Institutionnaliser l’engagement au sein de la société
En mai 2018, Claire de Mazancourt (82) a présenté dans les colonnes de notre revue l’Institut de l’Engagement, association dont le but est de former une nouvelle génération de responsables, recrutée selon un nouveau critère de sélection : non plus la réussite académique, mais le potentiel démontré lors d’un engagement citoyen (service civique, bénévolat…). L’intérêt manifesté par nos lecteurs, en particulier sur les réseaux sociaux, nous a conduits à essayer d’aller plus loin pour comprendre ce qui fait le quotidien de cette association. Au-delà du succès affiché depuis sa création, la recette est-elle durable ? Est-elle reproductible ? Anecdote ou mouvement de fond ?
Si on en croit les salariés de l’Institut, les clés du fonctionnement quotidien de l’Institut comme de ses résultats sont à chercher d’abord dans les convictions sur lesquelles il s’est construit.
Tout d’abord, la conviction que l’ouverture à la diversité se construit non pas par la discrimination positive mais par un fonctionnement qui oublie les discriminations habituelles ; ensuite la conviction qu’il est possible de partager l’engagement et, autour de valeurs et d’objectifs partagés, de mobiliser des partenaires et bénévoles de tous profils, tous domaines et tous secteurs.
Innovations d’opportunité ou tendances durables ?
L’ouverture à la diversité : un diagnostic partagé, une méthode différente
Le diagnostic n’est pas nouveau. « L’ascenseur social est en panne. » Les portes sont fermées à ceux qui ne sont pas nés au « bon » endroit et qui n’ont pas suivi le « bon » parcours…
Face à ce diagnostic, les initiatives se sont multipliées. Heureusement. On se souvient tous de l’émoi créé en 2001 par l’ouverture, à Sciences-Po Paris, d’un concours spécifique pour les élèves issus de zones d’éducation prioritaire. Ces initiatives sont utiles et ont porté leurs fruits. Elles présentent cependant l’inconvénient, en s’appuyant sur le préciblage des bénéficiaires et la discrimination positive, de créer, à tort, un doute sur le mérite de ceux qui en bénéficient.
L’Institut a choisi une autre voie : celle d’une procédure d’admission originale, qui n’est discriminante ni sur le niveau de diplôme ni sur l’origine sociale et géographique ni sur le type de projet porté (reprise de formation, recherche d’emploi, création d’activité). Les statistiques montrent une parfaite homothétie entre les lauréats et les candidats, qu’il s’agisse des niveaux de diplôme, du genre, de l’origine géographique, etc.
“Mettre fin au soupçon qui pèse,
à tort, sur le mérite de ceux
qui sont issus des minorités.”
Résultats concrets
Gaëlle est aveugle et veut devenir comportementaliste pour chiens. Ses besoins : trouver une formation adaptée à son handicap et des conseils pour créer sa micro-entreprise, mettre en place sa comptabilité, structurer sa communication. Aujourd’hui Gaëlle a créé son activité.
Louise a son diplôme d’architecte. En s’occupant d’un enfant trisomique, elle découvre que les écoles ne sont pas conçues pour pouvoir accueillir ces tout-petits. Elle se lance et, pendant six mois, parcourt la France pour découvrir des pédagogies alternatives. Elle en fait un film. Son souhait : pouvoir valoriser l’expérience qu’elle a ainsi acquise et diffuser les enseignements qu’elle en a retirés auprès des professionnels de la petite enfance. Aujourd’hui Louise travaille à l’Institut petite enfance, avec Boris Cyrulnik.
Florian est un jeune apatride. Ses parents originaires de Bosnie ont obtenu l’asile politique en France. Pendant sa scolarité, il se découvre un goût pour la traduction. Son besoin ? Être conseillé pour décrypter les arcanes des filières de formations et des parcours professionnels, et obtenir le diplôme de traducteur qui lui ouvrira les portes. Aujourd’hui Florian commence une carrière dans le milieu des relations internationales.
Tina vit dans une « cité » à la périphérie de Strasbourg, elle aimerait agir face aux ravages de la radicalisation. N’ayant pas les moyens de faire des études universitaires, elle fait un service civique sur ce sujet, qui la conforte dans son envie d’agir. Tina prépare aujourd’hui avec l’Institut une entrée à Sciences-Po.
Éléonore rêve de monter son propre atelier de maroquinerie. Elle abandonne, trop précipitamment, son CAP de maroquinerie en alternance pour créer son entreprise. Son besoin : un accompagnement qui la motive pour passer son CAP comme candidate libre et une aide, y compris financière, pour créer son activité et acheter son premier matériel. Éléonore produit aujourd’hui des pochettes à base de cuir recyclé.
Mounir vient d’Aulnay-sous-Bois. Après son bac, le parcours scolaire s’annonce difficile et d’autant plus difficile que sa mère compte sur lui pour pourvoir aux besoins de sa famille après la mort de son père. Aucun employeur ni aucune école ne sont prêts à valoriser son expérience associative. Il a pourtant créé une association qui délivre 250 repas chaque week-end autour de la gare de l’Est à Paris et rêve d’intégrer une école de management. Mounir a intégré l’EM Lyon, en sortira diplômé fin 2019 et a plusieurs offres d’emploi pour janvier 2020.
Quels points communs entre Gaëlle, Louise, Florian, Tina, Éléonore ou Mounir ? Ils ne viennent pas des mêmes quartiers, ils n’ont pas les mêmes projets, ils ne se heurtent pas aux mêmes barrières, ils n’ont pas le même bagage scolaire ni culturel. Mais tous ont envie d’agir, tous ont le potentiel pour le faire, tous sont freinés dans leur projet. Ils sont animés par les mêmes valeurs.
L’Institut leur a donné à chacun le coup de pouce qui leur manquait.
Une méthode différente… mais durable ?
Les lauréats ne sont choisis que sur leur potentiel, leur motivation, leur engagement.
Ce choix de ne pas faire de préciblage dans les recrutements est évidemment séduisant sur papier. Pour autant, il a un coût : celui de l’individualisation de l’accompagnement et celui de la multiplicité des partenariats nécessaires pour mobiliser les compétences utiles à chacun. Pourtant, les partenaires de l’Institut, comme les lauréats et l’équipe, sont aujourd’hui convaincus que c’est cette diversité qui fait la force des « promos » de l’Institut et la richesse de la communauté des partenaires. C’est aussi cette diversité qui permet à l’Institut de séduire le plus grand nombre de partenaires et de bénévoles. Ce mode de traitement de la diversité, c’est aussi celui qui mettra fin au soupçon : le soupçon qui pèse, à tort, sur le mérite de ceux qui sont « issus des minorités ». C’est celui qui met fin aux communautarismes. C’est celui des grands mouvements de réconciliation nationale. Ce choix n’est pas seulement durable, il est essentiel pour notre société.
“Aujourd’hui nous constatons l’institutionnalisation
de l’engagement au sein des entreprises.”
Partager l’engagement
Face à la diversité des lauréats et de leurs projets, l’Institut doit mobiliser une diversité de compétences, de portes ouvertes, de réseaux.
Le pari de l’Institut est qu’il est possible de mobiliser des partenaires et bénévoles de tous milieux, de tous secteurs.
Ils sont 2 000 par an : cadres en entreprise, professionnels dans un établissement d’enseignement, salariés d’associations caritatives, élus, fonctionnaires ou contractuels en collectivité. Ce sont eux qui évaluent les dossiers rédigés par les candidats. Un de ces bénévoles témoigne : il a commencé à examiner des dossiers il y a quelques années et a trouvé ces découvertes passionnantes. Conscient qu’il peut être ainsi utile, ce sont aujourd’hui des dizaines de dossiers sur lesquels il travaille à chaque session, consacrant à chacun de vingt minutes à une demi-heure. Un autre examinateur déclare : « La lecture de ces dossiers a engendré toutes sortes d’émotions dont j’ai été le premier surpris. »
Ils sont les membres des jurys qui font passer les « oraux », jurys composés d’au moins trois personnes, souvent plus : un permanent de l’Institut, et des représentants de l’entreprise, du secteur associatif, de l’enseignement, des collectivités locales et aussi d’anciens lauréats.
Ils parrainent des lauréats. Cette expérience est source d’enrichissement et ils en témoignent : « J’ai parrainé une demi-douzaine de lauréats. Je trouve génial d’accompagner ces gamins, de leur faire prendre conscience de leurs atouts, de les soutenir dans leurs démarches… Soutenir cette initiative est vraiment une expérience de vie extraordinaire. »
Les partenaires sont également très sollicités pendant les Universités de l’engagement qui deux fois par an permettent aux lauréats de se retrouver, d’échanger entre eux et avec des partenaires de l’association. Ils rencontrent aussi des invités de premier plan comme Jean Tirole (73), Emmanuel Faber, Boris Cyrulnik, Mounia Meddour, Sibeth Ndiaye, Jean Lemierre…
C’est un événement fort qui marque tous les participants, lauréats comme partenaires. Jean-Marie Collin, porte-parole d’Ican France, confie : « Rassemblez 500 jeunes femmes et hommes de différents univers, qui ont comme point commun une volonté d’avancer, de partager, de s’engager, et en quelques minutes vous prenez une dose d’énergie incroyable. »
C’est cet engagement de milliers de personnes venues de tous les horizons qui donne à l’Institut sa force.
Une lauréate en témoigne
« Alors que je me servais un café entre deux conférences, un partenaire de l’Institut est venu me demander s’il pouvait utiliser la même touillette que moi afin d’éviter d’utiliser trop de touillettes en plastique. Je me suis retournée, puis ai observé son badge sur lequel était indiqué “Dassault Systèmes”. J’ai été très étonnée, ce bref instant m’a fait prendre conscience des préjugés que j’avais pu développer vis-à-vis des entreprises. Cela m’a fait réfléchir. C’est une anecdote que j’ai beaucoup racontée. »
L’engagement est-il une énergie renouvelable ?
L’Institut dépend de façon cruciale de ses partenaires, pour son financement bien sûr mais aussi pour chacune de ses actions. L’Institut n’est pas la seule association qui s’appuie ainsi sur l’engagement bénévole. Son originalité réside dans la façon de « recruter » ses bénévoles dans tous les secteurs, tous les domaines, partout en France, et de veiller, dans chacune de ses actions, à les mobiliser ensemble, en mêlant les profils.
Sans les partenariats qui permettent de mobiliser
2 000 personnes chaque année, il serait incapable d’assurer à ses lauréats les appuis, conseils, accès à des compétences et des réseaux qui sont la clé de son efficacité.
L’Institut doit-il se protéger contre le désengagement ? Oui, bien sûr, en poursuivant le développement de ses partenariats.
Mais ce que nous constatons aujourd’hui au sein des entreprises, c’est l’institutionnalisation de l’engagement. Il y a trente ans s’institutionnalisait en France la RSE. Aujourd’hui, face aux enjeux sociétaux et environnementaux et face à la « quête de sens » de leurs salariés – et des étudiants de grandes écoles –, des entreprises lancent des programmes d’engagement de leurs collaborateurs. Les premières « directions de l’engagement » ont même vu le jour chez Total, BNP Paribas, groupe ADP…
Il s’agit là d’un mouvement de fond, qui bénéficiera à l’ensemble du secteur associatif.
En guise de conclusion
L’Institut de l’Engagement, au quotidien, ce sont d’abord les rencontres. Encouragées par les chargés d’accompagnement, rendues possibles par les salariés en charge des partenariats et de la communication, entre lauréats ou entre lauréats et partenaires, elles sont la force de l’Institut et constitutives de son action. Elles sont aussi indispensables à la réconciliation des jeunes avec les entreprises.
Merci à Rita, Matthieu, Anaïs et Jana. Salariés de l’Institut de l’Engagement, ils ont accepté de témoigner sur la vie de l’Institut sur le terrain.
Pour en savoir plus : https://www.engagement.fr/