Intention, engagement
Pourquoi un compositeur décide-t- il d’écrire une pièce de musique qui ne lui a pas été commandée ? Peut-être tout simplement par « métier », dans l’espoir qu’elle plaira au public et qu’elle lui rapportera des droits d’auteur. Ce peut être aussi par un besoin irrépressible de créateur inspiré, sans souci d’un hypothétique succès.
Mais un autre motif, plus rare, peut résider dans un engagement (politique, religieux, etc.). Dans tous les cas, l’acte de création n’est presque jamais gratuit.
Costeley : une découverte
Lorsque Guillaume Costeley, « organiste ordinaire et valet de chambre » du roi Charles IX, publie en 1570 son unique recueil de chansons sous le titre Musique, dédié à ses amis, il s’adresse à une clientèle d’amateurs éclairés à laquelle il offre un mélange de Chantsz martiaux, graves, honnestes, poliz et gaillardz.
Or, derrière cette démarche, au fond commerciale, se cache sans doute un souci plus profond, celui de léguer aux siècles à venir les résultats de ses recherches musicales qui font de lui, comme l’avaient subodoré ses amis de la Pléiade, l’un des compositeurs français les plus subtils de la Renaissance.
Écoutez des chansons aussi diverses que Du clair soleil, Prise du Havre, Grosse garce noire et tendre, Seigneur Dieu ta pitié, dans le très bel enregistrement qu’a réalisé de vingt-sept d’entre elles l’ensemble Ludus Modalis1 et vous découvrirez un créateur proche, certes, de Clément Janequin et Carlo Gesualdo, mais profondément original.
Tomasi, Marchand : musique engagée
Henri Tomasi, victime de la fatwa lancée par les ayatollahs de la musique sérielle sur la musique tonale de l’après-guerre, a laissé une œuvre foisonnante imprégnée à la fois de lyrisme et d’humanisme. Un disque récent présente quatre œuvres majeures : le Concerto pour trompette, le Concerto pour trombone, la Suite pour trois trompettes et enfin Les Noces de cendres, par l’Orchestre d’Harmonie de la Garde républicaine et d’excellents solistes2.
Il s’agit d’une musique très élaborée, marquée par des recherches de timbres, virtuose pour les solistes des concertos, assez inspirée du jazz et, pour le ballet Les Noces de cendres, d’une dénonciation forte et musicalement superbe de l’absurdité de la guerre.
Henri Tomasi est en quelque sorte le Chostakovitch français.
Dans un style dépouillé, proche à la fois de Fauré et Debussy – et de Bill Evans – c’est aussi la guerre qui a inspiré à Chrystel Marchand sa Seconde Sonate d’après des fragments de Vie et Destin de Vassili Grossman, enregistrée au piano par Aurélien Richard pour la firme Skarbo de notre camarade Jean-Pierre Ferey3.
Avec la 1re Sonate et diverses pièces pour piano, ce disque révèle une musique lumineuse et tendre, réservée au point de dissimuler son originalité, une belle musique dans le goût français.
Piano-forte et piano ancien
Le son du piano-forte, l’ancêtre du piano moderne, peut agacer lorsqu’on le compare à celui des grands pianos d’aujourd’hui, les Steinway, Fazioli, Bösendorfer. Le choix du piano-forte peut se justifier lorsqu’il s’agit de reconstituer un cadre d’époque pour des œuvres du début du XIXe siècle.
C’est sur un piano-forte de 1812 qu’Olga Pashchenko joue la Sonate en fa mineur de Dussek4 – compositeur injustement oublié au profit de Beethoven et qui mérite la redécouverte avec cette pièce au ton tragique – et les Sept Bagatelles de Beethoven, pièces de salon.
La Sonate opus 111 du même Beethoven et les Variations sérieuses de Mendelssohn ont, elles, sur un piano-forte de 1826 une sonorité historique.
Quand Liszt réduisait pour piano les symphonies de Beethoven, il s’adressait à un public d’amateurs désireux d’écouter chez eux des œuvres orchestrales en l’absence d’appareils de reproduction sonore, comme un graveur, disait Liszt, qui reproduit un tableau connu (avant l’invention de la photographie).
En jouant sur un Érard de 1837 les transcriptions par Liszt des Symphonies 1 et 7, Yury Martynov5 nous restitue l’esprit de l’époque, et surtout la virtuosité de Liszt « en situation ».
Grand piano : Ingolf Wunder
Ingolf Wunder est un jeune pianiste d’exception. Il peut se permettre d’afficher, dans le choix des œuvres qu’il enregistre, des intentions personnelles : il joue ce qu’il aime.
Dans un disque tout récent, il présente un florilège de pièces qui jalonnent deux siècles et demi de musique, de Scarlatti à Morricone et Williams6.
Technique d’acier, transcendante dans Liszt (Czardas macabre), Rimsky-Korsakov (Vol du bourdon). Toucher et jeu profond dans une Sonate de Scarlatti, dans la Sonate K 333 de Mozart. Aucune esbroufe, aucun « truc de métier » : la musique à l’état pur, du très grand piano.
Horowitz a peut-être un successeur
________________________
1. 1 CD RAMEE.
2. 1 CD INDESENS.
3. 1 CD SKARBO.
4. 1 CD Fuga Libera.
5. 1 CD ZIG-ZAG.
6. 1 CD DGG.