Industrialiser la production de scénarios
En 2010 Tony Dunoyer (84) a créé IncuBeta Films, basée à New York, pour investir dans le développement de scénarios de films et valoriser ce catalogue de scénarios. L’entreprise s’intègre dans la rapide évolution du marché du cinéma.
Quelle est l’activité de IncuBeta Films ?
IncuBeta Films est une société de production audiovisuelle qui se concentre sur l’écriture de contenu et de propriété intellectuelle pour multiples supports médiatiques. Le support principal de la société est le film, l’accent étant mis sur le développement de scénarios pour longs métrages et de séries télévisées.
Quel est le parcours des fondateurs ?
J’ai coproduit un film indépendant en 2005. C’est ensuite que j’ai décidé d’aller apprendre le métier, à la NYU Film School, dans le cursus de Film Production, où j’ai découvert ma passion pour l’écriture de scénarios. Conscient de mes limites littéraires, j’ai vite recruté un jeune scénariste diplômé pour une collaboration sur un scénario. Cette alliance particulière s’est révélée un désastre de frustrations, mais j’en ai tiré des enseignements importants. En 2010, j’ai décidé de formaliser un véhicule de collaboration en créant une société qui est codétenue par tous ses contributeurs (fondateur et scénaristes). Avec l’objectif ultime d’en faire une vaste plate-forme, un vivier de scénarios qui seront vendus à (ou « optionnés » par) des producteurs hollywoodiens en quête de titres finis de qualité.
Comment t’est venue l’idée ?
En plus de l’écriture en compte propre (le vivier), la société a en parallèle démarré l’écriture pour compte de tiers. D’où viennent les idées de film ? Comment les idées des gens ordinaires peuvent-elles pénétrer Hollywood ? Qui peut se permettre le prix souvent élevé d’un scénariste établi ? IncuBeta offre une solution abordable pour de nombreux propriétaires d’histoire qui ne peuvent pas accéder au monde fermé de l’industrie du cinéma. IncuBeta socialise les coûts de marketing, comme la présence aux festivals par exemple. Une seule personne peut représenter tous les scénarios du portefeuille, bien qu’ils soient écrits par des scénaristes différents.
Qui sont les concurrents ?
Je n’en connais pas, à ce jour. Les collaborations entre scénaristes sont rares ou ponctuelles. La concurrence vient en fait de l’omniprésence des « agences de talents » (CAA, WME…) qui se positionnent encore comme douaniers entre scénaristes et producteurs. Leur oligopole s’effrite lentement, avec la multitude de producteurs répondant à la demande croissante des diffuseurs en ligne (streaming).
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
D’abord, acquérir la crédibilité de producteur et un minimum de compétences d’écriture, pour attirer et garder les scénaristes. Ensuite, écrire un portefeuille de titres de qualité suffisamment diversifié (8 à 10 scénarios) pour avoir accès à de multiples producteurs, quelles que soient les tendances des marchés. Puis perfectionner un ou deux scénarios qui serviront de vitrine, témoignant de la qualité du reste du portefeuille. Aujourd’hui, investir sur la promotion du portefeuille, qui est limité en taille. Et, prochainement, dès la vente d’un des titres, investir agressivement sur le développement du portefeuille (plus de 10 scénarios par an).
Qu’est-ce qui a changé dans l’industrie du cinéma ces dix dernières années ?
Tout a changé ! De la production à la distribution. Les acquisitions sont plus directes. Les festivals ont moins d’importance. Les acquéreurs sont plus agressifs dans leurs méthodes de recherche du prochain Pulp Fiction. Les intermédiaires ont moins de pouvoir. La célérité de l’information est décuplée. Un projet qui naît dans le secret à Atlanta est très vite concurrencé par un nouveau projet mis sur pied à Toronto. L’écriture aussi a changé. Les scénaristes spéculatifs se sont multipliés, forts de l’espoir d’être détectés par une demande directe – une brèche que j’espère bien ouverte pour IncuBeta.
La culture est-elle le prochain champ de bataille de la guerre économique ?
La culture est devenue un champ de bataille dès les années 80, depuis le démantèlement du studio system qui était un oligopole. Le point tournant étant l’arrivée (et le succès) de l’infâme Harvey Weinstein, qui a ouvert les vannes du marché des films indépendants (c’est-à-dire des films montés et financés avant d’être acquis par les grands distributeurs). Les efforts de la Chine pour infiltrer les cultures occidentales en témoignent. Les évolutions se sont accélérées avec l’essor rapide des réseaux sociaux. Les changements de comportement culturel sont visibles d’une année sur l’autre, non plus d’une génération à l’autre.
Les séries ont-elles tué le cinéma que nous avons connu ?
Plus que les séries, c’est le « cinéma sur rendez-vous » (le streaming, films ou séries) qui a tué ce cinéma. De la même façon que la communication entre personnes a été affectée par les réseaux sociaux, le plaisir de l’expérience commune de la « grande salle » a laissé la place au plaisir solitaire du spectateur, seul dans son salon ou devant son iPad. Le buzz autour de la sortie d’un nouveau film n’existe plus (à part les rares blockbusters) qui se comptent sur les doigts de la main chaque année).
Netflix est-il déjà en train de mourir ?
Bien au contraire. Netflix se redéfinit. C’est un géant tentaculaire dont la pénétration culturelle est de plus en plus efficace. Netflix se développe dans toutes les niches culturelles et acquiert des produits de plus en plus spécifiques à des spectateurs bien ciblés, par zone géographique, par âge, voire par religion. Grâce à la maîtrise de ses coûts de production et d’acquisition, il peut se permettre de s’aventurer dans des niches de plus en plus étroites. La concurrence et le protectionnisme en France ne sont pour lui que de menus obstacles.
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[…] Netflix est-il l’avenir du monde du cinéma, ou bien est-ce une entreprise appelée à disparaître (question un peu bébête, je sais, mais l’interview a été réalisée avant la pandémie…) ? Sommes-nous voués à ne plus regarder que des séries ? Et la culture est-elle le prochain champ de bataille de la guerre économique ? Ce sont certaines des questions auxquelles Tony a bien voulu répondre dans cette interview, que vous retrouverez sur le site de la Jaune et la Rouge. […]