« C’était impossible ? Nous l’avons fait ! »
Philippe Vincent (X61), fondateur du groupe INOVATIC, nous explique le tournant pris par sa société suite à un changement réglementaire qui rendait alors obsolète son business model. Il revient, par ailleurs, sur la place centrale des PME dans le tissu économique national et nous partage également sa vision du management. Rencontre.
Quelques mots pour vous présenter.
Je suis Docteur ès sciences mathématiques avec une thèse de Doctorat d’État préparée et soutenue à l’Institut Henri Poincaré (Paris 1969). Précurseur de la Lecture Automatique de Documents en 1985, en 2000, j’ai créé INOVATIC TECHNOLOGIES et sa filiale de production INOVATIC SERVICES pour répondre au besoin des banques confrontées à l’obligation d’effectuer des analyses de risques à partir des bilans reçus de leurs entreprises clientes, ce qui nécessitait l’extraction préalable des données financières contenues dans ces bilans, compétence qu’elles n’avaient pas vocation à développer.
Vingt ans plus tard, j’ai été confronté à l’exigence renforcée de confidentialité des données comptables des entreprises émanant de l’EBA, (European Bank Authority installé à la Défense) obligeant les banques de l’UE à réinternaliser les saisies bilancielles au motif d’éviter tout risque de fuites de données par les opératrices de saisies, j’ai réinventé le métier et le positionnement
d’INOVATIC afin de sauver son activité d’une mort programmée. Concrètement, j’ai inventé un procédé permettant d’effectuer toutes les vérifications, corrections et complétions nécessaires par des opérateurs humains sans qu’à aucun moment, ils n’aient accès aux données confidentielles ou la possibilité de les reconstituer.
De ce revirement inattendu découle notre nouvelle devise : « C’était impossible ? Nous l’avons fait ! ».
Aujourd’hui, en France, toute invention faite par une entreprise privée renvoie au concept de Crédit d’Impôt Recherche, dispositif destiné à soutenir et encourager ces entreprises à travers une aide de l’État. En tant que PME, quel regard portez-vous sur ce dispositif ?
Le système actuel pousse les PME à devenir des chasseurs de primes et les conduit à privilégier la forme au fond ! Il oblige les PME à s’appuyer sur des sociétés de conseil spécialisées pour présenter un dossier répondant à la forme attendue. Ainsi, ces dernières réalisent la recherche d’antériorité supposée avoir été faite par la PME (qui connaît son marché et peut économiser cet effort superflu pour elle). Dans la situation actuelle, le paradoxe est que cette recherche d’antériorité est faite après coup, en contradiction avec l’esprit de la règle ! Tout le monde le sait, mais la forme est respectée !
Les gagnantes sont les PME délibérément chasseresses de primes, qui n’ont fait aucun effort de R&D et qui, même amputées des 50 % payés à leur « conseil », engrangent la moitié du CIR !
Si je dénonce l’hypocrisie actuelle, ce n’est pas pour faire le malin, mais pour contribuer, dans l’éternel antagonisme entre le Pouvoir et le Savoir, à faire triompher le Savoir pour le plus grand bien de notre Patrie, des Sciences et de la Gloire !
INOVATIC, avec son brevet maintenant international, est l’exemple d’une PME performante en matière de R&D, et qui a réussi à s’imposer, malgré le CIR et les multiples tracasseries qui lui ont été opposés !
Vous faites allusion à une invention destinée à propulser le groupe INOVATIC dans l’ensemble de l’Union européenne puis des pays industrialisés, ce qui est une perspective exceptionnelle pour notre pays. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Cette invention est l’aboutissement de 24 ans de R&D au service des banques et autres organismes Financiers qui souhaitent effectuer des analyses de risques de leurs entreprises clientes afin d’adapter leurs conditions financières consenties pour couvrir ces risques en fonction des forces et faiblesses révélées par leurs comptes de résultats annuels.
Les bilans et autres comptes de résultats demandés par les banques à leurs entreprises clientes sont en général reçus sous forme de documents scannés sur lesquels il faut effectuer des Reconnaissances Optiques de Caractères (OCR), techniques universellement considérées comme sujettes à erreurs. L’exactitude requise pour les montants financiers extraits oblige à les faire vérifier, corriger et confirmer par des opérateurs humains, tâche sous-traitée à des sociétés de saisie telles qu’INOVATIC.
Avec l’expansion mondiale du libéralisme économique comme source de progrès pour nos sociétés démocratiques, il y avait lieu de garantir la confidentialité des données comptables des entreprises comme règle du jeu économique nécessaire à la compétition loyale souhaitée. À ce titre, les banques de l’Union européenne ont été sommées de réinternaliser, à terme, ces saisies afin de mettre sous leur responsabilité le respect de cette confidentialité. Cette injonction supposait implicitement que, pour saisir, vérifier et corriger les montants reconnus que les opérateurs du sous-traitant en voient l’image sur leur écran, occasionnant de possibles fuites. Pour contourner cet argument, nous avons trouvé un moyen permettant la vérification indirecte des chiffres par les opérateurs, hors toute localisation de chacun sur le document !
Sur un bilan, il y a en moyenne plus de 6 000 chiffres à vérifier ! Et on ne peut bénéficier des cases « total » pour renforcer ses possibilités de vérification ! De quoi commettre des fautes d’inattention…
L’invention bénéficie de la technologie développée par INOVATIC, qui sait regrouper les images de chiffres en « modèles » selon des algorithmes de similitude de forme. Or, ces algorithmes ne garantissent pas que, dans un même modèle, il n’y ait pas deux chiffres différents. Pour lever ce frein, INOVATIC a inventé une relation de proximité de forme réduisant le nombre d’images de modèles à vérifier tout en garantissant l’absence de faux regroupements. On peut alors faire reconnaître la valeur associée à chaque modèle par un OCR classique appliqué à une instanciation quelconque du modèle, qui pourra ensuite être vérifiée et corrigée par un opérateur sans trahir la confidentialité des données.
Cette relation au cœur de l’invention a été baptisée Coïncidence Forte et sa propriété n’a jamais été mise en défaut pourvu que le document soit scanné à une résolution d’au moins 200 points par pouce.
Si je comprends bien l’Ordinateur de l’application pourra reconstituer les montants à l’abri des regards indiscrets en comparant les chiffres constituant les montants de chaque case aux modèles générés par la Coïncidence Forte pour en déduire celui coïncidant avec lui, puis sa valeur vérifiée par opérateur. Cependant, les opérateurs doivent aussi vérifier que l’ordinateur a pu localiser par leurs identifiants les cases attendues, les rubriques alphanumériques des lignes et colonnes permettant cette localisation étant sujettes à variantes terminologiques, qui peuvent ne pas avoir été déjà rencontrées, et donc enregistrées comme variantes possibles par l’ordinateur de l’application.
C’est là que réside la deuxième composante de l’invention : le Bilan Défiguré. Pour vérifier la nature des cases du document sans rompre l’obligation de confidentialité, le procédé a inventé le concept de Document Défiguré. Le Document Défiguré est une image du document traité où l’ordinateur de l’application a vidé toutes les cases de ses chiffres. C’est ce Document Défiguré qui est présenté pour vérification visuelle à un autre groupe d’opérateurs, leur permettant de
vérifier /corriger interactivement certaines affectations erronées, en toute confidentialité ! Le résultat de ces deux vérifications est retourné à travers un fichier contenant la suite des couples « identifiant, localisation de la case ».
En résumé, la Coïncidence Forte et le Bilan Défiguré constituent les deux concepts de l’invention.
Et pour aller dans toute l’Union européenne, puis les autres pays industrialisés, comment vous vous y prendrez ?
Tous les ingrédients de l’invention permettent de
s’adapter à toutes les variantes des documents des pays concernés, à leurs alphabets et à leurs vocabulaires. Encore faut-il procéder à des études préliminaires pour documenter les particularités de chacun ! Cependant, la reconnaissance des montants bénéficiera d’une chance inouïe : les chiffres arabes se sont imposés depuis de nombreux siècles dans tous les pays. On pourra ainsi effectuer en France la reconnaissance des chiffres avec nos opératrices, ne délocalisant, éventuellement, que le traitement des Documents Défigurés.
Quel est l’élément qui fait toute la différence ?
La cerise sur le gâteau est la possibilité d’archiver le travail des opératrices, tout en respectant la confidentialité qui y est attachée, pour pouvoir réactiver ce « Dossier Révélateur » contenant les modèles renseignés et la localisation des cases, si on détecte que l’on a déjà traité ce bilan (Siret, Année), par exemple à travers une autre banque cliente d’INOVATIC. Cela renforce notre situation d’exclusivité en France, puis dans chaque Pays de l’Union européenne…
Vous avez souhaité terminer cette interview en exposant votre conception très particulière du management de votre entreprise. Quelle en est la philosophie principale ?
J’ai gardé de mon éducation chez les Jésuites un profond attachement aux valeurs humanistes du christianisme. Si j’ai pris quelques distances avec les croyances, c’est parce que, selon moi, elles jouent un rôle négatif en créant une barrière de différenciation protectrice contre la concurrence des autres religions, tout en permettant de maintenir, auprès de leurs adeptes, le pouvoir de leurs dignitaires, détenteurs de la vraie religion.
Cette profonde conviction m’a amené à considérer chaque employé comme une personne unique qui ne se définit pas à travers ses déterminations sociales, culturelles ou religieuses. J’ai alors fait le choix d’appeler chaque employé par son prénom, pour marquer qu’il était considéré comme une personne unique ce qui contribue à créer une communauté collectivement responsable, soudée, et motivée avec en retour des performances inégalées.
Avez-vous affiché vos convictions d’une autre manière ?
Oui, affiché au sens propre ! Sur le fronton de la salle de production, j’ai affiché deux de mes maximes philosophiques préférées liées à mon inventivité et à mes convictions humanistes :
« Toute création inventive résulte toujours, d’une manière ou d’une autre, d’une transgression de l’ordre établi de nos pensées. Ph. VINCENT » et « Plutôt que de soustraire nos différences, additionnons nos singularités ». Au-dessus de la porte de la directrice de production (à l’extrémité de la grande salle), le challenge relevé par INOVATIC qui est devenue notre nouvelle devise : « C’était impossible ? Nous l’avons fait ! ».
Et le mot de la fin ?
Les PME sont les Voltigeurs de la République, à l’image de ces unités mobiles de la Guerre de Sécession qui harcelaient les troupes Sudistes. Sachons préserver cet esprit d’entreprise de nos PME créatrices de richesses au bénéfice de l’économie de notre pays !