Informer dans la presse écrite, un art populaire

Dossier : Les X et l'écritureMagazine N°660 Décembre 2010
Par Jean-Marc CHABANAS (58)

Rares sont les poly­tech­ni­ciens jour­na­listes. Rares aus­si ceux qui ne se trouvent pas, un jour ou l’autre, taxés de la rédac­tion d’un article. Rares, enfin, ceux qui savent natu­rel­le­ment com­ment s’y prendre. Un article n’est ni une thèse, ni une conférence.Voici quelques recettes simples.

REPÈRES
Un article n’est pas linéaire. Il ne se lit pas comme un livre et ne s’é­coute pas comme une confé­rence. Il se sur­vole d’a­bord, en deux dimen­sions. Il faut l’é­crire avec humi­li­té et s’es­ti­mer heu­reux si le lec­teur en a par­cou­ru quelques pas­sages et en a rete­nu une idée ou deux. L’au­teur n’au­ra pas per­du son temps. Et, qui sait, peut-être ce lec­teur revien­dra-t-il, dans un mois, dans un an ?

On écrit pour son lec­teur. Cette véri­té pre­mière se com­plique lors­qu’il s’a­git d’un article. Le lec­teur est avant tout le lec­teur du jour­nal et non celui de l’au­teur de l’ar­ticle. Peut-être a‑t-il sim­ple­ment choi­si son jour­nal pour les mots croi­sés ou les récréa­tions scientifiques ?

La pre­mière tâche de l’au­teur consiste à séduire le lec­teur, à faire que, par­mi les mul­tiples articles qui lui sont pro­po­sés, il va choi­sir celui-ci.

Témoi­gnage
Poly­tech­ni­cien et journaliste
L’X a la répu­ta­tion de mener à tout. Au sémi­naire comme au jour­na­lisme, une pro­fes­sion que j’ai exer­cée avec bon­heur pen­dant qua­rante ans.
 » Un poly­tech­ni­cien dans la presse ? »
Mes inter­lo­cu­teurs chefs d’en­tre­prise ou hauts fonc­tion­naires s’en sont sou­vent éton­nés. Et, de fait, nous sommes rares. Saluons bien enten­du le brillant et foi­son­nant JJSS (43), mais n’é­tait-il pas tom­bé dans la presse à sa nais­sance comme Obé­lix dans la potion magique ? J’ai tout de même tra­vaillé pour son frère Jean-Louis, fon­da­teur de L’Ex­pan­sion, pen­dant la baga­telle de vingt-quatre ans, ce qui est long dans une car­rière de jour­na­liste. Le monde éco­no­mique satis­fai­sait, par sa diver­si­té, ma curio­si­té insa­tiable tout en me per­met­tant d’employer des facul­tés d’a­na­lyse (et sur­tout de syn­thèse) tra­di­tion­nel­le­ment attri­buées aux polytechniciens.
Sans oublier le fait que nombre de mes illustres anciens me pro­po­saient spon­ta­né­ment le tutoie­ment, me don­nant une petite lon­gueur d’a­vance sur mes confrères.
Fran­çois de Witt (64)

Attirer le butineur

Un jour­nal est d’a­bord un conte­nu dans un contenant

Obser­vons le lec­teur. Il feuillette, jette un oeil sur un article, regarde une illus­tra­tion, saute sou­dain à l’ar­ticle voi­sin. En bref, il butine. Il faut l’attirer.

Il est plu­sieurs façons de déployer les charmes de sa prose.

La pre­mière, c’est le titre. Il doit à la fois atti­rer l’at­ten­tion et four­nir une infor­ma­tion. Et tant pis si l’on déve­loppe ensuite une idée tout à fait contraire. Le lec­teur est intri­gué, il va s’ar­rê­ter un ins­tant sur l’article.

Le chapeau

Le cha­peau n’est pas la conclu­sion, mais il n’en est pas bien loin

Vient ensuite le cha­peau. Il consiste en quelques lignes en tête de l’ar­ticle. Ce n’est pas la conclu­sion, mais ce n’en est pas bien loin. Il résume les points essen­tiels de l’ar­ticle. À la lec­ture du cha­peau le lec­teur peut réagir de diverses façons : cet article ne m’in­té­resse pas (c’est son droit) ; cet article m’in­té­resse, je vais le lire (aujourd’­hui, demain, peu importe) ; inté­res­sant, mais j’en sais assez (c’est déjà un très bon résultat).

L’encadré

Rien d’aus­si décou­ra­geant qu’un article pré­sen­té en colonnes ser­rées. Le lec­teur va rapi­de­ment pas­ser à l’ar­ticle voi­sin. La tech­nique, dite « de l’en­ca­dré « , per­met tout à la fois d’aé­rer la pré­sen­ta­tion, d’é­la­guer le déve­lop­pe­ment prin­ci­pal des inévi­tables digres­sions et d’at­ti­rer le lec­teur buti­neur. L’en­ca­dré, ain­si appe­lé parce qu’il se pré­sente dans un cadre, doit pou­voir se lire de façon indé­pen­dante. Il traite un mini-sujet, lié au sujet prin­ci­pal. Une place toute trou­vée pour des pré­ci­sions chif­frées, des détails tech­niques, des anec­dotes qui alour­dissent le texte prin­ci­pal mais pré­sentent un inté­rêt certain.

Témoi­gnage
Cri­tique musical
Citer comme qua­li­tés du » poly­tech­ni­cien-jour­na­liste » l’es­prit de syn­thèse ou le res­pect scru­pu­leux des délais de bou­clage tien­drait du cli­ché. En outre, depuis dix ans que j’é­cris pour le maga­zine Dia­pa­son, mon bagage tech­nique ne m’a que rare­ment ser­vi : je me sou­viens que ce fut le cas lors d’une inter­view de Michel Serres, qui avait rédi­gé les textes d’un beau disque consa­cré par le qua­tuor Ysaÿe aux Sept der­nières paroles du Christ en croix de Haydn. La cri­tique musi­cale peut se rap­pro­cher de la quête scien­ti­fique lors­qu’il s’a­git d’es­sayer de com­prendre en quoi dif­fèrent deux inter­pré­ta­tions. La déli­cate recherche de cri­tères objec­tifs illus­trant les spé­ci­fi­ci­tés du jeu d’un pia­niste naît sans doute de la même moti­va­tion que celle du scien­ti­fique vou­lant déchif­frer le fonc­tion­ne­ment du monde. Le goût de l’é­cri­ture et le sou­ve­nir per­ma­nent de la célé­bris­sime maxime de Boi­leau per­mettent alors de trans­for­mer cette quête en un texte qui, bien que natu­rel­le­ment sub­jec­tif, s’at­ta­che­ra à ne pas tra­hir ce que l’on a per­çu des inten­tions du musicien.
Jérôme Bas­tia­nel­li (90)

La belle image

Vic­tor Consi­dé­rant (1826), un père du jour­na­lisme moderne
Que ce soit dans La Pha­lange ou la Démo­cra­tie paci­fique, la tech­nique édi­to­riale de Vic­tor Consi­dé­rant est ten­due vers l’ob­jec­tif de clar­té. Sa plume est tour à tour concise, enflam­mée et véhé­mente, ou au contraire plus froi­de­ment péda­go­gique. Il exploite les res­sources de la typo­gra­phie pour mettre en valeur un mot ou une phrase. Il uti­lise les capi­tales, les ita­liques, pour créer autant de points d’ap­pui des­ti­nés à l’oeil et favo­ri­ser ain­si la sai­sie de l’idée.

(Extraits d’un article de Michel Ver­nus. La Jaune et la Rouge, avril 2000)

Un article est plus seyant s’il est illus­tré, ce qui n’est pas le cas de celui-ci. L’illus­tra­tion est une occa­sion de plus d’at­ti­rer le lec­teur, mais aus­si de lui four­nir une infor­ma­tion. Si elle est liée au thème, en pro­fi­ter pour répé­ter une don­née impor­tante du texte, mais qui se suf­fise à elle-même. Il ne faut pas qu’elle oblige à se plon­ger dans le texte.

Gare aux coupes

La pro­pen­sion du poly­tech­ni­cien est de rédi­ger des articles trop longs, dans un style de confé­rence. Pour­tant, un jour­nal est phy­si­que­ment un conte­nu dans un conte­nant. La place est rigou­reu­se­ment limi­tée. Inter­vient en bout de chaîne le redou­table » secré­taire de rédac­tion « , dont un des rôles essen­tiels est de » faire tenir » coûte que coûte. Il » coupe « . Moins il reste de temps avant la date fati­dique de paru­tion, plus il coupe sans dis­cer­ne­ment. Le der­nier para­graphe est le plus mena­cé. Adieu, ma belle conclu­sion. C’est dans le cha­peau qu’il fal­lait la placer.

Témoi­gnage
Un défi pour les X
Une des rai­sons qui m’ont conduit au jour­na­lisme (pré­sen­te­ment à Sciences et Ave­nir, un men­suel de vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique) est que j’y trouve une manière de rendre à la socié­té ce qu’elle m’a don­né pen­dant mes études.
Par­ti­ci­per à la dif­fu­sion des connais­sances, au déve­lop­pe­ment de la culture géné­rale et de l’es­prit cri­tique, sus­ci­ter des voca­tions scien­ti­fiques et tech­niques… sont des richesses imma­té­rielles qu’un jour­na­liste pro­duit. En outre, déjà enthou­sias­mant, le métier va l’être encore plus car il va… dis­pa­raître ! Que le sup­port de dif­fu­sion, avec Inter­net, change, c’est une évi­dence. Mais ce sont aus­si les rap­ports entre les lec­teurs et les pro­duc­teurs d’in­for­ma­tion qui sont modi­fiés avec les blogs, les com­men­taires. Même la manière de se repré­sen­ter une infor­ma­tion change : agré­ga­tion auto­ma­tique de conte­nus, cartes de liens, réseaux sociaux. Avis donc aux X entre­pre­nants : l’air de rien, les médias sont un ter­rain où l’es­prit d’en­tre­prise et d’in­no­va­tion peuvent s’exer­cer. Ima­gi­ner et créer ces futurs acteurs est un défi que pour­raient rele­ver d’an­ciens ou nou­veaux polytechniciens.
David Larous­se­rie (92)

2 Commentaires

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Herve Kablarépondre
2 décembre 2010 à 22 h 24 min

Et les X blo­gueurs ?
L’a­ve­nir de l’é­cri­ture, pour les X, c’est peut-être Inter­net ? Je tiens à jour une liste de poly­tech­ni­ciens blo­gueurs, qui ont l’air de bien s’amuser !

http://www.hervekabla.com/wordpress/blogs-de-polytechniciens/

Tru Do-Khacrépondre
7 décembre 2010 à 11 h 00 min

Consul­tant
Une autre forme d’ex­pres­sion écrite sur inter­net, les forums ouverts sur les réseaux sociaux tels que Lin­ke­din : il y a un groupe X d’ailleurs…

http://tru-dokhac.blogspot.com/

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