Intelligence ambiante pour musée sensible
Du musée du Quai de Branly au Centre national d’art de Tokyo, ce début de siècle voit la construction de nombreux musées dans les grandes métropoles de tous les pays. Ces bâtiments, véritables prouesses d’audace et d’architecture, ont non seulement l’ambition de structurer les paysages et l’urbanisme mais aussi de contribuer au rayonnement culturel international des villes et régions qui les accueillent. Ainsi le musée des Confluences à Lyon, dont le chantier à la pointe de la presqu’île vient de débuter à l’initiative du département du Rhône, marquera l’entrée sud de la ville de Lyon des 20 000 mètres carrés de son design étonnant. Le propos du musée est lui aussi original : à partir des collections d’histoire naturelle, d’ethnologie et de sciences de la terre de l’ancien muséum de Lyon, il confrontera savoir scientifique et fonctionnement des sociétés. Les technologies de l’information ont un rôle particulier à jouer dans cet établissement car elles ouvrent de nombreuses perspectives pour l’organisation et la vie d’un nouveau musée. Le champ des possibles est immense et afin de cerner les applications les plus prometteuses, le Centre Érasme, cellule d’innovation numérique du département du Rhône, a mis en place un espace de prototypage muséographique et technique, le Muséolab. <></>
Simulations du futur musée des Confluences à Lyon
© Armin HESS-COOP HIMMELB(L)AU
Une approche expérimentale de l’apport du numérique
En matière d’usage des technologies, il faut constater que l’on reste toujours dans une logique de l’offre et que les pratiques qui émergent sont souvent imprévues. C’est ainsi que le téléphone avait initialement été inventé pour entendre le théâtre, l’opéra ou la messe à l’entrée de ces bâtiments. Il n’avait pas été envisagé d’abord comme outil de communication. De la même manière c’est en utilisant le Web, les outils de communication instantanée ou asynchrone qu’on en perçoit le bénéfice et, partant, qu’on invente une utilité qui nous est propre.
La culture numérique change le regard des utilisateurs
Il n’y a pas de raison que les musées échappent à cette règle. C’est pourquoi, à Érasme, nous suivons les technologies qui semblent les plus prometteuses et nous cherchons à en inventer de multiples applications très concrètes que nous confrontons au public et aux professionnels des musées. Progressivement certains usages émergent, nous faisons évoluer les prototypes et les maquettes, évaluons la compréhension de l’usager et sa perception du bénéfice qu’il peut en tirer et surtout identifions les fausses pistes. Il faut accepter de se tromper et ne pas attendre des expérimentations qu’elles soient un succès ou un support de communication. Nous devons identifier les impasses pour pouvoir sélectionner les dispositifs et usages les plus prometteurs. Enfin, il est nécessaire de tenir compte de l’écosystème numérique : la culture numérique se diffuse parfois très rapidement et change profondément le regard des utilisateurs sur certaines propositions. Pour exemple, il y a une dizaine d’années, alors que nous proposions sans succès l’utilisation du courrier électronique aux enseignants de collèges, c’est au retour de vacances d’été qu’ils l’ont adopté massivement après que leurs amis et famille les eurent invités à correspondre par courriel.
Rendre la technologie invisible
Premiers retours d’expérience RFID
Placée sur le ticket d’entrée, la puce RFID permet à celui-ci de se signaler à des antennes placées à l’entrée des salles ou devant des vitrines et dispositifs. Chaque ticket peut alors porter les préférences du visiteur : sa langue, son profil (adulte-enfant) et pourquoi pas son historique de visite. (En pratique l’information n’est pas dans le ticket mais dans le système d’information qui associe ces renseignements à l’identifiant unique de la puce).
De multiples applications ont été testées en laboratoire, au Muséolab, ou dans des expositions (notamment l’exposition Ni vu ni connu au Muséum de Lyon). Les interactifs se mettent dans la langue et le niveau du visiteur : les sous-titres des textes projetés sur les murs d’une salle passent en japonais lorsqu’un groupe de Japonais y entre, le visiteur peut également badger des objets et des contenus pour les retrouver ensuite chez lui sur le Net. Le musée peut ainsi mieux cerner le comportement et les trajets de ses visiteurs…
En général, les développements technologiques au musée sont envisagés autour de l’audioguide ou de bornes multimédias. De nombreuses autres voies sont pourtant envisageables, d’autant plus quand il s’agit d’un musée dont le projet n’est pas uniquement de présenter et conserver des oeuvres mais plutôt de faire comprendre des mécanismes ou des problématiques. Voici les principaux axes que nous envisageons : – un musée » sans écrans ni claviers « . Les outils informatiques sont aujourd’hui omniprésents et donc très communs. On ne va pas au musée pour se retrouver dans le même environnement que son bureau mais pour avoir une expérience forte avec les objets exposés. On cherchera donc à dissimuler la technologie pour laisser le premier plan aux objets, à la scénographie et au sens ; – de même, on fuira les prothèses encombrantes : lorsque l’audioguide devient vidéoguide voire terminal de réalité augmentée, les machines portables deviennent vite un obstacle entre le visiteur et le musée et nuisent à l’expérience collective de visite. Il reste des cas particuliers comme le traitement des langues ou des déficiences physiques pour lesquels les assistants électroniques personnels seront irremplaçables ; – un bâtiment sensible à ses visiteurs : l’expérience de visite n’est pas du tout la même selon que l’on soit seul, en groupe, lorsque le musée est en charge ou au contraire peu occupé, ou en présence de scolaires. Les technologies de l’informatique ambiante permettent d’envisager un bâtiment et une scénographie qui s’adaptent à la présence de ses visiteurs et leur proposent des contenus et informations adaptés à leur situation et leur comportement. De même, le visiteur disposera de différents niveaux et modalités d’accès à l’information, celle-ci pourra s’adapter à ses préférences s’il le souhaite ; – l’Internet pour étendre le musée dans le temps et l’espace : l’une des grandes forces de l’Internet sera de permettre au visiteur de retrouver chez lui, en ligne, les éléments d’exposition qu’il aura choisis lors de son passage.
L’objet est au centre de l’intérêt de l’enfant et la technologie reste discrète
La relation avec le visiteur peut s’étendre hors les murs et en dehors des temps d’ouverture. Cela est particulièrement utile pour le public scolaire qui pourra ainsi préparer et approfondir, au rythme de la classe, le travail engagé lors de la visite au musée ; – enfin on aura recours aux technologies pour montrer l’invisible en affichant des informations que seul le traitement numérique des données peut faire apparaître en temps réel, pour contribuer à l’enchantement du visiteur en lui proposant des situations originales et inédites et multiplier les expériences sensorielles en mêlant l’image, le son et l’interaction dans la scénographie. Nous avons testé la technologie RFID. Le principal bénéfice perçu par les visiteurs n’est pas tellement sur la personnalisation, mais beaucoup plus sur la possibilité d’emporter avec soi des fragments d’exposition. Au cours de son passage, le visiteur marque avec son ticket les éléments qui l’intéressent (un texte, une notice, un objet, un film) et en quittant le musée, lorsqu’il rend son ticket, il peut donner une adresse email (dans le cadre d’une charte de confidentialité et d’un contrat Cnil) et recevoir chez lui un lien vers tout ce qu’il a marqué. On pourrait, bien sûr, donner accès à toute l’exposition, mais comme nous sommes déjà saturés d’information, la valeur est bien dans la sélection d’éléments marquants, un peu comme sur le Web, qui nous permettent de retrouver directement la page qui nous intéresse. Cette technologie est aussi l’occasion d’aborder avec les visiteurs les questions de confidentialité des données et de vie privée afin d’encadrer précisément les usages possibles de ces systèmes. Le deuxième grand domaine que nous avons exploré concerne de nouvelles interfaces hommes machines, où l’utilisateur ne pilote plus le système avec une souris mais par ses gestes, par ses déplacements, ou en manipulant des objets, individuellement ou collectivement.
À l’aide de caméras au plafond (notamment des caméras infrarouges et stéréo), de différents capteurs de présence, d’accéléromètres (comme les toutes récentes Wiimotes, manettes de consoles de jeu) le visiteur interagit avec de l’information projetée au sol, tout autour de ses pas ou au mur. Il participe ainsi à la scénographie et peut explorer du contenu de manière beaucoup plus sensible et intuitive.
Muséolab Photo Christophe MONNET
Deux points forts ressortent : suivant le retour visuel qui lui est proposé, la qualité de la cinématique de l’animation, le visiteur perçoit ou non son interaction et celle-ci devient naturelle, agréable et utile. L’autre nouveauté se trouve dans la possibilité d’interagir à plusieurs : dans des espaces collectifs comme les musées il est très important de pouvoir manipuler à plusieurs des éléments et ne pas être condamnés à être le spectateur de celui qui tient le clavier ou la souris. À ce titre les tables » multitouch » comme la tabletouch de l’université de Barcelone, Surface de Microsoft ou les travaux de Jeff Hans semblent particulièrement prometteurs. Notre attention ne se limite pas à la technologie d’interaction, car nous savons que l’essentiel de l’intérêt reposera sur le scénario et la manière de le jouer.
Les objets communicants au service d’une pédagogie active
Une variante de l’utilisation des puces RFID précédemment exposée consiste à placer des puces RFID sur des objets (artefact d’objets des collections par exemple) que manipulent les visiteurs. L’environnement détecte ainsi de quel objet il s’agit et peut proposer des informations contextuelles. Avec le Muséum de Lyon, nous avons ainsi élaboré un atelier pédagogique intitulé » Objets en transit » où les groupes d’enfants étaient invités à identifier, mesurer, manipuler des pierres pour que le musée puisse ensuite les classifier. L’objet est alors au centre de l’intérêt de l’enfant et la technologie reste discrète. Avec très peu de moyens, il a été possible d’établir un dispositif très interactif qui a connu un très bon succès. Mais surtout nous avions délégué aux agents du musée l’entière gestion du contenu électronique associé aux objets. Ils ont pu ainsi, semaine après semaine, faire évoluer leur scénario en fonction des retours des enfants. Finalement au-delà de la manipulation d’objets, c’est la possibilité d’avoir un système très modulaire, facilement adaptable et développable par des médiateurs culturels qui a suscité le plus d’intérêt chez les professionnels.
Le système d’information des musées est à repenser
En bilan des différents retours que nous avons obtenus, apparaît l’importance non pas d’une technologie particulière mais d’un système d’information bien conçu qui soit à la fois adaptable, évolutif et qui tienne compte de la multiplicité des sources et des sorties d’une informatique disséminée. Il nous faut à la fois rester ouverts aux nouveautés technologiques qui ne cessent d’apparaître, aux comportements des utilisateurs qui évoluent de manière très importante et être capables d’établir des normes et d’industrialiser un système qui doit être robuste et fiable pour des milliers de visiteurs. Il nous semble, qu’à ce titre, le monde des musées offre beaucoup de perspectives aux chercheurs en intelligence ambiante qui n’envisagent trop souvent que des applications pour des particuliers à domicile. Toutefois un enjeu important concerne l’organisation interne des musées dont les équipes doivent intégrer ce nouveau champ des possibles et la rapidité d’évolution de ce domaine. Il faudrait associer un travail de prospective (mutualisé entre institutions), la collaboration avec des artistes numériques qui sont souvent de très bons défricheurs de nouveaux usages avec une organisation flexible et l’acquisition de compétences internes. De nombreuses pistes restent à explorer, ainsi nous étudions attentivement comment les encres électroniques vont nous obliger à repenser l’utilisation du texte dans les musées, et comment les équipements personnels mobiles des visiteurs devront nécessairement être pris en compte au fur et à mesure de leur adoption. Du podcast de visite guidée aux puces RFID dans les téléphones (plus exactement on parle alors des normes NFC), il s’agit bien d’être en symbiose avec l’écosystème numérique sans jamais oublier que les technologies sont au service du propos du musée et doivent ensuite s’effacer.
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