Industrie du futur et numérique : quels enjeux pour l’industrie française ?
L’industrie française reprend vigueur, mais peine encore à rattraper celle de l’Allemagne, par exemple. Le numérique et l’industrie du futur sont des défis pour nous à relever, mais aussi des outils de relance pour y parvenir.
Oui, notre industrie a enrayé son déclin ! En 2017, la production manufacturière a augmenté de 2,9 %, le solde des emplois industriels a été positif et il y a eu plus d’ouvertures de sites que de fermetures. Toutefois, cette bonne performance, liée en partie à la conjoncture, ne doit pas faire oublier que des difficultés persistent. La compétitivité des entreprises industrielles a été fortement dégradée au cours des dernières années, de telle sorte que nous avons perdu 1 million d’emplois en quinze ans dans l’industrie, avec 600 usines en moins sur notre territoire, même si les pertes de contrôle emblématiques de certains fleurons de l’industrie française ont également contribué, parfois de façon un peu excessive, à noircir ce constat. De même, la marge des entreprises industrielles françaises reste quatre points en dessous de leurs concurrentes allemandes.
Dans ce contexte, l’industrie du futur et les technologies qui en découlent constituent une opportunité de relance considérable, et la clé de réindustrialisation de certains territoires. C’est une chance qu’il convient de saisir pour relocaliser la valeur ajoutée et des emplois en France et préserver ainsi les compétences et le savoir-faire industriel de notre pays.
REPÈRES
En quinze ans, la part de l’industrie dans le PIB de la France a chuté de 16 % à 12 %, contre une stabilité à 23 % en Allemagne, du fait notamment d’un parc industriel obsolescent jusqu’à un début de rattrapage à partir de 2015 – rappelons que l’âge moyen des équipements industriels français est autour de dix-neuf ans.
Le numérique : un levier de croissance pour l’industrie française
D’emblée, il faut rappeler que la révolution numérique est d’abord un défi pour l’entreprise et son business model, car c’est l’ensemble des chaînes de valeur qui seront impactées. Poussées par le marché, les entreprises sont contraintes d’innover, de perfectionner et de personnaliser leurs produits. Par ailleurs, le numérique transforme l’ensemble du tissu industriel et des acteurs économiques grâce à des innovations qui bouleversent la structure des marchés et les modes de consommation. L’uberisation n’est pas réservée aux taxis ou à l’hôtellerie. L’apparition des fameux GAFAM (Google-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft) a déplacé le centre de gravité de la production vers les usages, les services. Les nouveaux acteurs lancent de nouvelles activités où l’innovation porte autant sur des avancées technologiques que sur une stratégie de captation des ressources (comme les data par exemple). C’est de ce processus de réintermédiation que sont nés les nouveaux acteurs du numérique.
Accélérer la compétence numérique des entreprises industrielles
Il appartient donc aux industriels de se saisir de ces sujets. L’indice Desi (Digital Economy and Society Index), qui mesure la digitalisation des pays européens, indique que la France est en retard en matière de connectivité
(20e place) et d’intégration des technologies numériques, notamment par les entreprises (16e). Ainsi, la dichotomie PME / grands groupes s’observe dans l’adoption des technologies numériques les plus récentes : cloud computing, interfaces numériques avec les fournisseurs, big data, robotique de pointe. Il est à noter une seconde – et peut-être plus alarmante – dichotomie entre le niveau de maturité numérique dans l’entreprise et les pratiques avancées des Français eux-mêmes dans leur cadre privé.
Développer les plateformes de filières
Par ailleurs, l’entreprise industrielle demain devra s’appuyer sur une communauté de destins pour assurer la continuité numérique de sa filière, grâce à des standards et des solutions communes. Elle pourra ainsi limiter les ruptures entre les systèmes d’information. Dans le cadre du Conseil national de l’industrie, les industriels, les syndicats de salariés et les pouvoirs publics ont identifié deux leviers : l’aide à la maîtrise d’ouvrage pour les filières d’une part, afin qu’elles organisent un plan d’action de numérisation à travers des plateformes intégrant toutes les bonnes pratiques et expériences (à l’instar de ce qui se pratique déjà notamment dans l’aéronautique puis l’automobile, et de plus en plus dans la plupart des dix-huit filières industrielles) et la pénétration du numérique dans chaque entreprise industrielle d’autre part. L’AFNeT et l’Alliance industrie du futur seront respectivement deux catalyseurs de projets sur ces axes.
“L’entreprise demain devra s’appuyer
sur une communauté de destins”
Le rôle des régions, clé pour la digitalisation des PME
Les pouvoirs publics ont annoncé aussi le lancement d’un plan de digitalisation des TPE françaises, complémentaire de l’action de l’Alliance industrie du futur pour les ETI-PME ; c’est une mesure que les industriels appelaient de leurs vœux depuis longtemps et qui doit à présent être déployée dans les territoires. Enfin, dans le cadre de l’accélération de la compétence technologique des PME en matière d’industrie du futur, les régions financent les audits et les missions d’accompagnement des PME et des ETI industrielles implantées dans les territoires. Les agences régionales de développement économique suivent plus particulièrement la montée en puissance de ce déploiement dans le cadre des SRDEII.
Industriels et pouvoirs publics renforcent leur collaboration
Les pouvoirs publics et les industriels ont aussi l’initiative : le CNI numérique, qui a été installé le 11 juillet 2018, se donne pour objectif de construire et piloter les orientations stratégiques en matière de numérisation des entreprises industrielles, pour les amener à saisir les opportunités de leur transformation vers l’industrie du futur. Cette action s’organise selon 4 axes : la transformation par le numérique des chaînes de valeur dans chaque filière ; l’accompagnement de la transformation des entreprises industrielles par le numérique dans tous les territoires ; les nouvelles compétences rendues nécessaires par la transformation numérique ; et les enjeux de normes et de régulation attachés au numérique dans l’industrie. Le CNI numérique veille à la bonne interaction entre le volet numérique des comités stratégiques de filières et la feuille de route de l’Alliance industrie du futur. Le 20 septembre, le Premier ministre annonçait une initiative dotée de 500 M€ pour accompagner toutes les PMI et toutes les filières dans l’intégration des meilleures pratiques et technologies numériques : la moitié en suramortissement de 40 %, sur deux ans d’investissements numériques (machines de fabrication additive, logiciels de gestion de la production, capteurs connectés…), l’autre moitié en subventions du Programme d’investissements d’avenir (PIA), les filières définissant elles-mêmes leurs priorités et les mettant en œuvre via des plateformes. Simultanément, la sensibilisation de 15 000 PME aux enjeux de l’industrie du futur et leur accompagnement devraient décupler l’initiative antérieure en multipliant les « Vitrines industrie du futur » (une centaine en 2020), et en maillant le territoire par une vingtaine de centres d’accélération.
Accompagner l’émergence des nouvelles technologies dans l’organisation du travail
Le modèle fordiste et le taylorisme sont révolus. Aussi, l’organisation du travail telle qu’elle s’est développée depuis l’après-guerre évolue-t-elle profondément. L’industrie était tournée vers le processus de production de masse alors que, désormais, c’est au contraire le produit qui pilote le processus de production, du fait d’une personnalisation toujours plus grande, qui impactera nécessairement les modes d’organisation. Cette nouvelle économie remet en question les carcans hiérarchiques dans lesquels étaient parfois enfermés les salariés. Désormais, les organisations seront plus horizontales, légères et agiles. Elles reposeront sur un fonctionnement en réseaux plus collaboratif et inclusif.
Ces nouveaux modèles d’organisation, articulés sur la flexibilité, l’adaptabilité et la personnalisation, la polyvalence, sont en plein essor. Dans cette perspective, la formation et la montée en compétence des opérateurs sont des conditions nécessaires pour préserver les bassins d’emplois et améliorer les savoir-faire. Ainsi, face à ce défi considérable, les acteurs industriels, en tout premier lieu l’Alliance industrie du futur qui les fédère, ont l’ambition de soutenir, en lien avec les grandes filières industrielles et avec les sites industriels en région, le déploiement dans les territoires de plateformes de formation aux technologies de l’industrie du futur.
Former les opérateurs de demain
Mais, l’industrie du futur repose tout autant sur l’accompagnement des compétences des opérateurs en poste que des opérateurs de demain. Pour les industriels, l’objectif est donc d’augmenter sensiblement la part de l’apprentissage. En ce qui concerne l’industrie, on pourrait viser une augmentation du nombre d’apprentis de 40 % d’ici à cinq ans.
L’objectif final est double : développer les compétences d’une part et susciter l’appétence de l’autre. Un travail de communication considérable est à mener pour redorer l’image de l’industrie et de ses métiers. Les nouvelles technologies de l’industrie du futur offrent de ce point de vue une occasion formidable de présenter des filières industrielles modernes et tournées vers l’avenir.
Pour une vision européenne
La transition vers l’industrie du futur doit être accompagnée à l’échelle européenne d’un environnement favorable en termes de connectivité, de développement des infrastructures très haut débit fixes et mobiles, de standards numériques interopérables, de circulation sécurisée des données industrielles et de cybersécurité. Elle doit également comporter une vigilance accrue sur la souveraineté numérique, eu égard au nombre restreint de fournisseurs non européens dominant le marché actuel. Un soutien au déploiement d’une offre européenne de solutions numériques est nécessaire.
La plupart des pays européens ont lancé des programmes de promotion des nouvelles technologies industrielles, et la Commission européenne a mis en place une plateforme visant à coordonner ces initiatives. Le projet français industrie du futur a vocation à s’interfacer avec ces projets nationaux pour initier des coopérations et des alliances stratégiques. La coopération avec l’initiative allemande Plattform Industrie 4.0 lancée en 2016 et étendue en 2017 à l’initiative italienne Piano Industria 4.0 s’inscrit dans cette voie. Elle permet un travail trilatéral important sur les processus de standardisation, l’engagement des PME dans l’industrie du futur et le cadre réglementaire européen notamment en matière de propriété et de souveraineté des données industrielles. Les trois initiatives nationales portent ces travaux de manière commune au sein de la plateforme européenne de la Commission. La normalisation y tient une place majeure : c’est un enjeu clé de l’industrie du futur au niveau européen, car elle porte en elle la nécessaire interopérabilité des machines et des systèmes. Les instances actuelles de normalisation, qu’il s’agisse du niveau français ou du niveau international (y compris européen), sont souvent cloisonnées par secteurs industriels et peineraient sans cela à traiter la transversalité portée par l’industrie du futur.
Une nouvelle ambition pour France Industrie
Dans ce contexte mouvant et stimulant, l’équipe de France Industrie s’est mise en ordre de bataille pour saisir toutes les opportunités offertes par l’émergence des nouvelles technologies. Le gouvernement a donné, avec les industriels, une nouvelle impulsion au Conseil national de l’industrie (CNI), au service de projets structurants des filières industrielles en France et autour d’une ambition commune de renforcer les liens entre les grandes entreprises et les ETI-PME en croissance. Le pilotage des Comités stratégiques de filière (CSF) est désormais confié à des industriels et ils intègrent leur politique d’innovation (« ex-solutions industrielles ») et de numérisation. Cette collaboration étroite a notamment permis de labelliser une nouvelle liste de de dix-huit filières : aéronautique, alimentaire, automobile, bois, chimie et matériaux, eau, ferroviaire, industries électroniques, industries et technologies de santé, industries de la mer, industries pour la construction, mines et métallurgie, mode et luxe, industries des nouveaux systèmes énergétiques, nucléaire, transformation et valorisation des déchets, industries de sécurité, infrastructures numériques. Déjà, des contrats de filière, intégrant un volet numérique, sont signés ou sur le point de l’être.
Loin de la subir au risque d’être tous perdants, il est de notre devoir commun d’accompagner résolument cette nouvelle révolution industrielle. Relevons ensemble ce défi !
Apprentissage
Alors que la part des élèves en filière professionnelle en France n’est pas si éloignée de celle de l’Allemagne, la part de l’apprentissage est pourtant sensiblement plus faible. Or, l’institut allemand de recherche sur le marché du travail reconnaît que l’apprentissage contribue puissamment à la compétitivité du pays et que ce système a contribué à réduire de façon spectaculaire le chômage des jeunes (5,6 % en 2016 en Allemagne).
France Industrie
France Industrie, créée le 1er février 2018 par l’union du Cercle de l’Industrie (rassemblant les présidents de quarante grandes entreprises privées et publiques intervenant dans tous les secteurs industriels) et du Groupe des fédérations industrielles (regroupant dix-neuf fédérations nationales sectorielles adhérentes au Medef), permet à toute l’industrie, des grandes entreprises aux PME, de parler d’une même voix, notamment en vue de la préparation des réunions du CNI numérique.
L’exemple chinois
La stratégie de disruption numérique retenue par la Chine l’a conduite à lancer en 2017 un plan sur l’intelligence artificielle qui prévoit un soutien en capital, en orientation des marchés, en renforcement des liens entre entreprises, instituts de recherche et organismes militaires. Les gouvernements locaux sont incités à créer des plans locaux et développer des centres de R & D en IA en prenant appui sur la taille du marché intérieur et sur les géants du numérique chinois, en orientant des investissements vers le numérique et en encourageant le rapatriement des chercheurs chinois. Ainsi en 2017, sur 15,2 Mds$ investis dans les start-up de l’intelligence artificielle dans le monde, 48 % étaient en Chine 38 % aux États-Unis.