Intégration des populations d’origine étrangère
Je vais aujourd’hui vous parler du modèle français d’intégration, très différent du modèle américain et, reconnaissons-le, en difficulté vis-à-vis des populations d’origine maghrébine.
La principale difficulté de l’analyse vient de la rareté des données. Il y a dans notre pays un étrange tabou sur les origines, même s’il y a tout de même des progrès et si dans les enquêtes on admet désormais quelques questions spécifiques pour les ménages d’immigrés.
Dès les années quatre-vingt l’INED souhaitait pouvoir demander le pays de naissance des parents, ce fut chose faite lors du recensement de 1999. Il y a cependant une difficulté sérieuse qui concerne les pieds-noirs rapatriés d’Algérie que l’on s’efforce de distinguer des autres Algériens grâce aux questions sur les usages linguistiques.
Nous avons quand même réalisé une « enquête famille » en 1999 qui a porté sur 380 000 personnes des deux sexes.
On distingue trois degrés dans l’origine étrangère :
- les immigrés, c’est-à-dire ceux qui vivent en France mais sont nés hors de France avec une nationalité étrangère,
- la première génération née en France, avec au moins un parent immigré,
- la deuxième génération née en France, avec au moins un grand-parent immigré.
En 1999 les estimations les plus sérieuses conduisent à environ 13,5 ou 14 millions de personnes d’origine étrangère en France métropolitaine dont respectivement 4 millions et demi pour les immigrés, 5 millions et demi pour la première génération née en France et 3 millions et demi pour la deuxième génération née en France.
D’où un premier tableau.
Question : Avez-vous compté les rapatriés d’Algérie et les harkis dans ces chiffres ?
Réponse : Non bien sûr. Si vous voulez des chiffres sachez que les harkis et leurs descendants sont aujourd’hui environ 180 000.
Il faut comprendre que 60 % des jeunes d’origine étrangère sont d’origine maghrébine, africaine ou turque. Il y a là un « effet de loupe » qui déforme notre perception de l’immigration. Au total, en France métropolitaine, environ 10 % des jeunes sont d’origine maghrébine.
Abordons maintenant la question des taux de chômage en fonction de l’origine, de l’âge et du sexe (tableau 2).
L’INSEE reconnaît que les chiffres des deux colonnes A sont imprécis et que des écarts de plusieurs % sont possibles, mais néanmoins le tableau est impressionnant et, alors que les enfants d’immigrés venus d’Italie ou du Portugal ont des taux tout à fait analogues aux taux des autres Français, et parfois même meilleurs, il n’en est pas du tout de même, et de loin, pour les enfants des immigrés d’Algérie.
Les taux des Marocains sont voisins de ceux des Algériens, mais ceux des Tunisiens sont bien meilleurs, plus près des Portugais que des Algériens.
On pourrait croire que ces grandes différences sont dues à des niveaux d’éducation et de diplôme différents, c’est en petite partie vrai, mais en petite partie seulement comme l’indiquent les deux tableaux suivants.
On constate que d’une part les filles réussissent leurs études nettement mieux que les garçons et d’autre part les différences sont beaucoup moins marquées que dans le tableau 2 du chômage. C’est encore plus vrai dans le tableau 4 consacré aux seuls fils et filles d’ouvriers.
Ces deux tableaux sont somme toute très honorables pour les immigrés, et surtout pour leurs filles, mais il faut les opposer aux tableaux 5 et 6 sur le chômage des diplômés.
De même pour le tableau 6 qui ne concerne que les enfants d’ouvriers.
Tous les chiffres de ces six tableaux sont issus de l’enquête : « Étude de l’histoire familiale (INSEE, 1999) », et l’on reconnaît que des écarts de l’ordre de quelques pour cent dans les deux colonnes A sont vraisemblables. Cela permet quand même de voir que, face au chômage, les enfants d’ouvriers font pratiquement aussi bien que les autres, mais que par contre il y a un biais très important en défaveur des enfants des immigrés d’Algérie dont, même chez les diplômés, les taux de chômage sont deux à trois fois plus élevés que ceux des autres.
Bien entendu les explications données à ce fait sont très variées, depuis une mauvaise réputation des travailleurs algériens jusqu’à un racisme de la société française. Pour ce dernier point toutefois notons que les taux des Tunisiens sont bien meilleurs que ceux des Algériens.
La très bonne intégration des enfants d’immigrés européens permet-elle d’espérer qu’à terme il en sera de même des descendants des immigrés maghrébins, quand tous les efforts nécessaires de part et d’autre auront été accomplis ?
Questions
Comment expliquez-vous que tant d’Algériens soient venus en France après l’indépendance de leur pays, y compris nombre de combattants des maquis FLN ?
Je ne me l’explique pas. Bien sûr on peut trouver des explications partielles comme la misère de tant d’Algériens après huit années de guerre, ou bien la rivalité entre l’armée FLN de l’extérieur qui prit tous les postes et les maquis de l’intérieur qui se virent systématiquement évincés, mais logiquement cela n’aurait pas dû conduire à un mouvement aussi important.
Quelle proportion de Kabyles y a‑t-il dans l’immigration algérienne ?
Je crois que cela tourne autour de 28 %.
Comment reconnaissez-vous les Soninkés du Mali, de Mauritanie, du Sénégal qui sont majoritaires parmi les immigrants venus de ces pays ?
Grâce aux questions sur les langues parlées dans la famille interrogée.
Que pouvez-vous dire de l’évolution de la fécondité parmi les immigrés ?
Il m’est difficile de répondre à cette question. Les comparaisons sont malaisées et les renseignements insuffisants, ils risquent fort de conduire à des conclusions biaisées.
Pouvez-vous comparer notre situation à celle des Allemands ?
Le système allemand est nettement plus élitiste et conduit à moins de chômage parmi les immigrés.
Les immigrés ont peu de mobilité dans le travail, qu’en est-il de leurs enfants ?
Franchement je ne connais pas la réponse à cette question.
Beaucoup d’immigrés algériens demandent à être enterrés dans leur pays d’origine, n’est-ce pas la preuve qu’ils ne sont pas intégrés
De ce côté-là il y a progrès, il y a maintenant beaucoup de « carrés musulmans » dans les cimetières français.
Croyez-vous qu’il y aura un parti religieux voire islamiste ? Que pensez-vous du Conseil des musulmans de France ?
Ce Conseil est un service rendu aux éléments les plus radicaux, c’est dommage.
À vos yeux le problème principal est-il l’école ?
Et le chômage ! Il faut sauver d’abord les plus près d’être chômeurs et non s’acharner sur les pires cas, ce serait bien sûr beaucoup plus efficace.
Comment étudiez-vous les illégaux et les clandestins ?
Il existe diverses méthodes complémentaires, mais c’est difficile, une grande patience est nécessaire.
On parle de deux cent mille à trois cent mille clandestins, qu’en pensez-vous ?
On ne sait vraiment pas ! Mais le plus grave est ce que j’ai vu au ministère de l’Intérieur : beaucoup ne veulent pas savoir !
Madame Tribalat conclut sur la détérioration des enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). À ses yeux cette détérioration est essentiellement due au laisser-aller.