In memoriam Antonin COLLET-BILLON (41)
Antonin Collet-Billon est né le 19 janvier 1922 dans une modeste famille d’agriculteurs, à Massieu (Isère). L’instituteur de l’école communale de Massieu insista à juste raison pour qu’il poursuive sa scolarité au-delà du certificat d’études : il entra en 1941 à l’École polytechnique alors délocalisée à Lyon. « Prié » à l’issue de la scolarité à l’X de rejoindre les usines Messerschmitt en Allemagne, il rejoignit Massieu, et acquit une solide formation de bûcheron dans les bois du Val d’Ainan.
La fin de la guerre le vit participer à une mission française dans la région du lac de Constance, où étaient (et sont toujours) situées les usines Dornier ; cette mission était chargée d’embaucher des ingénieurs allemands compétents dans le domaine des fusées, selon la terminologie de l’époque.
Après deux années passées à l’École nationale supérieure de l’Armement, Collet-Billon fut affecté en juin 1947 au service technique de la Direction des études et fabrications d’armement (DEFA). Et début 1948 il rejoignit le Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA) de Vernon (Eure), nouvellement créé au sein de la DEFA, pour défricher l’ensemble des techniques variées nécessaires à la construction de fusées.
Il y fut d’abord chef du département guidage-pilotage, ce qui l’amena à s’intéresser notamment aux techniques du radar et à la navigation inertielle ; dans ce dernier domaine, les Allemands avaient développé pour le V2 des techniques qui posaient les principes essentiels du guidage inertiel des missiles. Nommé chef du bureau technique du LRBA, il eut à connaître de la propulsion des missiles, de leur aérodynamique, des structures…
L’activité du LRBA s’est rapidement développée autour d’un programme d’engin autopropulsé radioguidé contre avions (PARCA), victime en 1958 de la concurrence du Hawk américain, et autour des études de la propulsion à ergols liquides. Tous ces travaux donneront naissance à des fusées sondes, Véronique (1952), puis Vesta (1964), ainsi qu’aux propulseurs Vexin et Valois, qui équipèrent la fusée Diamant, dont les architectes furent des ingénieurs militaires (le premier étage de Diamant notamment a été étudié puis réalisé par le LRBA). On trouve là la genèse de la saga du lanceur européen de satellite Ariane.
La volonté de la France de se doter d’un armement nucléaire, ce qui impliquait, exemples américain et soviétique à l’appui, de disposer à terme de missiles balistiques, amena à entreprendre en l958 les études balistiques de base. Le LRBA fut le creuset dans lequel fut acquise la compétence technique indispensable à l’aventure des missiles.
Le général de Gaulle décida en 1961 de créer une structure étatique puissante, relevant directement de l’autorité politique, chargée en particulier de conduire le développement des moyens de la Force nationale stratégique. Il créa la Délégation ministérielle pour l’armement (DMA), qui regroupait les directions techniques chargées des affaires d’armement. Au sein de la DMA apparaissait une nouvelle entité, le département Engins, avec un bureau technique à Saint-Cloud dont la direction fut confiée à Collet-Billon.
La poursuite des travaux entrepris au LRBA conduisit au lancement avec succès de Diamant, qui valut à Collet-Billon l’honneur d’être décoré officier de la Légion d’honneur par le général de Gaulle à l’Élysée en février 1966.
Mais la filière Diamant, dont la propulsion utilisait des ergols liquides d’une manipulation délicate, était sans avenir militaire : la dissuasion, qui comportait une composante balistique embarquée sur des sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), avait orienté le développement de la propulsion vers l’utilisation de propergols solides. Le premier tir balistique eut lieu au Centre d’essais des Landes (CEL) en février 1966. Les travaux de développement des MSBS (mer-sol balistique stratégique) et SSBS (sol-sol balistique stratégique) connurent des périodes difficiles, comme en témoignent les archives cinématographiques du CEL, mais la maîtrise technique fut finalement acquise, et en particulier celle, délicate, de la phase allant pour un MSBS de l’éjection hors du tube du SNLE jusqu’à la mise à feu dans l’atmosphère, les Américains doutaient d’ailleurs à l’époque de l’aptitude des ingénieurs français à maîtriser l’ensemble des techniques nécessaires.
La première « prise d’alerte » du plateau d’Albion intervint en 1971 avec des missiles SSBS S2 de 300 km de portée et la première admission au service actif du SNLE Le Redoutable, équipé de missiles M1 de 2 500 km de portée, eut lieu en 1972. La première génération de missiles, dont les performances pouvaient paraître modestes comparativement à celles des missiles alors mis en oeuvre par les Américains et les Soviétiques, donnait à la France le statut de puissance nucléaire à part entière. Un effort permanent d’amélioration de la portée et corrélativement de la précision de guidage fut poursuivi.
De 1971 à 1974, Collet-Billon fut directeur du Laboratoire central de l’armement, qui comprenait de nombreux centres de recherche dans des domaines variés. Une mission annexe l’absorba beaucoup, et pourquoi ne pas le dire, l’amusa : il s’agissait du transfert de l’X à Palaiseau. Passons sur ses démêlés avec l’architecte et mentionnons la contribution de ses enfants, consultés sur des points aussi critiques que les dimensions réglementaires d’un terrain de rugby ou le nombre de couloirs acceptable pour une piste d’athlétisme.
Nommé directeur technique des engins en septembre 1974, il le resta jusqu’en 1983. Cette période fut extraordinairement riche dans le domaine des missiles nucléaires, comme dans le domaine des missiles tactiques. En effet, en 1970, un groupe chargé de l’ensemble des questions de missiles tactiques avait été créé à la Direction technique des Engins (DTEn).
Dans le domaine du missile balistique nucléaire intervinrent successivement les mises en service des MSBS M2 en 1974 (portée de 3 000 km) et M20 en 1977 (plus de 3 000 km avec une arme thermonucléaire), du SSBS S3 en 1979 (plus de 3 000 km avec une arme thermonucléaire), puis du MSBS M4, doté de charges thermonucléaires multiples, avec une portée de plus de 4 000 km. Le premier vol du M4 eut lieu en 1980, sa mise en service en 1985. Le développement de ce missile complexe connut un cours exemplaire, résultat de la maîtrise technique et d’une méthodologie sans faille que la DTEn s’était attachée à développer. Ce programme valut à Collet-Billon, au cours de voyages aux États-Unis, d’une part une entrevue avec l’amiral Rickover, père des SNLE américains, d’autre part une surprise : un matin, un officier américain l’informa que le tir M4 effectué pendant la nuit s’était bien passé et que la précision des têtes à l’arrivée était excellente…
Dans le domaine du nucléaire tactique, après l’entrée en service du Pluton en 1974, 1978 vit le lancement du développement d’un missile nucléaire tiré à distance de sécurité, destiné à remplacer les bombes à gravitation des Mirage IV, puis à équiper les Mirage type 2000 N ainsi que l’Aéronavale. Ce missile, I’ASMP (air-sol moyenne portée) utilise une propulsion par statoréacteur avec un accélérateur à poudre intégré dans la chambre de combustion. Cette disposition procure des performances remarquables, mais le développement de ce missile de formule innovante a été mouvementé et sa mise en service eut lieu en 1986.
Dans le domaine des missiles tactiques, l’évocation du nom des missiles alors en production (Roland, Crotale, famille Exocet) ou en développement (Super 530, Magic 2, AS30 laser, Mistral) rappelle que l’excellence de ces produits valut à l’industrie française de nombreux succès à l’exportation.
Enfin on mentionnera que le début des années 1980 vit les premières études sur les satellites de reconnaissance optique. Ces études demeurèrent à l’époque sans suite directe, mais constituèrent les prémisses du programme Hélios, dont le premier satellite a été mis en orbite en 1995.
∗
La deuxième section intervint officiellement pour Collet-Billon le ler novembre 1983, date à laquelle il devint administrateur du Groupement des gros propulseurs à poudres (G2P) : GIE entre la Société européenne de propulsion (SEP) et la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), ce jusqu’au 31 octobre 1987. Doué d’une activité inlassable, l’ingénieur se transforma en outre en expert-conseil dans le domaine spatial.
Décédé le 19 février 1996, Antonin Collet-Billon était marié depuis 1949 à Françoise Delanghe, père de sept enfants, grand-père de sept petits-enfants.
Il laisse le souvenir d’un grand ingénieur et d’un grand serviteur de l’État, ayant considérablement contribué à la création des capacités de dissuasion nucléaire de la France.
Ses travaux lui valurent plusieurs distinctions :
– prix de l’Académie des sciences (prix Lamb) en 1958,
– grand prix de l’Association aéronautique et astronautique de France, en 1983,
– commandeur de la Légion d’honneur (1979),
– grand officier de l’Ordre national du Mérite (1993), décoré par Pierre Messmer, ancien premier ministre.