Intention, engagement

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°684 Avril 2013Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Pour­quoi un com­po­si­teur décide-t- il d’écrire une pièce de musique qui ne lui a pas été com­man­dée ? Peut-être tout sim­ple­ment par « métier », dans l’espoir qu’elle plai­ra au public et qu’elle lui rap­por­te­ra des droits d’auteur. Ce peut être aus­si par un besoin irré­pres­sible de créa­teur ins­pi­ré, sans sou­ci d’un hypo­thé­tique succès.

Mais un autre motif, plus rare, peut rési­der dans un enga­ge­ment (poli­tique, reli­gieux, etc.). Dans tous les cas, l’acte de créa­tion n’est presque jamais gratuit.

Costeley : une découverte

Lorsque Guillaume Cos­te­ley, « orga­niste ordi­naire et valet de chambre » du roi Charles IX, publie en 1570 son unique recueil de chan­sons sous le titre Musique, dédié à ses amis, il s’adresse à une clien­tèle d’amateurs éclai­rés à laquelle il offre un mélange de Chantsz mar­tiaux, graves, hon­nestes, poliz et gaillardz.

Coffret du CD de Costeley: Mignonne allons voir si la RoseOr, der­rière cette démarche, au fond com­mer­ciale, se cache sans doute un sou­ci plus pro­fond, celui de léguer aux siècles à venir les résul­tats de ses recherches musi­cales qui font de lui, comme l’avaient subo­do­ré ses amis de la Pléiade, l’un des com­po­si­teurs fran­çais les plus sub­tils de la Renaissance.

Écou­tez des chan­sons aus­si diverses que Du clair soleil, Prise du Havre, Grosse garce noire et tendre, Sei­gneur Dieu ta pitié, dans le très bel enre­gis­tre­ment qu’a réa­li­sé de vingt-sept d’entre elles l’ensemble Ludus Moda­lis1 et vous décou­vri­rez un créa­teur proche, certes, de Clé­ment Jane­quin et Car­lo Gesual­do, mais pro­fon­dé­ment original.

Tomasi, Marchand : musique engagée

Coffret du CD de TOMASI, concerto et Noces de cendreHen­ri Toma­si, vic­time de la fat­wa lan­cée par les aya­tol­lahs de la musique sérielle sur la musique tonale de l’après-guerre, a lais­sé une œuvre foi­son­nante impré­gnée à la fois de lyrisme et d’humanisme. Un disque récent pré­sente quatre œuvres majeures : le Concer­to pour trom­pette, le Concer­to pour trom­bone, la Suite pour trois trom­pettes et enfin Les Noces de cendres, par l’Orchestre d’Harmonie de la Garde répu­bli­caine et d’excellents solistes2.

Il s’agit d’une musique très éla­bo­rée, mar­quée par des recherches de timbres, vir­tuose pour les solistes des concer­tos, assez ins­pi­rée du jazz et, pour le bal­let Les Noces de cendres, d’une dénon­cia­tion forte et musi­ca­le­ment superbe de l’absurdité de la guerre.

Coffret du CD de MARCHAND Sonate et Vie et DestinHen­ri Toma­si est en quelque sorte le Chos­ta­ko­vitch français.

Dans un style dépouillé, proche à la fois de Fau­ré et Debus­sy – et de Bill Evans – c’est aus­si la guerre qui a ins­pi­ré à Chrys­tel Mar­chand sa Seconde Sonate d’après des frag­ments de Vie et Des­tin de Vas­si­li Gross­man, enre­gis­trée au pia­no par Auré­lien Richard pour la firme Skar­bo de notre cama­rade Jean-Pierre Ferey3.

Avec la 1re Sonate et diverses pièces pour pia­no, ce disque révèle une musique lumi­neuse et tendre, réser­vée au point de dis­si­mu­ler son ori­gi­na­li­té, une belle musique dans le goût français.

Piano-forte et piano ancien

Le son du pia­no-forte, l’ancêtre du pia­no moderne, peut aga­cer lorsqu’on le com­pare à celui des grands pia­nos d’aujourd’hui, les Stein­way, Fazio­li, Bösen­dor­fer. Le choix du pia­no-forte peut se jus­ti­fier lorsqu’il s’agit de recons­ti­tuer un cadre d’époque pour des œuvres du début du XIXe siècle.

Coffret du CD de DUSSEK Sonate en fa majeurC’est sur un pia­no-forte de 1812 qu’Olga Pash­chen­ko joue la Sonate en fa mineur de Dus­sek4 – com­po­si­teur injus­te­ment oublié au pro­fit de Bee­tho­ven et qui mérite la redé­cou­verte avec cette pièce au ton tra­gique – et les Sept Baga­telles de Bee­tho­ven, pièces de salon.

La Sonate opus 111 du même Bee­tho­ven et les Varia­tions sérieuses de Men­dels­sohn ont, elles, sur un pia­no-forte de 1826 une sono­ri­té historique.

Coffret du CD des transcriptions pour piano des symphonies de Beethoven par LisztQuand Liszt rédui­sait pour pia­no les sym­pho­nies de Bee­tho­ven, il s’adressait à un public d’amateurs dési­reux d’écouter chez eux des œuvres orches­trales en l’absence d’appareils de repro­duc­tion sonore, comme un gra­veur, disait Liszt, qui repro­duit un tableau connu (avant l’invention de la photographie).

En jouant sur un Érard de 1837 les trans­crip­tions par Liszt des Sym­pho­nies 1 et 7, Yury Mar­ty­nov5 nous res­ti­tue l’esprit de l’époque, et sur­tout la vir­tuo­si­té de Liszt « en situation ».

Grand piano : Ingolf Wunder

Ingolf Wun­der est un jeune pia­niste d’exception. Il peut se per­mettre d’afficher, dans le choix des œuvres qu’il enre­gistre, des inten­tions per­son­nelles : il joue ce qu’il aime.

Coffret du CD de piano joué par Ingolf WUNDERDans un disque tout récent, il pré­sente un flo­ri­lège de pièces qui jalonnent deux siècles et demi de musique, de Scar­lat­ti à Mor­ri­cone et Williams6.

Tech­nique d’acier, trans­cen­dante dans Liszt (Czar­das macabre), Rim­sky-Kor­sa­kov (Vol du bour­don). Tou­cher et jeu pro­fond dans une Sonate de Scar­lat­ti, dans la Sonate K 333 de Mozart. Aucune esbroufe, aucun « truc de métier » : la musique à l’état pur, du très grand piano.

Horo­witz a peut-être un successeur

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1. 1 CD RAMEE.
2. 1 CD INDESENS.
3. 1 CD SKARBO.
4. 1 CD Fuga Libera.
5. 1 CD ZIG-ZAG.
6. 1 CD DGG.

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