Inde-Espoir Bijapur 2004
Il n’y a pas que l’humanitaire dans la vie ! C’est ce que me lança il n’y a pas si longtemps encore un camarade, sans doute agacé que je m’appesantisse toujours autant sur mes souvenirs indiens. Et lui de décrire avec un égal enthousiasme ses nombreux projets de voyage. Cela m’interpella. Pourtant, personne n’oserait douter un seul instant de l’évidente véracité de cette phrase : le groupe Inde-Espoir Bijapur 2004 et moi-même ne sommes pas des “ pros ” de l’humanitaire, nous avons comme tout le monde des loisirs, et il nous arrive même de faire du tourisme.
Mais, si le souvenir de ces cinq semaines passées en territoire indien reste encore aussi vivace dans nos esprits, si chacun d’entre nous s’émeut encore en regardant les photos du chantier, si le besoin de témoigner se fait si pressant, c’est bien parce que nous avons tous l’impression d’avoir vécu une expérience exceptionnelle, qui dépasse de beaucoup ce qu’aurait pu nous apporter un simple voyage. On ne consomme pas du chantier de développement. On s’y investit beaucoup et on en retire encore davantage.
Malheureusement, cette plus-value est parfois floue et éminemment personnelle. Difficile d’expliquer en quelques lignes ce qui m’a tant touché dans ce gigantesque pays, ce que j’y ai découvert, ce que j’ai appris, sur les autres et sur moi-même. Je vais m’y atteler tout de même.
Au commencement, il y avait un groupe. Un groupe hétérogène constitué d’élèves de différentes grandes écoles mais aussi de l’université. Un groupe qui s’est soudé lors des réunions préparatoires autour d’un objectif commun : réunir la somme nécessaire au financement des travaux, condition sine qua non au départ. Recherche de subventions publiques ou privées, en particulier auprès de proches, vente de muguet, brocante, tous les moyens étaient bons pour amasser le précieux pécule. Bien sûr, certains se connaissaient déjà, mais la plupart d’entre nous apprirent à se connaître au cours de ces différentes activités. Il y avait une grande diversité de caractères, de tempéraments, de motivations entre nous, mais, et j’en fus le premier surpris, la vie en communauté se passa sans accroc. L’ambiance fut chaleureuse et l’entente cordiale tout au long du séjour, chacun essayant d’agir dans le plus grand respect de l’autre pour tirer le groupe vers le haut.
Au-delà des conditions de vie difficiles (enfin par rapport à ce qu’on peut connaître ici…), c’est surtout le travail qui nous réunissait. Car la construction d’une école ou plutôt son agrandissement, car c’est bien de cela qu’il s’agissait, est avant tout un travail collectif. Témoin : ces “chaînes” de briques et de béton qui nous permettaient d’acheminer ces matériaux du rez-de-chaussée au premier étage.
Nous travaillions comme manœuvres (coolies) au service d’un chef de chantier indien et sous l’œil quelque peu étonné d’ouvriers indiens. La plupart ne parlant pas anglais, on communiquait surtout par gestes ce qui ne facilitait pas le travail. Certains essayaient d’apprendre notre langue, et nous la leur. Ainsi, de réelles relations s’installèrent, en particulier avec le chef de chantier et l’architecte qui nous accompagnèrent lors des sorties que nous effectuions les jours de repos.
Le travail était très fatigant mais nous étions sans cesse encouragés par le regard amusé des enfants de l’école. La plupart avaient travaillé dans les champs dès leur plus jeune âge, cette école était leur dernier espoir d’apprendre à lire et à écrire. Nous fûmes rapidement séduits voire subjugués par ces enfants, leur simplicité, leur beauté, leurs sourires. Nous passions de longues heures le soir à jouer, à chanter avec eux. Des moments merveilleux.
Mais l’école, c’était aussi les sœurs qui nous hébergeaient et toutes les prénovices qui veillaient à ce qu’on ne manquât de rien. Accueillis comme des princes par un magnifique spectacle de danses indiennes, nous fûmes au quotidien l’objet des attentions presque maternelles de ces sœurs à la gentillesse et au dévouement sans égal. Nous eûmes également l’occasion de les accompagner dans les bidonvilles où elles se rendaient chaque matin à la rencontre des gens.
Expérience bouleversante… la découverte d’un monde qui nous était complètement étranger jusque-là : celui de la grande pauvreté. Je dis pauvreté et non misère, car ces hommes et ces femmes, obligés de lutter chaque jour pour survivre dans un grand dénuement, n’en gardaient pas moins une grande dignité. Et comment rester insensibles à la joie qu’ils ont de nous recevoir chez eux, de nous montrer le peu qu’ils possèdent, de nous offrir le thé alors qu’ils n’ont presque rien à manger.
Comment rester insensible devant ces enfants intouchables qui accourent de partout pour vous serrer la main, pour toucher cet étranger qui s’intéresse à eux. Alors oui, j’ai vu la promiscuité, la saleté, la malnutrition, les maladies, j’ai vu tout ça mais c’est surtout la chaleur humaine que j’ai retenue. Ces gens simples et accueillants, solidaires et même gais parfois. L’espoir enfin dans les yeux de cet adolescent qui étudie pour devenir ingénieur. Car, au fond, construire ces salles de classe, c’est avant tout donner à ces enfants les moyens de réaliser leurs rêves.
Et quel plaisir, quelle fierté aussi de pouvoir couler nous-mêmes le toit de l’école ! Le contrat est rempli, cinq nouvelles salles de classe peuvent maintenant commencer à accueillir les premiers élèves. Pour nous, l’heure du départ a déjà sonné et c’est non sans douleur que nous quittons les ouvriers indiens, les sœurs, les enfants avec qui nous avons partagé ce mois de labeur. Nous avons bien sûr également une pensée émue pour tous ces gens que nous avons rencontrés dans les bidonvilles et que nous n’oublierons pas de sitôt. Nous partons à la découverte d’un autre aspect de l’Inde, découverte culturelle de cette Inde aux mille couleurs, aux mille temples, aux mille paysages, mais où partout nous retrouvons cette atmosphère particulière, une agitation sereine empreinte d’une grande spiritualité, qui ne laisse personne indifférent. C’est là le grand mystère de cet immense pays.
Qu’en reste-t-il une fois de retour en France, une fois retrouvés tous les plaisirs et les tracas de la vie occidentale ? Je dirais d’abord le sentiment d’avoir été vraiment utile, d’avoir soutenu à son niveau une noble cause : l’amélioration de la condition des Intouchables à laquelle travaillent sans relâche les sœurs qui nous hébergeaient. Ensuite, celui d’avoir beaucoup appris au contact de ces gens représentatifs d’une civilisation complètement différente de la nôtre, une fantastique ouverture d’esprit en quelque sorte, une leçon de vie qui mérite peut-être d’être méditée.
Mais notre rapport à l’Inde et à cette expérience dépasse de beaucoup ces considérations, il est principalement affectif. Quelque chose de magique nous lie à ce pays, à ce qu’on y a fait, ce qu’on y a vu, les personnes qu’on y a rencontrées. Il me serait difficile de l’expliquer. Cette aventure, nous l’avons vécue en profondeur et elle reste gravée au plus profond de nous-mêmes. Nous y serons fidèles, chacun à sa façon, dans le monde qui lui est propre.
C’est pourquoi nous voulons exprimer notre plus grande gratitude à l’égard de tous ceux qui nous ont soutenus et aidés pour ce projet. À commencer par le Père Langue, fondateur d’Inde-Espoir et aumônier de l’X depuis de nombreuses années, qui nous a accompagnés sur place et sans qui rien n’aurait été possible.
Un grand merci également à l’AX pour son important soutien financier et à tous les généreux donateurs qui se reconnaîtront. Sans vous non plus rien n’aurait été possible.
Enfin, profondément marqué par toutes les rencontres que j’ai pu faire pendant les semaines passées en Inde, je ne saurais terminer cet article sans avoir une pensée émue, en ces moments difficiles, pour les sinistrés d’Asie du Sud-Est, dont les villages ont parfois été rayés de la carte, pour les familles des disparus, et en particulier celles du Tamil Nadu que certains d’entre nous ont brièvement traversé.