Industrie, santé, culture, IA générative… le numérique accélère
Le numérique connaît des développements qui donnent le vertige. Il faut s’y adapter : entreprises, particuliers, États. Mais c’est au niveau européen que les réponses pourront être adaptées à l’ampleur des défis.
Le numérique est aujourd’hui au cœur de la recherche et de l’industrie. Qu’on s’occupe de grande industrie – dans l’aéronautique, l’automobile ou la chimie, dans l’énergie ou la construction – ou de grands domaines comme la santé et l’industrie pharmaceutique, les communications ou la production audiovisuelle, le numérique est devenu partout en quelques années une composante majeure de l’activité, et même dans certains cas le moteur principal du développement des entreprises. Or les développements récents du numérique et les perspectives pour les prochaines années montrent une accélération forte, à la fois des performances et des possibilités et aussi des usages, allant jusqu’à la création d’activités complètement nouvelles, dont par construction nous ne pouvons pas mesurer à l’avance l’apport véritable et les risques possibles induits.
On n’a encore rien vu…
La transformation que nous avons vécue depuis dix ans peut nous paraître importante, mais ce qui nous attend est sans commune mesure. Demain, le numérique sera au cœur de la culture, de la presse et de l’éducation. Un exemple : on va pouvoir créer des livres « à la San-Antonio », de la musique « à la Jean-Sébastien Bach », des tableaux « à la Picasso », et il sera difficile de démêler le vrai du faux. Ce sera également un facteur de progrès déterminants dans la santé, avec notamment la mise au point de traitements personnalisés et de nouvelles thérapies. Cette accélération va se faire sentir dans tous les domaines et dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Une bonne maîtrise du numérique devient indispensable pour la compétitivité et, a contrario, une prise en compte insuffisante peut avoir des conséquences lourdes.
S’informer et se former
Alors, que doivent faire les entreprises ? La première des choses, c’est de s’informer et de se former. La formation, en quantité et en qualité, est essentielle. Deux pays nous montrent la voie : l’Inde et la Chine ont construit en quelques années des systèmes de formation exceptionnels de chercheurs et d’ingénieurs sur tout le champ du numérique, des mathématiques appliquées aux composants, aux architectures et aux logiciels. Nous avons la chance de disposer d’un système d’enseignement et de recherche de qualité et rien ne s’oppose à ce que l’on fasse aussi bien, en complétant cette action par des programmes de formation continue : il ne suffit pas de pouvoir embaucher dans quelques années de bons ingénieurs bien formés, il faut aussi que les équipes actuelles de recherche et de production intègrent ces nouvelles possibilités dès qu’elles apparaissent.
Se préparer et faire des choix
Il faut aussi se préparer pour utiliser ces performances que le numérique permet et il ne s’agit pas de dégager des budgets importants. Le premier investissement est de s’informer sur les nouvelles possibilités que le numérique offre et va offrir dans le domaine d’activité concerné. Je peux vous citer un exemple, le calcul quantique pour lequel un groupe de grandes entreprises et de centres de recherche et d’enseignement ont lancé des travaux communs pour leur permettre de se préparer à l’arrivée de ces technologies très puissantes. Des journées sont régulièrement organisées où se retrouvent ces grands industriels et les start-up du domaine, et à chaque fois entre 200 et 300 personnes y participent. Cela permet aux utilisateurs de se préparer et aux fournisseurs technologiques de trouver des partenaires pour les aider à concevoir leurs produits. Le choix des domaines précis d’investissement reste toujours un choix individuel d’entreprise : une entreprise qui fabrique des pièces de précision se posera sans doute la question de la fabrication additive ; dans un autre domaine, ce sera l’usage possible de jumeaux numériques ; pour d’autres le recours à des technique d’apprentissage, etc. Le choix et le dimensionnement des investissements à réaliser seront toujours liés à l’évolution souhaitée par l’entreprise de ses capacités de conception et de production.
Les gains de performance dans l’existant
Dans l’accélération à laquelle nous assistons, il y a d’abord le gain de performances sur des usages maîtrisés et des applications existantes. La combinaison des progrès en puissance de calcul – on atteint aujourd’hui l’exascale, soit dix milliards de milliards d’opérations par seconde et de ceux réalisés dans le stockage et dans les logiciels font que, sur les applications de simulation, on a gagné un facteur mille en dix ans. Et c’est la même chose pour le traitement des données pour les data scientists. On ne conçoit plus un produit ou un service comme on le faisait il y a dix ans. D’où l’importance de ce regard sur ce que permettent les progrès du numérique.
Les nouveaux domaines
Mais il va falloir aller au-delà. On va voir arriver des activités nouvelles, inconcevables précédemment, qui se développent à cause de la puissance inégalée des outils numériques et qui seront mises au point sans qu’il y ait la moindre validation ou qualification des processus utilisés. C’est le cas notamment avec l’intelligence artificielle générative qui, à une question posée, répond à partir d’une analyse de tout ce qui est disponible sur Internet sur ce sujet. Pour la diffusion d’informations, c’est un outil très efficace mais incapable de discerner les fausses informations. Les prochaines versions créeront des textes, des images et de la musique sans auteur et tout le secteur audiovisuel sera impacté. La notion même de droit d’auteur devra être revue. Ce sera également le cas en biologie ou dans la recherche pharmaceutique, où l’analyse numérique des combinaisons de molécules offrira des possibilités sans commune mesure avec ce que l’on sait faire aujourd’hui.
“Le numérique, une des composantes essentielles de la construction européenne.”
Gérer les risques
Il est important de travailler à la fois sur les possibilités extraordinaires offertes par ce type d’approches et sur les façons de gérer les risques induits. Le risque majeur est de diffuser de fausses informations, de générer de faux médicaments et de fausses thérapies. Il faut s’y préparer et concevoir les outils et les méthodes permettant de gérer ces risques.
Le rôle de l’Europe
Le rôle de l’Europe sera essentiel sur tout le champ couvert par le numérique. Sur la maîtrise technologique du numérique, des progrès importants ont été faits. Le programme EuroHPC permet de fédérer les acteurs européens de l’industrie et de la recherche autour de grandes réalisations fondamentales pour notre compétitivité et notre souveraineté. Les premières machines Exascale européennes vont voir le jour, dont une en France prochainement ; des actions ambitieuses dans le domaine des composants sont lancées et l’Europe a décidé d’établir dans chaque pays un centre de compétence mettant en relations tous les acteurs concernés de l’industrie, de l’enseignement et de la recherche pour faciliter la diffusion et la maîtrise de ces technologies.
Ces centres seront accessibles à toutes les entreprises, offreurs et utilisateurs, aux chercheurs, aux étudiants, aux demandeurs d’emploi, etc., et permettront de trouver des réponses aux questions posées. Ce sera la même chose pour la gestion des risques. Les problèmes de cybersécurité, qui vont aller croissant, et les risques présentés par ces nouvelles activités sont les mêmes partout et vont nécessiter la mise en place de garde-fous avec des règles précises, dont la mise en place sera forcément européenne.