Impact de l’innovation technologique sur la croissance potentielle

Dossier : Le Sursaut, 2e partieMagazine N°621 Janvier 2007
Par Edouard SCHAAL (03)

Après une décen­nie de ralen­tis­se­ment, l’é­co­no­mie japo­naise a retrou­vé les che­mins d’une crois­sance solide et stable. Si l’en­semble des réformes struc­tu­relles pour­sui­vies au cours des années 1990 est sou­vent évo­qué pour jus­ti­fier cette évo­lu­tion, l’in­no­va­tion tech­no­lo­gique reste l’un des fac­teurs les plus sus­cep­tibles d’ex­pli­quer cette dyna­mique retrou­vée. L’es­sen­tiel de la crois­sance actuelle du Japon pro­vient du pro­grès tech­nique, en par­ti­cu­lier de la R & D et de l’in­ten­si­fi­ca­tion du com­merce tech­no­lo­gique, lequel a été en grande par­tie sou­te­nu par la poli­tique du gou­ver­ne­ment japo­nais en la matière.

L’innovation technologique

L’innovation technologique aurait contribué à hauteur de 80 % à la croissance potentielle en 2004, devenant ainsi le principal moteur de l’économie japonaise.

Si l’in­ves­tis­se­ment dans le savoir et les hautes tech­no­lo­gies est aujourd’­hui l’un des prin­ci­paux objec­tifs des éco­no­mies avan­cées, il demeure d’au­tant plus dif­fi­cile d’é­va­luer son réel impact sur l’é­co­no­mie que le pro­grès tech­nique est une gran­deur non mesu­rable en tant que telle.

Dès 1950, Solow a pro­po­sé de résoudre ce pro­blème en iso­lant la par­tie de la crois­sance qui ne peut être expli­quée ni par le capi­tal, ni par le tra­vail. Ce rési­du de crois­sance, plus pré­ci­sé­ment appe­lé Pro­duc­ti­vi­té totale des fac­teurs (TFP), per­met d’ap­pré­hen­der le pro­grès tech­nique, qui en est la com­po­sante essentielle.

Appli­qué au Japon, ce modèle indique qu’a­près avoir connu un niveau très éle­vé dans les années 1980, la pro­duc­ti­vi­té totale des fac­teurs a subi une forte dimi­nu­tion au cours de la décen­nie suivante.
Depuis 2002, le pro­grès tech­nique a retrou­vé sa dyna­mique pas­sée, puis­qu’il a contri­bué à 80 % de la crois­sance japo­naise en 2004, ain­si que le montre le gra­phique ci-dessous.

La Pro­duc­ti­vi­té totale des fac­teurs nous per­met d’é­va­luer l’am­pleur du pro­grès technique.

Carac­té­ri­sée sur la période récente par une contri­bu­tion néga­tive du tra­vail - vieillis­se­ment de la popu­la­tion – et une part décrois­sante du capi­tal, la crois­sance poten­tielle japo­naise est aujourd’­hui sou­te­nue par la hausse du « pro­grès tech­nique ».

Une com­pa­rai­son inter­na­tio­nale nous montre l’im­por­tance prise par le pro­grès tech­nique pour un cer­tain nombre d’é­co­no­mies avan­cées. Les États-Unis et le Japon semblent mener cette marche vers l’in­no­va­tion tan­dis qu’un cer­tain ralen­tis­se­ment est obser­vé dans les pays européens.
Le Japon et les États-Unis sont les prin­ci­paux pays à avoir connu une hausse sen­sible de la pro­duc­ti­vi­té totale des facteurs.

L’analyse économétrique de la productivité totale des facteurs met en évidence un impact positif et significatif de facteurs tels que les équipements IT ou les dépôts de brevet, mais moindre que celui de la R & D et du commerce technologique.

Les déter­mi­nants de la pro­duc­ti­vi­té totale des fac­teurs res­tent dif­fi­ci­le­ment iden­ti­fiables. Plu­sieurs hypo­thèses peuvent cepen­dant être envi­sa­gées pour expli­quer cette évolution.

• Inves­tis­se­ment en R & D

Le Japon a four­ni un effort impor­tant depuis 1994 dans la recherche et le déve­lop­pe­ment. Il occupe aujourd’­hui la troi­sième place mon­diale en termes de R & D, der­rière la Suède et la Finlande.

• Équi­pe­ments en tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et des télécommunications

Bien qu’ayant connu un léger ralen­tis­se­ment au début de la décen­nie 1990, les inves­tis­se­ments en capi­tal de type tech­no­lo­gie de l’in­for­ma­tion ont for­te­ment aug­men­té ces der­nières années.

• Com­merce technologique

Le com­merce tech­no­lo­gique est en constante aug­men­ta­tion depuis 1993, reflé­tant la muta­tion de l’é­co­no­mie japo­naise en puis­sance tech­no­lo­gique de pointe.

L’im­por­tante part du com­merce tech­no­lo­gique reflète l’es­sor du sec­teur tech­no­lo­gique, plus inno­vant et pro­duc­tif, et com­prend une com­po­sante héri­tée du posi­tion­ne­ment stra­té­gique vis-à-vis du reste du monde et en par­ti­cu­lier de la Chine en tant que puis­sance innovatrice.

En 2003, la dépense R & D aurait contri­bué de 0,4 point et le com­merce tech­no­lo­gique de 0,5 point à une pro­duc­ti­vi­té totale des fac­teurs de 1,3 point.

Le système de l’innovation au Japon

La politique des autorités japonaises en matière d’innovation a montré son efficacité d’un point de vue économique.

Pro­mul­guée à la fin de l’an­née 1995, la loi Science & Tech­no­lo­gy Basic Law recon­nais­sait l’im­por­tance du rôle que devaient prendre les sciences et tech­no­lo­gies dans le déve­lop­pe­ment de l’é­co­no­mie et de la socié­té japonaises.
Les trois plans quin­quen­naux éla­bo­rés à la suite de cette loi ont mis en place de nom­breuses réformes.
Nous avons éva­lué l’ef­fi­ca­ci­té de cer­taines d’entre elles, dont la hausse du finan­ce­ment R & D, l’in­ten­si­fi­ca­tion des échanges entre le pri­vé et les uni­ver­si­tés, l’é­du­ca­tion et la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale en matière de recherche.

• Finan­ce­ment de la R & D

Le ren­for­ce­ment des dépenses dans le domaine de la recherche et du déve­lop­pe­ment, prin­ci­pa­le­ment affec­tées aux sciences de la vie, aux tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion, à l’en­vi­ron­ne­ment et aux nano­tech­no­lo­gies, a été l’une des pre­mières recom­man­da­tions faites par le Coun­cil for Science & Tech­no­lo­gy Poli­cy.

La forte contri­bu­tion du sec­teur pri­vé – qui en réa­lise 70 %, prin­ci­pa­le­ment orien­té vers la recherche appli­quée et le déve­lop­pe­ment – s’a­vère déci­sive puis­qu’elle aurait inten­si­fié à la fois les dépôts de bre­vets et la pro­duc­ti­vi­té totale des fac­teurs. Les sec­teurs de l’élec­tro­nique et des télé­com­mu­ni­ca­tions, ain­si que l’in­gé­nie­rie méca­nique et aéro­nau­tique se révèlent être les prin­ci­paux sec­teurs ayant contri­bué à cette hausse.

Le sys­tème japo­nais s’a­vère notam­ment effi­cace dans le monde de l’in­dus­trie et des pro­duits de haute technologie.

• Coopé­ra­tion entre le sec­teur pri­vé et les universités

Consta­tant un manque de dif­fu­sion des savoirs du milieu uni­ver­si­taire vers le pri­vé, des poli­tiques d’in­ten­si­fi­ca­tion des échanges entre les deux sec­teurs ont été mises en place dans le but d’en­ga­ger des recherches conjoin­te­ment entre le monde aca­dé­mique et le monde de l’en­tre­prise, ain­si que d’in­ci­ter les jeunes étu­diants à com­mer­cia­li­ser leurs découvertes.

Les échanges entre sec­teur pri­vé et uni­ver­si­tés ont connu une sen­sible accé­lé­ra­tion au cours des années 1990, impli­quant un nombre crois­sant d’en­tre­prises.
Cette inten­si­fi­ca­tion a notam­ment consis­té en de mul­tiples inci­ta­tions à créer des start-ups, en la créa­tion de pôles de recherche conjoints ou encore en la com­mer­cia­li­sa­tion des décou­vertes effec­tuées en uni­ver­si­té. Elle s’est révé­lée essen­tielle dans l’aug­men­ta­tion des dépôts de bre­vet, et dans une moindre mesure pour la pro­duc­ti­vi­té totale des facteurs.

• Édu­ca­tion

En matière d’é­du­ca­tion, les trois plans quin­quen­naux S & T Basic Plan, après avoir for­te­ment ren­for­cé les infra­struc­tures dans les uni­ver­si­tés, ont affir­mé la néces­si­té de for­mer de jeunes cher­cheurs moins spé­cia­li­sés mais ayant une solide culture R & D, une forte mobi­li­té, ain­si que de bonnes capa­ci­tés de management.
Les pro­grammes de type mas­ter ont ain­si connu une forte expan­sion, au détri­ment des doc­to­rats qui font l’ob­jet d’une légère désaffection.
Cet essor des pro­grammes mas­ters aurait été déter­mi­nant pour les dif­fé­rents domaines de l’in­no­va­tion, tant pour les dépôts de bre­vet que pour le « pro­grès tech­nique », en met­tant à la dis­po­si­tion des entre­prises un per­son­nel qua­li­fié capable d’in­té­grer effi­ca­ce­ment les inno­va­tions au pro­ces­sus de production.

• Coopé­ra­tion inter­na­tio­nale dans la recherche

Consta­tant une fer­me­ture rela­tive du Japon à la recherche inter­na­tio­nale, le gou­ver­ne­ment japo­nais a pour­sui­vi des poli­tiques encou­ra­geant la coopé­ra­tion dans la recherche et la péné­tra­tion de l’in­no­va­tion étran­gère au Japon.
La coopé­ra­tion dans la publi­ca­tion d’ar­ticles de recherche s’est à la fois inten­si­fiée entre ins­ti­tu­tions et avec l’in­ter­na­tio­nal.

Cette poli­tique de sou­tien aurait été éga­le­ment déter­mi­nante dans l’é­vo­lu­tion du pro­grès tech­nique au Japon, per­met­tant aux Japo­nais d’in­té­grer les décou­vertes faites à l’é­tran­ger et de rat­tra­per un cer­tain retard pour deve­nir lea­der dans de nom­breux domaines.

Conclusion

Les bonnes per­for­mances du Japon en matière de sciences et tech­no­lo­gies trouvent leur expli­ca­tion dans un sys­tème par­ti­cu­liè­re­ment favo­rable à l’in­no­va­tion, notam­ment du point de vue indus­triel. Les bases du sys­tème japo­nais et la pour­suite des réformes sont autant d’in­dices qui per­mettent de miser sur un main­tien de son effi­ca­ci­té dans le domaine. L’am­pleur de l’in­no­va­tion tech­no­lo­gique, deve­nue prin­ci­pal moteur de l’é­co­no­mie, consti­tue un atout du Japon pour assu­rer une crois­sance saine et durable.

Pres­ta­tion réa­li­sée sous sys­tème de mana­ge­ment de la qua­li­té cer­ti­fié AFAQ ISO 9001 dans le cadre de l’op­tion de fin d’é­tudes de l’X en éco­no­mie faite à la Mis­sion éco­no­mique du Japon, repro­duit avec son autorisation.

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