INRIA : un institut à la croisée des sciences et des technologies
Jean-Yves Berthou, directeur du centre Inria de Saclay, revient sur les évolutions et les enjeux que posent les technologies numériques. Il nous explique comment Inria appréhende ces sujets et revient sur les projets qui mobilisent les différentes équipes. Rencontre.
La simulation numérique, du HPC, de la HPDA et de l’IA s’imposent comme des enjeux déterminants pour la compétitivité et la performance de nos industries. Pourquoi ?
Ce n’est pas nouveau. C’est une réalité depuis déjà une vingtaine d’années et de nombreux papiers ont été rédigés et publiés en ce sens. Ces technologies sont devenues essentielles à de nombreux secteurs qui dépassent les industries classiques et le domaine des sciences dures. La simulation et la modélisation sont des outils clés pour la conception de médicaments, le pilotage et l’optimisation de la production d’énergie, l’ingénierie et la conception des avions, des automobiles, des satellites… En parallèle, le HPC qui nous apporte une capacité à traiter des problématiques complexes est indispensable pour relever le défi climatique et mieux cerner et comprendre des phénomènes extrêmes comme les tornades, les tsunamis, les inondations ou les cyclones… Le HPC est également essentiel pour traiter de gigantesques volumes de données complexes et hétérogènes de santé afin d’analyser l’efficacité thérapeutique des médicaments et déployer une médecine personnalisée.
L’IA prend de plus en plus d’importance et impacte, par ailleurs, le développement de ces technologies numériques. En effet, on sait aujourd’hui que la combinaison du HPC, de la HPDA et de l’IA va nous permettre de résoudre des problématiques toujours plus complexes dans de nombreux domaines et secteurs.
“Inria a un rôle important à jouer : se positionner comme un institut à la croisée de ces différents domaines, en alliant recherche fondamentale et développement technologique. Nous avons développé un modèle qui nous est propre et qui s’articule autour d’équipes-projets qui réunissent des spécialistes de domaines divers sur une période de quatre ans, qui peut être reconduite deux fois et résoudre une problématique à fort impact scientifique, sociétal, économique.”
Sur ces questions, quel est le positionnement de Inria ?
Nous sommes positionnés sur des domaines complexes qui font appel à un nombre considérable de sciences et de technologies : physique, chimie, sciences de l’ingénieur, biologie, génomique, astronomie, santé mais aussi Sciences Humaines et Sociales… Pour pouvoir mettre en œuvre ces grands domaines applicatifs, nous nous appuyons sur l’informatique et les mathématiques, de leur forme la plus fondamentale à la plus appliquée. Par exemple, en matière d’IA, la capacité à comprendre et à faire confiance à un modèle repose sur des recherches extrêmement poussées en mathématiques. De la même manière, le développement de logiciels qui vont mettre en œuvre les modèles d’IA reposent également sur les mathématiques et l’informatique.
Au sein d’Inria, nous développons ainsi de nombreuses bibliothèques logicielles de renommée internationale. À titre d’exemple la librairie en IA Scikit-learn est téléchargée plus d’un million fois chaque mois. Avec nos partenaires académiques et universitaires, nous développons ces outils et méthodes qui sont ensuite déclinés et implémentés dans des logiciels qui seront utilisés de manière opérationnelle sur le terrain.
Dans ce cadre, sur quels sujets et projets êtes-vous mobilisés ?
Dans le domaine de l’énergie, avec EDF, nous travaillons sur des outils de modélisation pour comprendre le fonctionnement d’une installation et son vieillissement pour garantir son efficacité opérationnelle, mais aussi la sûreté générale. Ces modèles de simulation dit inverse permettent à travers l’analyse de signaux de comprendre, par exemple, l’évolution du béton dans le temps.
Dans le domaine de la santé et de la biologie, qui représente 20 à 30 % de notre activité globale, nous sommes mobilisés sur les questions du traitement des données de santé, de simulation d’organes et du jumeau numérique du patient. Nous menons ainsi des travaux sur la simulation du foie, des poumons et du cœur. Ces outils de simulation permettront par exemple de guider le geste anesthésiste pendant un acte chirurgical. Une start-up, AnaestAssist portée par François Kimmig, est en cours d’incubation sur le sujet. Nous développons des modèles biologiques et des outils pour modéliser le comportement des cellules. Avec le CEA et NeuroSpin, nous sommes également mobilisés sur le développement d’outils d’analyse des images (IRM…). Ces outils d’imagerie appliqués au cerveau ont vocation à nous permettre de mieux appréhender le fonctionnement d’un cerveau sain et malade pour comprendre les mécanismes du vieillissement du cerveaux, mieux comprendre des maladies comme l’Alzheimer…
Avec CentraleSupélec, la start-up Owkin et l’Institut Gustave Roussy, l’équipe Inria OPIS a développé, pendant la pandémie, un outil pour l’analyse d’imagerie du poumon. Ce projet a permis de mettre au point une nouvelle méthodologie pour analyser la gravité de l’infection des patients admis afin d’identifier les cas qui nécessitaient une hospitalisation, de déterminer le traitement adéquat…
“Il est important de repenser les partenariats et les collaborations entre le monde de l’enseignement, de la recherche, de l’industrie et des entreprises. Nous ne pourrons appréhender ces enjeux avec pertinence que si nous sommes en mesure de créer de véritables synergies entre l’ensemble de ces acteurs, sur le temps long.”
Quels sont les principaux enjeux qui persistent ?
Nous assistons à une plus forte imbrication des sciences numériques avec l’ensemble des autres sciences. À cela s’ajoute l’émergence de nouvelles compétences et connaissances qui sont à l’articulation, à l’interface des différents domaines scientifiques. Dans ce contexte, Inria a un rôle important à jouer : se positionner comme un institut à la croisée de ces différents domaines, en alliant recherche fondamentale et développement technologique.
Nous avons développé un modèle qui nous est propre et qui s’articule autour d’équipes projets qui réunissent des spécialistes de domaines divers sur une période de quatre ans, qui peut être reconduite deux fois et résoudre une problématique à fort impact scientifique, sociétal, économique.
Dans un environnement technologique en pleine mutation, quelles sont les prochaines étapes et comment les anticipez-vous ?
Il est important de repenser les partenariats et les collaborations entre le monde de l’enseignement, de la recherche, de l’industrie et des entreprises. Nous ne pourrons appréhender ces enjeux avec pertinence que si nous sommes en mesure de créer de véritables synergies entre l’ensemble de ces acteurs, sur le temps long. C’est pourquoi nous avons pour ambition que 10 % de nos équipe-projets soient communes avec des industriels. À Saclay, nous avons créé une première équipe commune avec l’Institut Polytechnique de Paris et EDF dédiée aux problématiques que j’évoquais en début d’entretien, une deuxième équipe est en cours d’instruction avec Criteo.