« Il y a encore de grandes aventures industrielles à écrire en France »
Avec son projet de gigafactory en France d’ici 2025, CARBON ambitionne de re-développer une industrie du photovoltaïque solaire. Souveraineté énergétique, décarbonation, réindustrialisation de la France… sont autant d’enjeux qui mobilisent la société industrielle. Le point avec Pierre-Emmanuel Martin, son cofondateur et président.
Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas de créer ex-nihilo une filière autour du photovoltaïque solaire, mais plutôt de s’appuyer sur le substrat d’une filière industrielle en perte de vitesse depuis la fin des années 90 en France. Qu’en est-il ?
Jusqu’à la fin des années 90 et le début des années 2000, nous avions en Europe une filière industrielle complète autour de cette énergie. À partir de 2002, nous avons assisté à la montée en puissance de la Chine, qui était perçue comme un atelier de fabrication industrielle à bas coût. Aujourd’hui, il nous faut reconnaître que les Chinois ont permis au solaire de devenir ultra-compétitif et qu’ils proposent des technologies très avancées.
Avec l’augmentation de la demande, l’État chinois a développé une véritable vision stratégique autour de cette technologie dont ils peuvent maîtriser la chaîne de valeur, étant donné qu’ils s’approvisionnent en pièces industrielles, en silicium, ou encore en verre dans leur propre écosystème industriel.
À partir de 2020, entre souveraineté économique et crise énergétique, nous avons constaté que les conditions politiques et économiques pour le re-développement de la filière industrielle photovoltaïque européenne étaient réunies, ce qui constitue, par ailleurs, un réponse à notre dépendance stratégique à l’égard de la Chine sur les technologies vertes. D’un point de vue technologique et industriel, le photovoltaïque solaire s’appuie sur des processus matures et éprouvés. En outre, c’est aussi la seule énergie décarbonée qui peut être facilement et rapidement mobilisée dans un contexte marqué par l’accélération de la décarbonation et l’électrification des usages.
C’est donc dans ce cadre que le projet CARBON a vu le jour…
CARBON est une société industrielle née de rencontres entre différents acteurs de la filière du solaire et de l’industrie en 2020 et 2021. Notre ambition est de créer les conditions favorables au développement d’une filière française industrielle intégrée autour du solaire photovoltaïque. Dans cette démarche, nous répondons à une problématique clé à l’échelle européenne : l’accélération de la décarbonation des systèmes énergétiques alors que les besoins en électricité vont augmenter massivement.
Pour CARBON, la solution est claire : il s’agit de maîtriser le cœur de la chaîne de valeur du solaire photovoltaïque (lingot, module, wafer, cellule) pour fabriquer des produits photovoltaïques compétitifs, fiables, durables, haut rendement et très bas carbone.
Cela implique de relever 4 enjeux structurants :
- soutenir et renforcer les écosystèmes existants pour assurer développement et compétitivité de la filière ;
- créer les conditions favorables à l’industrialisation profonde, durable et résiliente de ce secteur notamment sur le plan financier, législatif et réglementaire ;
- structurer une filière de formation initiale et continue autour des métiers industriels du secteur (de l’infrabac au bac +8) ;
- développer la R&D et l’innovation technologique en s’appuyant sur l’écosystème européen de premier plan existant.
Si d’un point de vue politique, votre ambition est de développer la souveraineté énergétique de l’Europe, quelles sont vos ambitions sur le plan industriel ?
Parce que l’écosystème français est fragile et essentiellement composé de TPE et PME, nous sommes arrivés au constat que notre tissu industriel a besoin d’une entreprise qui affirme d’emblée une volonté forte de se positionner comme un acteur global. Nous visons ainsi la création d’une première gigafactory avec 5 GWc de capacité de production en 2025. Cette capacité contribuera à réduire significativement les coûts de production grâce à l’intégration, à l’optimisation industrielle et aux économies d’échelle. Cela permettra aussi de créer environ 3 000 emplois directs. Notre stratégie prévoit le déploiement d’autres unités industrielles comparables dans un futur proche, en France et en Europe, afin de de permettre à l’Europe de revenir dans le jeu face à la Chine, mais également aux États-Unis et à l’Inde qui se développent massivement en matière d’industrie solaire.
Quels sont les enjeux auxquels vous êtes confrontés ?
CARBON se développe autour d’une approche atypique en France : une initiative territoriale portée par des entrepreneurs, des PME et des ETI. La première étape a donc été de faire reconnaître que notre modèle est une réponse pertinente et crédible.
Pour développer notre projet de gigafactory d’une envergure inédite en France avec un investissement de 1,5 milliard et un chiffre d’affaires cible de 1,2 milliard d’euros par an, nous sommes confrontés à un enjeu de financement. Avec notre première levée de fonds d’ampleur, nous sommes en train de relever progressivement ce défi. Nous voulons démontrer que des projets industriels peuvent réussir en France quand ils répondent clairement à des enjeux d’intérêt général, même lorsqu’ils sont risqués
Sur ce marché de commodités dominé par la Chine, sur un plan industriel, nous devons arriver à proposer un produit avec une forte valeur ajoutée technologique, sociale et environnementale à un coût compétitif. Enfin, nous avons aussi un enjeu de ressources humaines afin de disposer des talents nécessaires au développement du projet et surtout demain au fonctionnement de la gigafactory.
Et aujourd’hui, où en êtes-vous ?
Nous avons enchaîné les étapes de la première phase du projet (conception du projet, choix technologiques, business plan, stratégie d’approvisionnement, faisabilité technique, sélection d’un site d’implantation, obtention des premiers financements publics…).
Nous sommes en train de terminer notre concertation préalable sous l’égide de la CNDP et allons enchaîner sur la suite du permitting, la consolidation de l’équipe dirigeante et de l’équipe projet, le déploiement de notre ligne pilote…
Courant 2024, après obtention de toutes les autorisations administratives et environnementales, interviendra la décision finale d’investissement pour pouvoir lancer concrètement le chantier de notre première gigafactory sur la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, avec un terrain sur le Grand Port Maritime de Marseille, pour une mise en service prévue fin 2025 ou début 2026. Nous avançons pour l’instant à très bon rythme et voulons maintenir ce tempo vu le caractère stratégique du projet et la maturité du marché.
CARBON est aussi un projet porté par un consortium d’industriels, d’experts et d’entrepreneurs. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre actionnariat ?
À titre personnel, j’ai plus de 30 ans d’expérience dans le secteur de l’énergie. J’ai notamment occupé les fonctions de directeur général d’ENEL Green Power France et j’ai porté de nombreux projets entrepreneuriaux dans le domaine de l’énergie. Je suis aussi le président de Terre et Lac, un développeur de centrales solaires et producteur d’électricité photovoltaïque, ainsi que le président de My Energy Manager, une start-up qui propose des solutions numériques pour réduire la consommation et la facture d’énergie.
À mes côtés, on retrouve Laurent Pelissier, président du groupe industriel français ECM qui, avec ses filiales ECM Greentech et SEMCO Smartech est un spécialiste de la croissance du silicium ainsi que des équipements de fabrication de cellules solaires. Nous avons aussi parmi nos associés fondateurs Pascal Richard, ancien dirigeant de SMA France et président d’AuRa Digital Solaire, et Gaëtan Masson, directeur du Becquerel Institute (France et Belgique) et co-président de l’association européenne des industriels du photovoltaïque (ESMC).
Par ailleurs, CMA-CGM a annoncé qu’il participerait à notre premier tour de table financier d’ampleur, à travers son fonds énergie, et nous travaillons d’ores et déjà avec eux à des synergies sur le solaire mais aussi sur le fret induit par la gigafactory.
Recherchez-vous des talents et des compétences pour relever ce défi industriel ?
Sur les deux prochaines années, nous visons le recrutement de 3 000 personnes, en particulier des opérateurs, des techniciens, des ingénieurs et des managers.
Il y a encore de grandes aventures industrielles à écrire en France. Nous avons besoin de tous les talents, notamment les ingénieurs diplômés de nos grandes écoles, mais aussi des ouvriers qui souhaitent s’inscrire dans cette mutation industrielle qui vise à créer de nouveaux fleurons dans le domaine de l’énergie, complémentaires à nos champions nationaux.