Implanter les industries nucléaires dans les pays émergents
Comment répondre aux besoins en énergie d’une population mondiale qui atteindra 9 milliards d’individus au milieu du siècle ? La maîtrise de la consommation et l’appel aux énergies renouvelables ne sont réalistes que si celles-ci font également appel à l’énergie nucléaire. Le développement du nucléaire dans les pays émergents requiert des compétences techniques et technologiques longues à construire. Ce choix implique une autorité de sûreté indépendante, une gestion des déchets radioactifs, une acceptation publique suffisante. Technique et politique, il engage sur le long terme et nécessite une préparation soignée.
REPÈRES
Lors de la Conférence ministérielle internationale sur l’énergie nucléaire au XXIe siècle, tenue à Pékin en avril 2009 sous l’égide de l’AIEA, le Secrétaire général de l’OCDE a fait valoir que « l’énergie nucléaire est en mesure de satisfaire une partie significative de la demande future tout en réduisant les tensions sur les marchés des hydrocarbures et le risque du changement climatique mondial ». C’est ce qui est traduit par les scénarios prospectifs des principales agences ou organisations internationales. Avec les incertitudes liées à ce type d’exercice, la puissance électrique d’origine nucléaire attendue pour 2030 est, selon l’AIEA, de 450 à 680 GWe. Cela impliquera la construction de plusieurs centaines de réacteurs nouveaux dans le monde d’ici 2030, correspondant à une puissance de 200 à 450 GWe.
Dans l’ensemble des régions du monde, on observe un réel regain d’intérêt pour le nucléaire. Des pays disposant déjà d’un parc de centrales nucléaires engagent des plans importants de prolongation de durée de vie ou engagent de nouvelles constructions.
On observe un regain d’intérêt pour le nucléaire
D’autres préparent le renouvellement de leurs parcs existants. Des pays » nouveaux entrants » en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est, en Amérique centrale ou du Sud se préparent à faire appel dans leur politique énergétique à l’énergie nucléaire à l’horizon 2020–2030. Les projections réalisées par l’industrie nucléaire estiment que 30 % à 50 % de la croissance du parc mondial se réalisera dans des pays n’ayant pas ou peu d’industrie nucléaire à ce jour, ce qui conduit, à l’horizon 2030, à estimer à une centaine au moins le nombre de réacteurs neufs dans des pays aujourd’hui non équipés.
Cela implique de lever les interrogations relatives à la sûreté nucléaire, à la résistance à la prolifération des matières nucléaires et à la sécurité vis-à-vis des actes de malveillance.
De nouvelles perspectives techniques
Quarante ans d’expérience
Des briques internationales
Les industriels concepteurs-constructeurs (Areva, General Electric, Rosatom, Toshiba-Westinghouse) investissent sur la prolongation de durée de vie et dans les nouveaux modèles. Les organisations publiques de recherche interviennent en soutien sur les mécanismes de base et travaillent également sur Génération 4. Les enjeux industriels et la forte concurrence qui se développent permettent néanmoins une coopération internationale particulièrement active : le Forum Génération 4 fédère largement les capacités des USA, de la France, du Japon, de la Russie, d’Euratom, de la Chine et de la Grande-Bretagne sur le développement de briques technologiques. Au plan européen, la plate-forme technologique SNETP (Sustainable Nuclear Energy Technology Platform) est chargée d’organiser la future R & D européenne pour le développement de l’énergie nucléaire. Elle regroupe plus de 70 organisations : centres de recherche technologique, universités, industriels, électriciens et organismes d’expertise pour les autorités de sûreté.
L’énergie nucléaire a constamment progressé depuis ses origines voici plus de quarante ans, tant en efficacité économique qu’en amélioration de la sûreté des réacteurs nucléaires, malgré l’occurrence d’un accident majeur comme Tchernobyl. Le retour d’expérience du type de réacteur le plus courant de par le monde (les réacteurs à eau légère) correspond à l’équivalent de plusieurs milliers d’années-réacteurs, ce qui permet de disposer d’une base d’analyse extrêmement large et donc de pouvoir progresser continûment.
Les progrès de la technologie nucléaire vont perdurer, notamment pour la filière » classique » des réacteurs à eau légère ou les futurs réacteurs de » génération 4 » :
Une centaine de réacteurs neufs dans des pays aujourd’hui non équipés
matériaux améliorés (plus résistants à la corrosion dans des conditions d’exploitation plus variée, à la température, utilisation des céramiques et des matériaux nanostructurés, etc.), maîtrise des accidents graves, meilleure utilisation des matières fissiles, minimisation des déchets radioactifs, progrès dans l’instrumentation et le contrôle commande du réacteur, de la maintenance, aide à la conduite, etc.
Deux grandes tendances se dégagent pour les réacteurs de production d’électricité : prolonger la durée de vie des réacteurs actuels et développer une quatrième génération.
Prolonger la durée de vie
Lutter contre le gaz carbonique
La nécessité de » décarboner » l’économie, en particulier pour les transports ou les applications industrielles, va créer des opportunités de nouvelles applications pour l’usage du nucléaire. Par exemple, la production d’hydrogène pour les raffineries de pétrole, les carburants synthétiques à base de biomasse de deuxième génération et les usages directs de chaleur dans les procédés industriels. L’émergence de ces marchés, d’ici une dizaine d’années, pèsera également sur la demande en réacteurs nucléaires que ce soit dans les pays déjà équipés ou dans de nouveaux pays.
La prolongation de durée de vie des réacteurs actuels (dits de » génération 2 ») et la mise en service de réacteurs de » génération 3 « , à eau légère, qui capitalisent les connaissances et le retour d’expérience acquis avec les réacteurs actuels, tiennent compte à la conception d’améliorations importantes de la sûreté telles que la maîtrise des accidents graves (fusion du coeur) ou la résistance à la chute d’avions commerciaux.
On peut citer l’EPR de 1 600 MWe proposé par Areva, en cours de construction en Finlande, en Chine et en France à Flamanville, ou bien l’AP1000 de Toshiba-Westinghouse de 1 000 MWe, également en cours de construction en Chine.
Développer la quatrième génération
Les réacteurs de » génération 4 » promettent un nucléaire plus durable. De par leurs caractéristiques physiques (réacteurs à neutrons rapides), ils permettent une meilleure utilisation de l’uranium via le recyclage du plutonium et la surgénération et aussi une forte réduction des déchets radioactifs à vie longue. Ils intégreront également de nouveaux progrès en termes de sûreté, de sécurité et de résistance à la prolifération nucléaire. Ces réacteurs en cours de développement devraient être déployés vers 2040–2050 en fonction de leurs performances et des besoins du marché.
Répondre aux besoins des pays émergents
Un pays voulant se doter de centrales nucléaires se pose d’abord la question de la puissance unitaire de la centrale et de la capacité du réseau électrique. 1 000 à 1 700 MWe, cela peut apparaître comme des puissances élevées.
Des réacteurs de faible puissance
Sécurité d’abord
Le déploiement des réacteurs de » génération 3 » et la conception des réacteurs de » génération 4 » visent le marché international. Ce sont des réacteurs de fortes puissances, de 1000 à 1700 MWe. Ils doivent répondre aux exigences des autorités de sûreté des différents pays susceptibles de les construire. L’harmonisation des bases techniques sur lesquelles les autorités de sûreté fondent leur jugement est devenue un enjeu crucial. L’AIEA travaille depuis des années avec l’aide des experts des États membres à la codification des principes de sûreté et à leur mise en place. Les autorités de sûreté des principaux pays nucléaires ont une longue habitude de coopération sur les sujets techniques difficiles et échangent leur expérience depuis plus de trente ans. Pour les nouveaux réacteurs, elles ont mis en place l’initiative MDEP (Multinational Design Evaluation Program) qui vise à organiser les échanges d’informations techniques pour faciliter et rendre plus homogènes les évaluations de sûreté.
C’est pourquoi ont été étudiés de nombreux modèles de réacteurs de faible puissance (moins de 600 MWe) qui pourraient être de conception et d’utilisation plus simples. Tous ces projets n’ont pas dépassé le stade de la planche à dessin. Ces réacteurs nécessitent aussi la mise en place d’une infrastructure (opérateur nucléaire, autorité de sûreté indépendante et tissu industriel pour assurer les opérations de maintenance avec la mise en place des formations indispensables).
La quatrième génération sera déployée vers le milieu du vingt et unième siècle
Même pour les modèles dits » sûreté passive « , les systèmes de sécurité et de sauvegarde restent nécessaires et sont proportionnellement plus coûteux pour des réacteurs de faible puissance que pour des réacteurs de forte puissance. En outre, les enquêtes réalisées dans le cadre de l’AIEA montrent que le pic des besoins pour ces pays accédant au nucléaire se situe dans la gamme 900–1 200 MWe.
Des questions fondamentales
Un pays souhaitant se doter de réacteurs nucléaires doit se poser des questions fondamentales. Comment faire face au besoin de formation de l’ensemble des intervenants industriels ? Comment inculquer une culture de » sûreté » ? Comment créer une » autorité de sûreté forte » et indépendante ? Comment lui donner une compétence technique de haut niveau ?
Un véritable parrainage
Le cheminement des grands pays qui ont développé le nucléaire a duré plus de trente ans vers la prise de conscience de ce qu’est la » culture de sûreté » : un mélange subtil de technologie mais aussi de facteurs humains et comportementaux, tant au niveau collectif qu’au niveau individuel. Ce dernier point sera le plus complexe à faire mûrir et va nécessiter une coopération étroite sur le long terme, un véritable parrainage dans le cadre international donné par les conventions applicables.
Une approche globale
Toutes ces questions ne sont pas nouvelles mais deviennent réellement concrètes aujourd’hui. Sous l’égide de l’AIEA et des principaux pays nucléaires, la réflexion a débouché sur la préconisation d’une démarche d’ensemble qui permette de bâtir un système cohérent : » constructeur, exploitant nucléaire, autorité de sûreté indépendante « . Des pays comme la France ont également mis en place des structures (Agence France nucléaire international) qui permettent en amont d’une démarche commerciale d’aider ces pays à se doter des outils nécessaires au développement d’un programme nucléaire. Les réacteurs qui seront vendus dans des pays nouvellement accédants seront aussi des modèles éprouvés de nouvelle génération : c’est clairement la demande de ces pays et c’est aussi du bon sens. Le processus de vente d’un réacteur doit s’accompagner d’une assistance à tous les niveaux : coopération entre autorité de sûreté du pays d’accueil et autorité du vendeur et ayant déjà autorisé ce type de réacteur ; coopération industrielle pour renforcer le tissu industriel du pays d’accueil, création d’une capacité d’expertise locale avec une coopération entre organismes de recherche, cette capacité locale est aussi un vrai moyen pour faire vivre et développer la culture de sûreté.
Le cycle du combustible
Il faut également s’intéresser au cycle du combustible à la fois au plan industriel et commercial et aussi dans le cadre de la lutte contre la prolifération et le détournement potentiel des matières nucléaires. L’initiative GNEP (Global Nuclear Energy Partnership) a été mise en place par la précédente administration américaine pour répondre à ce besoin. Plus de 25 pays y ont formellement adhéré. Son objectif est de permettre le développement de l’énergie nucléaire sans disséminer les technologies sensibles du cycle du combustible, en distinguant les États déjà dotés d’installations des États exploitant uniquement des réacteurs et achetant les services liés au combustible : enrichissement de l’uranium et fabrication du combustible nucléaire ; gestion du combustible usé après passage en réacteur nucléaire.
Cela implique de la part des pays adhérant au GNEP de renoncer sur une base volontaire à la construction des installations correspondantes, ce qui est politiquement très difficile s’il n’y a pas une régulation internationale forte qui permet de garantir l’accès aux services et donc d’éviter de mettre ces États dans une situation de discrimination.
Les besoins pour les pays accédant au nucléaire se situent dans la gamme 900- 1200 MWe
Pour la fourniture de combustible nucléaire à ces pays, les mécanismes du marché permettent de l’assurer, quitte à les compléter par la mise en place d’une » banque de combustible » sous l’égide de l’AIEA qui donne une garantie en dernier ressort.
La situation est plus complexe sur la gestion du combustible usé : certains pays comme la France le traitent pour en recycler les matières » valorisables » ou en attente du déploiement des réacteurs de » génération 4 « . D’autres pays comme la Suède envisagent de le stocker directement et beaucoup de pays l’entreposent en attente d’une décision quant à son devenir. Cet entreposage » non défini » doit prendre en compte, dans sa conception et son exploitation, la sûreté et la sécurité de l’entreposage sur des dizaines d’années. Des considérations de géopolitique conduisent à penser qu’il n’est pas raisonnable au plan de la résistance à la prolifération d’accumuler dans de nombreux pays de tels entreposages (on estime les quantités de combustible usé à plusieurs dizaines de milliers de tonnes).
C’est seulement en mettant en œuvre ces principes qu’on répondra à l’attente des pays se lançant dans un programme nucléaire.
Un choix technique et politique
Le développement du nucléaire dans les pays émergents requiert des compétences techniques et technologiques qui sont longues à construire. Ce choix comporte aussi une dimension politique pour que l’autorité de sûreté soit indépendante, pour encadrer la gestion des déchets radioactifs et des impacts environnementaux potentiels et aussi pour s’assurer d’une acceptation publique suffisante pour que le programme soit durablement accepté.
Le choix du nucléaire est donc un choix technique et politique qui engage un pays sur le long terme et qui nécessite une préparation soignée.
Commentaire
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Implanter les industries
Il ne faut certainement pas implanter le nucléaire dans les pays émergents. Suffisamment de pays produisent déjà des déchets nucléaires en grande quantité.
On insistera jamais assez sur les dangers potentiels que fait courrir cette industrie polluante sur les générations futures.
Il manque assurément des critères de définition intangibles de ce qu’on pourrait appeler « empreinte écologique sur l’environnement ».
Je réfléchis intensément à la définition de tels critères afin que l’industrie nucléaire ne puisse plus être qualifié de moins pire dans le domaine de la production d’énergie.
La technologie de captation du CO² reléguera d’ailleurs cette industrie en dernière position eu égard au faible rendement des centrales actuelles et à la très faible puissance massique : >100T d’aciers par MW.
Ce type d’articles qui fleurissent dans la presse scientifique bien pensante ont le mérite de m’agacer singulièrement car ils ne procédent pas d’une démarche scientifique honnête.
Plus clairement, ce sont des articles orientés écrits par des personnes qui ne sont pas indépendantes de l’industrie nucléaire.
Parce que ma parole est libre, je ne partage pas vos opinions, voire votre optimisme sur l’avenir de l’industrie nucléaire.