
Mais ces méthodes ne sont pas magiquement moins coûteuses. Elles le sont parce qu’elles impliquent nécessairement une plus grosse concentration de pouvoir entre les mains de certains participants (les gros porteurs), ce qui rompt avec un des principes phares du Bitcoin, son côté démocratique. Parallèlement, ce type de mécanismes de validation sont reconnus pour être moins sûrs et plus manipulables, ce qui requiert une plus grande confiance à la fois dans le système lui-même et dans le fait que l’intérêt des gros porteurs est bien le même que celui du reste des participants.
L’inévitable volatilité
Outre ces aspects, la forte fluctuation du Bitcoin est souvent mise en avant comme un de ses principaux défauts. En effet, comme le rappelle Jean Tirole (X73), pour qu’un actif devienne une monnaie, il faut nécessairement qu’il soit à la fois une réserve de valeur, un moyen d’échange et une unité de compte. Les frais élevés considérablement élevés des transactions en Bitcoin et le temps nécessaire pour valider ces transactions font qu’il ne peut être un moyen d’échange (la solution proposée à ces deux écueils étant, tel qu’évoqué ci-dessus, d’augmenter la bande passante du Bitcoin). Sa forte volatilité chronique fait qu’il ne peut jouer le rôle d’une réserve de valeur.
Réduire cette volatilité requerrait l’existence dans le système Bitcoin d’une forme de politique monétaire (consistant en une destruction de Bitcoin lorsqu’il évolue trop à la baisse et en une émission plus grande de Bitcoin lorsqu’il monte de façon trop forte), mais cela contreviendrait tout simplement à d’autres fondamentaux du Bitcoin : son non-attachement à tout autre actif (sur quel actif se fonder pour décider d’une politique monétaire : le dollar ? l’euro ? l’or ?), sa décentralisation et le fait qu’il doit fonctionner en l’absence de confiance entre participants.
Une monnaie, quand même ?
Ainsi, pour que le Bitcoin devienne une monnaie, il faudrait le modifier d’une manière qui remettrait totalement en cause ses principes fondateurs, lesquels sont sans aucun doute à l’origine de son succès : moult cryptomonnaies ou cryptoactifs ont essayé de remplacer le Bitcoin, et ce sans succès, car cela revient à oublier ce pour quoi le Bitcoin a été créé. Mais, même en l’état, avec ses défauts et ses limites, certains envisagent néanmoins le Bitcoin jouant un rôle de monnaie. Cela correspond à la vision romantique d’une monnaie dénuée de toute politique monétaire et ayant une valeur naturelle, telle que l’or qui a longtemps servi d’étalon. C’est d’ailleurs une telle vision romantique qui a été adoptée par les créateurs du Bitcoin : le choix du nom de mineur et le stock arbitrairement limité du nombre total de Bitcoins n’est surement pas anodin.
« La vision romantique d’une monnaie dénuée de toute politique monétaire et ayant une valeur « naturelle ». »
Si une telle vision de la monnaie correspond effectivement à celle d’un courant très minoritaire au sein des économistes (l’école autrichienne), elle est cependant contestée par la majeure partie des économistes, y compris les plus stricts en matière de politique monétaire : même Milton Friedman, pour ne prendre qu’un exemple, considère nécessaire qu’une banque centrale alimente l’économie en monnaie à mesure que la quantité de biens et services produits dans l’économie augmente, afin de ne pas en bloquer la croissance : si le stock de monnaie ne croît pas, alors que la production augmente, cela conduit nécessairement à une déflation, chose rarement acceptée par les humains pour des questions… de confiance (est-ce qu’on me paye moins parce qu’il y a de la croissance, ce que je ne peux mesurer, ou parce que je me fais duper ?).
Les limites de la confiance
C’est d’ailleurs ce manque d’émission monétaire qui compromet la seconde raison généralement avancée : le cas d’un État défaillant ou d’une économie en grande difficulté avec une inflation galopante. Une croyance assez répandue est que dans de tels cas, malgré ses défauts, le Bitcoin pourrait faire mieux que la monnaie officielle. Outre l’adoption officielle très médiatisée du Bitcoin au Salvador, l’Argentine, le Liban ou le Nigéria sont autant d’exemples de pays fréquemment mentionnés comme étant de grands utilisateurs du Bitcoin pour faire face à une économie défaillante.
Si l’idée est séduisante sur le papier, elle pose dans la pratique un problème de taille. En effet, à l’origine, l’accès au Bitcoin est relativement ouvert : pour avoir du Bitcoin, il suffit de miner avec un simple PC et, si l’on y passe un petit peu de temps, on finit par obtenir du Bitcoin. Mais ce temps est depuis longtemps révolu et, de nos jours, le minage du Bitcoin est devenu tellement ardu que nul n’ayant à sa disposition une ferme d’ordinateurs haute performance ne peut espérer d’obtenir du Bitcoin en minant. Et la quantité arbitrairement finie de Bitcoin fait qu’il sera à terme impossible de se procurer du Bitcoin autrement qu’en passant par une personne qui possède déjà du Bitcoin.
Or c’est un problème de taille car, si le minage de Bitcoin ne nécessite aucune confiance, l’échange de Bitcoin contre un autre actif auprès d’une personne en possédant requiert, elle, de la confiance, ou l’existence d’intermédiaires de confiance : comment s’assurer qu’une personne à qui on donne de l’argent (ou autre chose) nous transférera bien les Bitcoins promis, quand une simple transaction en Bitcoin peut prendre des heures à être validée ? Sans surprise, dans ces pays, les escroqueries au Bitcoin sont légion.
L’inconvénient de la limite d’émission
Ainsi, la limite arbitraire d’émission de Bitcoin, tant louée par certains comme permettant de se passer de toute forme de confiance (contrairement à une banque centrale qui mène une politique monétaire) est, au contraire, une limite arbitraire qui impose l’existence de confiance pour que les échanges aient lieu. Pour que le Bitcoin soit véritablement trustless, il aurait fallu permettre de continuer à pouvoir entrer dans ce système à la propre sueur de son front (ou plutôt de sa computation), mais cela est tout simplement incompatible avec la nécessité de rendre le minage de plus en plus difficile à mesure que le Bitcoin prend de la valeur, afin d’éviter toute attaque.
Or c’est précisément cette difficulté variable qui pose un problème fondamental, et pourtant peu souvent mis en avant, dans le cas du Bitcoin, problème qui peut conduire à remettre en question la confiance qu’on accorde à sa technologie. En effet la difficulté progressive du minage est source de double concentration. D’une part, au début il est très facile de miner, donc les premiers adoptants concentrent rapidement une quantité forte de Bitcoins. Ça ne serait pas un problème si la quantité d’émission de nouveaux Bitcoins était continue, voire croissante. Or elle est décroissante et tombera dans quelques années à zéro, ce qui signifie que les premiers adoptants tendent à concentrer dans leurs mains une très forte proportion de la quantité de Bitcoins existants, et ça représente un risque certain de manipulation du cours du Bitcoin.
À l’inverse, la difficulté croissante du minage a conduit à une concentration croissante des mineurs, qui sont devenus à mesure que le minage devenait plus ardu des acteurs de plus en plus gros, équipés d’équipement informatique extrêmement coûteux (des centaines de milliers, voire des millions de dollars), qui se regroupent au sein de cartels nommés pools. Or certains de ces pools sont devenus tellement gros et puissants qu’ils ont franchi la barre fatidique des 51 % de la capacité de minage, ce qui leur donne en théorie le contrôle, ou tout du moins un pouvoir d’influence certain sur le Bitcoin.
La variabilité de la difficulté du minage
Pour résumer, le Bitcoin ne se comporte pas comme une monnaie et n’a pas été adopté comme monnaie, parce que factuellement il n’a pas été conçu pour, ce que nombre de réflexions semblent oublier : son design favorise l’ouverture, la décentralisation et une sécurité suffisante, au prix d’un nombre limité de transactions, à un coût énergétique et monétaire élevé, ce qui restreint de facto son utilisation pour des opérations courantes.
Mais, au-delà de cela, le Bitcoin souffre de travers supplémentaires, probablement eux non intentionnels, liés à la variabilité de la difficulté du minage, pourtant au cœur de son système de sécurité : cette variabilité rend de fait obligatoire une certaine dose de confiance, soit dans des personnes qui servent de point d’entrée au Bitcoin (parce qu’en possédant), soit dans le fait que les « gros » du Bitcoin – détenteurs, mineurs – n’adopteront pas un comportement qui serait au détriment du reste des utilisateurs. Une belle ironie, lorsqu’on sait que, justement, l’objectif du Bitcoin était de permettre des échanges dans un environnement entièrement dénué de confiance.
Peut-on dépasser les défauts du Bitcoin ?
Ces limites du Bitcoin ont donné naissance, outre la création de cryptomonnaies concurrentes, à diverses solutions ayant pour but de rendre l’utilisation du Bitcoin plus commode pour des transactions quotidiennes. C’est le cas des exchanges, des plateformes ou places de marché qui se proposent de faciliter les transactions en Bitcoin et l’échange de Bitcoin contre des devises. Mais ceux-ci sont sujets à de forts risques en matière de sécurité. D’ailleurs les cas majeurs de vol ou de confiscation de Bitcoin ont eu lieu à cause de ces exchanges : au-delà du fait que certains escroquent tout simplement leurs utilisateurs, d’autres n’ont tout simplement pas un niveau de sécurité suffisant. Il faut donc bien choisir son exchange, c’est-à-dire qu’il faut lui faire confiance.
Et Lightning ?
C’est pour éviter ce type de problème qu’une solution technologique d’intermédiation a été lancée il y a quelques années : le réseau Lightning, dont le but est de créer des chambres de compensation électroniques entre individus. Ces chambres de compensation peuvent être bilatérales, mais revêtent alors, en dehors du cadre théorique, un intérêt assez limité (avec qui avez-vous des flux financiers réciproques, mais uniquement en Bitcoin ? n’avez-vous généralement pas une relation de confiance avec quelqu’un avec qui vous échangez régulièrement ?), ou multilatérales, grâce à des nœuds qui servent de relai aux transactions entre individus n’ayant pas ensemble de chambre de compensation bilatérale.
Est-ce que cela fonctionne en pratique ? Si l’on compare l’utilisation du Lightning avec celle du Bitcoin, on se rend compte de l’existence d’un niveau de sécurité moins élevé, d’une concentration plus forte (existence de nœuds), d’un niveau de résilience plus faible (nœuds passant « hors ligne » pouvant causer des inconsistances dans les carnets de compte et permettant potentiellement à certains de dépenser deux fois la même pièce) et d’un taux de succès des transactions dans certains cas assez faible. On fait donc face à une technologie qui est moins « de confiance » que celle du Bitcoin et qui requiert, là aussi, d’avoir plus confiance dans les acteurs avec lesquels on échange que cela ne serait nécessaire avec le Bitcoin.
Les limites de Lightning
Pour autant, contrairement à sa promesse, le Lightning ne permet pas de résoudre les défauts du Bitcoin, ce qui permettrait de l’utiliser comme une vraie monnaie. Si le réseau Lightning permet bien en théorie d’accélérer les transactions, en pratique ce réseau est soumis à un problème de liquidité, tout particulièrement lorsque le Bitcoin devient volatile. De même, lors de transferts entre deux individus distants, un échec répété des transactions (il faut trouver un chemin acceptable entre les nœuds) ralentit les paiements. Malgré son potentiel, le réseau Lightning ne tournait courant 2023 qu’à 2,4 transactions par seconde, contre 4,4 pour le Bitcoin à la même période, un comble !
Autre problème du Bitcoin, si l’on souhaite en faire une vraie monnaie, auquel le réseau Lightning se heurte : les frais de transaction. Certes, on économise en faisant moins appel au Bitcoin mais, même si l’on se limitait à une seule transaction en Bitcoin, le niveau de ces dernières (en moyenne près de 13 $ par transaction en 2023, avec des pics à près de 40 $) rendrait son utilisation bien plus coûteuse que la plupart des moyens de paiement habituels, surtout que les intermédiaires sur le réseau Lightning (les nœuds), qui peuvent d’ailleurs être nombreux entre deux individus particuliers, prennent également des frais de transaction (modestes à ce stade) au passage.
Mais, surtout, un autre aspect du Bitcoin pose problème : la forte volatilité de sa valeur représente un écueil majeur dans l’adoption du Lightning ou de tout autre protocole de ce genre ; pour simplifier, ouvrir un canal d’échange sur ce réseau requiert un collatéral en Bitcoin (afin de réduire les risques de défection), mais il se peut très bien que, lorsqu’on ferme le canal (c’est-à-dire lorsqu’on règle le solde de la chambre de compensation), le cours du Bitcoin ait entretemps beaucoup évolué, ce qui peut représenter pour certains participants un gain ou une perte très importante.
Lightning n’est pas la solution
Par conséquent, le protocole Lightning n’est en aucun cas la solution annoncée afin de résoudre les « problèmes » du Bitcoin, et ça n’est sans doute pas une surprise que, cinq ans après son lancement, et ce malgré la forte croissance des transactions en Bitcoin sur cette même période, l’utilisation de ce protocole reste à ce jour très minoritaire (la fourchette haute de l’estimation du nombre d’utilisateurs du protocole Lightning semble s’établir à un million, à comparer à un nombre d’utilisateurs de Bitcoin qui estimé entre 60 et plus d’une centaine de millions) et son adoption, après un démarrage poussif, stagne depuis fin 2022, ce qui démontre que ce protocole correspond bien à un usage, mais un usage de niche. Et un usage de niche qui demande une certaine dose de confiance (dans la technologie et dans les autres utilisateurs).
« Un usage de niche qui demande une certaine dose de confiance. »
« Ayez confiance ! (ou pas…) »
« Confiance ». Ce mot résume à lui seul tous les fantasmes et toutes les controverses qui entourent le Bitcoin. À l’origine un manque de confiance dans les banques, mais tout particulièrement dans les banques centrales et les politiques, qui motive la création du Bitcoin en 2008, puis son adoption rapide. Confiance (aveugle ?) dans la technologie qui sous-tend ce Bitcoin, la blockchain, et qui nous fait rêver d’un système monétaire décentralisé, objectif, non manipulable, et par conséquent trustless, lequel rend la confiance entre humains, normalement un prérequis à nos échanges, entièrement optionnelle.
Confiance qui, finalement, nous fait croire que, dans ce nouveau monde, n’importe qui, exchanges, nodes, etc. peut devenir un intermédiaire à nos transactions financières, là où auparavant seules les institutions les plus régulées pouvaient jouer un tel rôle. Perte de confiance soudaine envers Celsius Network, FTX, Voyager… certains des plus gros exchanges de cryptoactifs, qui par leur faillite causeront une soudaine crise de confiance envers les cryptomonnaies dans leur ensemble. Confiance que, depuis lors, les partisans et investisseurs dans les cryptomonnaies actifs essayent désespérément de restaurer.
« Pas de monnaie sans confiance », disait Michel Aglietta (X59). Comme nous l’avons exposé ci-dessus, pour que le trustless Bitcoin devienne une monnaie, il faudrait qu’il cesse d’être trustless, mais quel en serait alors l’intérêt ? Monnaie sans confiance est chimère. Bitcoin comme monnaie est chimère. Les vraies cryptomonnaies ne pourront être portées que par des autorités de confiance, que cela nous plaise ou non.
Bitcoin ain’t broken, so don’t fix it – it’s just not a currency, get over it !