Inès Safi (X86) la perplexité ouvre à l’altérité
Inès Safi est tunisienne. Vouée à l’excellence, elle a choisi la physique théorique et dirige un groupe de recherche au Laboratoire de physique des solides à Orsay. Le soufisme l’a aidée à se définir comme une chercheuse à la foi fervente.
Tunisienne, originaire de Sfax où elle naquit et passa son enfance : des années d’intense curiosité, tous azimuts. Sa maman, tout à fait exceptionnelle, avec pour devise « apprendre par le jeu », en fit une surdouée. Sa famille fut profondément blessée par la violence de la colonisation française. Inès, pour sa part, résolut de riposter, en devenant systématiquement la meilleure partout !
Féministe, physicienne et mère
Bachelière à 18 ans, Inès Safi obtint une bourse pour étudier en France et se retrouva à Ginette – la seule non catholique –, ce qui fortifia son identité de musulmane. Elle intégra l’X, seule étrangère dans cette promotion, s’y destinant aux mathématiques. Elle choisit la gymnastique comme section sportive (elle chérit la photo où quelques camarades et elle-même s’apprêtent à plonger en grand uniforme, suscitée par la visite du ministre des Armées, André Giraud (X44), et recueillie dans l’album de promotion). Féministe – comme il se doit –, elle se lança dans une campagne de kès avec neuf autres jeunes filles et un garçon.
Adieu aux maths : Inès devint physicienne sous la bienveillante influence d’Yves Quéré et opta pour la physique théorique sous celle d’Édouard Brézin. Jean-Louis Basdevant, Alain Aspect contribuèrent aussi à cet appel. Puis elle partit en 1989 préparer un doctorat aux États-Unis, à l’université Rutgers, à New Brunswick, proche de New York. Ce furent pour elle des années précieuses, tout particulièrement de par son inclusion dans la communauté musulmane locale, avec sa première fréquentation d’une mosquée. Elle opta pour le port du voile et revint en France voilée (mais ôta le voile sous l’influence de ses parents).
“Inès Safi se situe au barycentre du triangle amour-connaissance-beauté.”
Inès se maria et eut trois enfants, qu’elle éleva comme elle-même le fut, les encourageant à donner libre cours à leur curiosité, à l’ivresse de la découverte. Elle s’occupa d’eux à fond, elle s’en séparait le moins possible : elle emmenait les deux plus jeunes avec une nourrice lorsqu’elle participait à une réunion scientifique. Encore aujourd’hui, Inès Safi et sa fille aînée travaillent ensemble la physique quantique – nous y reviendrons.
L’Islam
Son engagement en Islam fut tout aussi vigoureux ; ce que symbolisa pour elle son tapis de prière, qui ne la quittait pas. En 2005, elle découvrait le groupe « Science et religion en Islam », puis le soufisme, ce qui l’aida à se définir comme une chercheuse à la foi fervente : elle fait penser à Pascal. Mue par sa foi, ainsi que par son admiration du soufisme, elle cherche (et trouve) dans les textes anciens (XIIe et XIIIe siècles) de penseurs musulmans les prémices de la science moderne, à commencer par l’atomisme.
Elle est trilingue : l’arabe pour la prière, l’anglais pour la science et le français pour se parler à elle-même. Immanquablement, les médias furent séduits par sa personnalité et son parcours ; elle participa à nombre de débats sur la Chrétienté et l’Islam, que ce fût au Collège des Bernardins ou à l’Institut du monde arabe. Elle se situe au barycentre du triangle amour-connaissance-beauté. Autrement dit par elle, bien joliment, « la perplexité ouvre à l’altérité ».
La physique quantique
Elle dirige un groupe de recherche au Laboratoire de physique des solides à Orsay. Elle contribue à établir les lois du transport électrique quantique, dans l’esprit de Landau. Une approche pionnière de la diffusion des magnéto-plasmons, déjà développée dans sa thèse de doctorat, est devenue largement utilisée malgré la diversité des systèmes étudiés. Une autre théorie unificatrice (développée depuis 2011) permit de dériver des formules universelles concernant la moyenne d’un courant et ses fluctuations autour de cette moyenne. L’une de ces formules a été utilisée lors du travail de thèse de sa fille Imen (publiée dans Nature Communications 2022). La formule a aussi été au cœur d’un autre article publié dans Science en 2019. Elle publie régulièrement, dans Physical Review entre autres. Une des trop rares femmes en physique théorique, elle l’illustre brillamment.
Inès Safi, les lecteurs l’auront deviné, a une vaste culture et, outre le soufisme, adore la poésie (lecture et écriture) et les beaux-arts (Matisse entre autres). D’une grande ouverture envers autrui, sa personne rayonne de fierté, dans toutes ses dimensions : d’être croyante, de s’être hissée au premier plan de la physique, d’avoir réussi ses enfants, d’être très belle – et j’en passe.
Nous pouvons en savoir gré à sa mère !
Pour en savoir plus :
- Inès Safi, « Driven quantum circuits and conductors : A unifying perturbative approach », Physical Review 2019, B 99, 045101.
- Sous la direction de Abd-al-Haqq Guiderdoni, Science et religion en Islam : des musulmans parlent de la science contemporaine, Albouraq éditions, 2012.
Commentaire
Ajouter un commentaire
La lecture de “La Jaune et La Rouge” est toujours aussi intéressante. Elle nous donne l’occasion de découvrir des portraits de personnages aux trajectoires aussi passionnantes que variées.
Je souhaiterais pouvoir lire régulièrement votre revue.