Innover dans la formation
Au début des années quatre-vingt- dix, le groupe Veolia connaissait des difficultés de recrutement. Les candidatures étaient surtout poussées par la contrainte du chômage. Un premier diagnostic établit que ce défaut d’attractivité était dû à la mauvaise qualité de l’image de ces métiers plutôt qu’à leur absence d’intérêt réel.
Veolia Environnement
Créé il y a cent cinquante ans sous le nom de la Compagnie générale des eaux, le groupe est un leader mondial des métiers de service que l’on classe aujourd’hui sous le chapeau de l’environnement : distribution d’eau, assainissement, chauffage, gestion des déchets, récupération, transports publics, etc. Son internationalisation s’est accélérée dans les années quatre-vingt- dix : le groupe est présent à ce jour dans soixante-douze pays, et compte plus de 300 000 employés dont un tiers environ en France et deux tiers à l’étranger.
En effet, des dénominations peu enthousiasmantes comme éboueurs, femmes de ménage, agents d’entretien d’égouts ou agents d’entretien de chaudières masquaient une multitude de métiers du déchet, du nettoyage industriel ou de l’énergie, souvent qualifiés, nécessitant l’emploi de machines sophistiquées et une capacité à prendre de nombreuses décisions dans l’action. Cet état de fait était aggravé par le déficit de prise en compte de ces activités par l’Éducation nationale et le système étatique d’enseignement professionnel : peu de filières et de diplômes préparent à ces métiers.
Une vision et sa concrétisation
Réticences
Les cadres dirigeants ont eu du mal à admettre le projet de campus. Ils avaient le sentiment de savoir faire fonctionner correctement leurs entreprises dans les conditions existantes de formation. Bien que très limitées, elles correspondaient selon eux aux bas niveaux de qualification nécessaires et avaient l’avantage de ne leur coûter quasiment rien. Ils argumentaient également que leurs salariés, armés d’un diplôme, auraient des exigences salariales qui mettraient en péril la rentabilité de leur activité. Enfin, ils avançaient que la formation n’était pas le métier de base et que le groupe allait se disperser.
Le groupe a alors décidé un fort investissement dans le domaine de la formation. Il s’agissait de constituer un centre de formation capable de mener des cursus complets d’enseignement aux métiers de base du groupe, ainsi que de leur donner une reconnaissance officielle sous forme de diplôme et d’emploi. Pour traduire avec une grande visibilité le caractère stratégique et pérenne du projet, il fut décidé de construire physiquement un campus avec toutes les commodités permettant aux salariés, ou futurs salariés, d’y suivre des cycles de longue durée, par alternance, dans des conditions de vie de qualité. Naturellement, cette vision innovante a rencontré quelques résistances.
À l’extérieur, la volonté d’un groupe privé de développer des formations sanctionnées par des diplômes officiels dérangeait, mais plusieurs acteurs sociaux comme le Conseil régional d’Île-de-France ou la Chambre de commerce et d’industrie de Versailles ont tout de suite perçu son intérêt pour le développement économique général et ont été des partenaires solides de la première heure. De nombreuses discussions avec l’ensemble des institutions concernées ont permis d’insérer la vision de Veolia à l’intérieur d’un certain nombre de dispositifs existants comme les centres de formation des apprentis (CFA) et de coconstruire le projet. Un premier campus Veolia est sorti de terre près de Cergy-Pontoise en 1994 et a accueilli les premiers apprentis en alternance.
Peu de filières et de diplômes préparent à ces métiers
Au cours des années qui ont suivi, une quinzaine de cursus diplômants, majoritairement de niveau CAP (certificat d’aptitude professionnelle) et BEP (brevet d’enseignement professionnel) ont été montés. Des cycles courts, non diplômants, ont été également structurés dès 1996 pour répondre à des besoins plus ponctuels de formation continue. Au cours des années 2000, des cursus de niveau bac, licence et master ont été mis en place, avec de nouveaux partenaires tels que l’ESSEC et l’AFPA.
Au cœur de la formation
Au fil des années, le développement de ces campus est devenu un facteur considérable de cohésion et de facilitation des relations sociales dans le groupe et c’est aujourd’hui un sujet de fierté pour la quasi-totalité du personnel et des syndicats. Contrairement à ce que beaucoup craignaient, le réseau Campus a aussi contribué à une fidélisation du personnel : les salariés qui ont vu reconnaître officiellement leurs compétences en sont généralement très heureux et éprouvent un sentiment de gratitude pour l’entreprise, et une volonté de continuer à progresser au sein de celle-ci.
Dix-huit centres à l’étranger
Succès outre-Manche
En Angleterre, après une erreur initiale de compréhension (le premier projet « d’université d’entreprise » était surtout destiné aux cadres et aux jeunes à haut potentiel), le système Campus connaît un succès spectaculaire grâce à l’appui enthousiaste du Learning and Skills Council : en 2009, deux cents apprentis ont été formés et plus de mille diplômes (NVQ) remis en présence de membres du Gouvernement.
De même, il y a aujourd’hui consensus sur l’utilité sociale et économique des campus pour le groupe : le système accroît les compétences et la motivation des collaborateurs, et donc leurs performances, et a permis à Veolia d’élever le niveau des standards de qualité.
À l’étranger aussi, des campus ont été créés, dans les pays de forte activité du groupe, avec des difficultés qui tenaient à la culture propre de chaque pays ainsi qu’aux structures légales et d’organisation. En Allemagne, il n’y a pas encore de campus car l’enseignement technique y est déjà très développé sur les métiers en question. Aux États-Unis, le groupe s’est heurté à de fortes résistances, « une entreprise n’a pas à s’occuper à ce point de formation », sauf dans certaines zones : à Chicago où Indianapolis, McDonald’s et Lily ont montré la voie. Les Tchèques, en revanche, n’ont eu aucun problème à épouser les vues du groupe. À Rabat, Melbourne et Shanghai, pour expliquer et faire accepter le concept, il a fallu développer une approche spécifique. Au total, à l’étranger, les dix-huit centres de formation du réseau Campus Veolia ont dispensé en 2009 plus d’un million d’heures de formation.
Expliciter les bases
Les premières expérimentations ont été utiles pour parvenir à créer des » fondamentaux » indispensables pour l’existant comme pour l’avenir du projet. Ainsi ont été explicités quatre principes pédagogiques et trois principes de gouvernance.
En matière de pédagogie, les campus sont ouverts à tous, salariés et futurs salariés du groupe, quels que soient leur âge et leur formation initiale ; la formation est conçue comme un co-investissement, du salarié et de l’entreprise, qui doit pouvoir produire une reconnaissance pour l’un et l’autre ; l’enseignement comporte une forte composante d’autonomie ; enfin, puisque les métiers de Veolia sont assez particuliers, la transmission des connaissances du terrain est indispensable : nombre de salariés et de jeunes retraités font partie des équipes pédagogiques.
Associer l’encadrement
Autonomie
Les métiers à exercer dans le groupe comportent une forte composante d’autonomie. Il est donc essentiel que la formation du personnel porte non seulement sur des savoirs techniques mais aussi sur le savoir être : il faut donner les bases nécessaires pour être autonome et décider à bon escient.
En matière de gouvernance des campus, trois principes sont mis en œuvre : intégrer les patrons des filiales locales du groupe dans les Conseils d’administration des campus, qui sont des filiales locales ; doter chaque campus d’un conseil pédagogique avec notamment des représentants des métiers du groupe et des membres des institutions extérieures avec lesquelles il coopère ; construire de nouveaux bâtiments afin de marquer le caractère pérenne de l’implication de Veolia dans la formation.
Le financement en est assuré à la fois par la maison mère du groupe et par les filiales locales.