Infrastructures de télécommunications : les femmes y ont toute leur place
Les infrastructures de télécommunications, tout comme les infrastructures de transports et d’énergie font partie de nos vies quotidiennes. Les deux années de pandémie que nous venons de traverser avec notamment l’essor du télétravail, ont démontré le caractère vital des réseaux de télécommunications et des infrastructures qui les portent. Le point de vue de Bénédicte Javelot, Directrice d’Orange Wholesale France.
Les infrastructures de télécommunications sont au cœur de l’actualité : déploiement de la fibre sur tout le territoire, Réseaux d’Initiative Publique (RIP), déploiement de la 5G… Quels sont les enjeux et les mouvements stratégiques qui s’opèrent ?
Nous avons assisté pendant la pandémie à une explosion des usages du numérique. Le trafic internet a par exemple augmenté de 50 %1 du fait de la généralisation du télétravail, de l’enseignement à distance, du recours plus important aux applications de vidéos pour des usages professionnels et personnels… et la pandémie a donc été un véritable accélérateur de notre dépendance au numérique. Selon les chiffres de l’INSEE, 22% des salariés ont télétravaillé au moins 1 jour/semaine en 2021 contre 4% en 20192 ; le recours aux téléconsultations a été multiplié par 4 et le e‑commerce a vu son chiffre d’affaires progresser de 14%3 en 2021. Tous ces usages s’appuient sur des infrastructures numériques.
Il y a près de 10 ans, la France a fait le choix très ambitieux de la fibre optique pour couvrir le pays en très haut débit, tout comme l’Espagne et le Portugal qui font partie des pays les plus fibrés en Europe. D’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Italie, ont fait d’autres choix technologiques sur le cuivre et mettent aujourd’hui les bouchées doubles pour rattraper leur retard dans la fibre.
Plus récemment, les réseaux mobiles 5G ont commencé à se déployer en Europe. Les déploiements concomitants de la fibre et de la 5G nécessitent des ressources financières très importantes. En 2021 les opérateurs télécoms français ont investi près de 15 milliards d’euros, dont les deux tiers sur les infrastructures fixes. Les opérateurs européens investissent aussi, tout comme les opérateurs africains, justement pour répondre aux besoins numériques que j’ai cités plus haut.
L’un des enjeux importants dans ce contexte est de trouver les financements pour pouvoir déployer ces infrastructures numériques.
Les infrastructures de télécommunications sous-tendent donc des investissements colossaux. Selon vous, s’agit-il d’une manne financière ou d’opérations périlleuses ?
Les investissements d’infrastructures de télécommunications, comme les autres investissements d’infrastructures, sont très capitalistiques mais restent très prisés par les investisseurs de long terme parce que ce sont des opérations peu risquées avec une marge d’Ebitda importante. À titre d’exemple, un opérateur d’infrastructure génère une marge d’Ebitda entre 50% et 60% tandis que celle d’un opérateur commercial est inférieure à 30 %.
Dans ce cadre-là, de nombreux opérateurs ont été tentés de capitaliser sur l’attractivité de ces infrastructures pour retrouver des marges de manœuvre de financement, et finalement, investir soit dans l’infrastructure soit dans de nouveaux business. C’est ce qui a d’ailleurs déclenché sur le marché ces dernières années une vague de filialisations ou de cessions par des opérateurs télécoms de leurs tours mobiles et de leurs infrastructures terrestres (réseaux d’accès et de collecte, datacenters). C’est une classe d’actifs très prisée, soutenue par une demande très importante. De ce fait, nous voyons émerger des FiberCos et TowerCos qui, adossées à des fonds d’investissements infrastructures, comme KKR, Blackstone, MacQuarie ou autres, se positionnent sur ces deals dans toute l’Europe.
Quels sont les enjeux pour Orange en France ?
Orange est le leader du déploiement de la fibre en France. Nous possédons en propre une grande partie de cette « classe d’actifs », puisque nous avons déployé en zone privée4 la fibre, et avons fait le choix de conserver le contrôle de ces infrastructures, contrairement à d’autres acteurs qui ont décidé d’en céder tout ou partie. Ainsi, nous avons créé notre filiale Totem, qui regroupe l’ensemble de nos tours mobiles et qui jouera un rôle clé dans la consolidation du marché des tours en Europe.
Sur les infrastructures fixes, nous avons décidé de rassembler toutes nos filiales de Réseaux d’Initiative Publique dans une société qui s’appelle Orange Concessions et d’en ouvrir le capital à des fonds d’investissements infrastructures. Cette opération a été réalisée en 2021 avec un actionnariat à 50/50 entre Orange et un consortium d’investisseurs français (Banque des Territoires, EDF Invest et CNP Capital). Cela nous permet d’avoir une société partagée avec des investisseurs pour accélérer notre développement fibre en zone rurale.
Par ailleurs, Orange possède aujourd’hui d’autres classes d’actifs, notamment le génie civil et des sites d’hébergement sur lesquels nous avons des enjeux de développement d’affaires importants.
Les infrastructures recouvrent des réalités techniques, économiques, industrielles, sociétales. Votre formation d’ingénieure a‑t-elle été un atout pour y évoluer aujourd’hui ?
En effet ! La formation d’ingénieur permet de développer de nombreuses compétences, de travailler sur des matières complexes en comprenant leur fonctionnement et en développant des méthodes. Mais c’est aussi et surtout acquérir la démarche d’apprendre à apprendre tout au long de sa vie pour mieux relever chaque jour les défis qui se présentent à nous.
Le monde des infrastructures peine encore aujourd’hui à attirer les femmes. Comment appréhendez-vous cela ?
C’est vrai que c’est un domaine qui reste assez masculin et qui attire peu de femmes, mais nous avons la chance chez Orange d’avoir des équipes mixtes. À titre personnel, devenir ingénieure s’est fait de manière très naturelle pour moi. Étant issue d’une famille d’ingénieurs, mes parents m’ont appris très tôt que l’intelligence n’a pas de genre. C’est ce qui m’a d’ailleurs permis de grandir avec le sentiment que tout était possible, et être une femme n’a jamais été un frein pour moi. C’est important et si on veut donner un signal aux jeunes filles, il faut d’abord leur donner confiance en leur capacité à faire tout type de métier. Ainsi j’ai pu évoluer tout au long de ma carrière dans cet univers des télécoms qui ne cesse de se transformer, ce qui le rend d’autant plus passionnant !
S’il est vrai que de plus en plus de femmes embrassent des carrières scientifiques et techniques, il reste toutefois beaucoup à faire pour permettre aux jeunes filles d’oser, tout simplement. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’accompagne l’association Capital Filles, lancée à l’initiative d’Orange et en partenariat avec les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Et je suis fière de faire partie du groupe Orange, qui privilégie les compétences et la mixité comme facteurs de réussite individuelle et collective.
Aujourd’hui, vous êtes à la tête d’Orange Wholesale France, un bel exemple d’empowerment au féminin. Quel message adresseriez-vous aux lecteurs et aux lectrices pour conclure ?
Une carrière n’est jamais linéaire. Ce qui compte le plus, c’est l’engagement, l’envie d’avancer, l’écoute de son environnement (clients, partenaires, fournisseurs, financiers…) et le fait d’apprendre à apprendre tout au long de sa vie, que l’on soit homme ou femme. Je suis par exemple entrée comme ingénieure, et j’ai progressé tout au long de ma carrière en apprenant les réseaux, la négociation, la finance, le management… en croyant en mes capacités, en observant l’écosystème qui m’entourait et en osant. C’est en osant qu’on repousse ses limites et qu’on découvre l’étendue de ses capacités. C’est ça l’empowerment, qu’il soit féminin ou masculin d’ailleurs !
1 Source ARCEP
2 Source DARES
3 Source XERFI
4 Le déploiement du très haut débit est organisé selon différentes zones. Il faut faire la distinction entre les zones d’initiative privée et les Réseaux d’initiative publique (Rip), portés par les collectivités locales.