Interconnecter les ordinateurs quantiques pour augmenter leur puissance de calcul
Welinq travaille sur des mémoires quantiques qui vont permettre d’interconnecter les ordinateurs quantiques afin d’augmenter leur puissance de calcul. Lancée par Tom Darras, Julien Laurat, Eleni Diamanti et Jean Lautier-Gaud, cette pépite technologique Made-In-France dévoilera d’ici la fin de l’année la mémoire quantique la plus performante au monde.
Comment est née Welinq ?
Les quatre cofondateurs de Welinq se sont rencontrés dans le cadre de travaux de recherche au sein d’un projet collaboratif européen, Quantum Internet Alliance. À l’époque, Tom Darras réalisait sa thèse de doctorat sous la direction de Julien Laurat, professeur à Sorbonne Université. Eleni Diamanti était directrice de recherche au CNRS et au Laboratoire d’Informatique de la Sorbonne. Jean Lautier-Gaud travaillait, quant à lui, dans une start-up spécialisée dans le développement et commercialisation de capteurs quantiques. Ensemble, nous avons lancé Welinq afin de valoriser les travaux issus de nos recherches autour d’une mémoire quantique, une technologie qui permet d’interconnecter des dispositifs quantiques, notamment des ordinateurs quantiques. La création de Welinq s’inscrit aussi dans un contexte particulièrement favorable au développement du quantique de manière globale. En 2020, alors que je faisais encore ma thèse, le laboratoire avait réussi à obtenir le record du monde de performance de ces mémoires quantiques. Au-delà, alors que les technologies quantiques commencent à avoir une réelle maturité technologique, de plus en plus de start-up et d’entreprises se positionnent sur ce segment afin d’en accélérer le développement et de passer à l’échelle industrielle. D’ailleurs, il est intéressant de noter que les start-up françaises ont été pionnières dans ce domaine et ont largement contribué à développer cette technologie basée sur les atomes neutres ! Enfin, il y a aussi une réelle appétence du marché pour ces interconnexions quantiques. Nous assistons aujourd’hui à une réelle course au développement des ordinateurs quantiques qui ont vocation à lever d’importants freins technologiques que les supercalculateurs conventionnels n’arrivent pas à dépasser.
Sur ce marché en pleine croissance, quels sont les principaux enjeux et problématiques des entreprises ?
Les ordinateurs quantiques actuels n’ont pas encore atteint une puissance optimale. Néanmoins, l’interconnexion de plusieurs ordinateurs quantiques en utilisant les mémoires quantiques que nous développons afin de synchroniser les opérations de calcul de ces ordinateurs doit permettre d’augmenter leurs capacités de calcul. Aujourd’hui, Welinq travaille ainsi sur le passage à l’échelle des ordinateurs quantiques, afin d’ouvrir de nouvelles perspectives à une pluralité de secteurs qui ont besoin de s’appuyer sur de très fortes capacités de calcul : la pharma, la chimie, la logistique, l’aérospatiale, l’énergie, la finance, l’assurance. Avec les ordinateurs quantiques, l’idée est d’arriver à manipuler de l’information à des échelles infinitésimalement petites en ayant recours aux propriétés de la physique quantique (superposition quantique, intrication…). Cette démarche permet alors d’implémenter un nouveau paradigme de calcul, notamment des algorithmes quantiques qui permettent de traiter des problèmes jusqu’alors insolubles avec des calculateurs conventionnels. L’enjeu technique au niveau de ces ordinateurs quantiques est donc d’arriver à manipuler des systèmes quantiques individuels, les qubits. Pour faire des calculs complexes et à très haute intensité, il faut faire interagir plusieurs qubits. La puissance d’un ordinateur quantique et sa capacité à résoudre des problèmes dépendent directement de sa capacité à manipuler un nombre toujours plus important de qubits. En France, plusieurs entreprises et start-up se sont lancées dans la course au développement des ordinateurs quantiques. On peut notamment citer Pasqal, Alice & Bob, Quandela, Quobly, C12QE… Et on retrouve bien évidemment aussi les géants industriels et de la Tech : IBM, Google, Microsoft, Amazon Web Services.
Pour développer ces ordinateurs quantiques, il existe plusieurs pistes technologiques : utiliser des ions, électrons ou photons. Néanmoins, quelle que soit la plateforme hardware, le nombre de qubits manipulés reste encore très restreint, alors que, selon la complexité du problème à résoudre, il faut pouvoir compter sur des centaines de milliers, voire des millions ou des milliards de qubits. À partir de là, la prochaine étape technologique consiste à pouvoir interconnecter de manière « quantique » ces ordinateurs de tailles intermédiaires afin d’augmenter le nombre de qubits disponibles. Welinq ambitionne justement de développer la solution d’interconnexion d’ordinateurs quantiques la plus efficace au monde pour lever ces freins. Au-delà, nos mémoires quantiques ont vocation à avoir d’autres applications. Elles vont notamment permettre le déploiement des réseaux de communication quantique, qui sont des réseaux sécurisés particulièrement intéressants pour le secteur de la défense et de la sécurité. Nos mémoires quantiques vont ainsi permettre d’étendre la portée de ces réseaux à plusieurs centaines de kilomètres. Dans ce cadre, nous participons au projet FranceQCI piloté par Orange en collaboration avec Airbus, Thales et Thales Alenia Space. Si nous restons focalisés sur l’enjeu de l’interconnexion d’ordinateurs quantiques, nous avons néanmoins la volonté de pouvoir contribuer au déploiement de cas d’usage et d’applications connexes.
Revenons plus particulièrement sur votre solution. Comment fonctionne-t-elle ?
Quelle que soit la plateforme technologique, pour interconnecter des ordinateurs quantiques, il faut avoir recours à un système de réseau fibré. Il s’agit donc de mettre en place des réseaux optiques qui vont propager des grains de lumière ou photons individuels au lieu des pulses de lumière, comme dans une fibre optique conventionnelle. À ce niveau, la difficulté réside dans le fait que les ordinateurs quantiques émettent ces grains de lumière et donc des informations quantiques de manière totalement aléatoire et désynchronisée. Dans ce cadre, nos mémoires quantiques permettent de solutionner cette problématique, car elles ont la capacité à arrêter l’information quantique émise par les ordinateurs. Et quand toutes les mémoires ont reçu l’information, il va alors être possible de les relire de manière simultanée, ce qui va rendre, in fine, possible l’interconnexion. Au sein de Welinq, nous ne développons donc pas seulement un composant de mémoire, mais une solution complète qui va permettre de déployer un réseau local d’interconnexion. Nos mémoires quantiques sont le fruit de nos travaux de recherche dans des laboratoires d’excellence à Paris, dont le Laboratoire Kastler Brossel, auréolé de 3 prix Nobel et 5 médailles d’or du CNRS ainsi que LIP6, Laboratoire d’Informatique de Sorbonne Université. un des plus gros laboratoires d’informatique au monde. Et elles reposent aussi sur une technologie spécifique basée sur la manipulation d’atomes neutres piégés et refroidis par laser.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
La start-up a vu le jour en 2022. Nous avons réalisé une première levée de fonds de 5 millions d’euros début 2023 pour financer notre R&D. Nous avons ouvert notre bureau et notre laboratoire à Paris et employons actuellement une quinzaine de collaborateurs. D’ici la fin de l’année 2024, nous allons livrer la première mémoire quantique la plus performante au monde avec l’objectif de lancer les démonstrations et les preuves de concept avec des premiers clients dès 2025 (fournisseurs de calcul quantique, centres de calcul de haute performance, opérateurs qui déploient des réseaux de communication quantique…). Pour mener de front l’ensemble de ces défis et accélérer notre développement, nous préparons une seconde levée de fonds (série A). Sur un plan technologique, il s’agit maintenant de travailler sur le couplage de notre mémoire quantique avec les différentes technologies d’ordinateurs quantiques. Enfin, notre objectif est aussi d’avoir une équipe de 30 personnes à la fin de l’année et de 50 collaborateurs d’ici fin 2026, et d’agrandir nos locaux pour accueillir, en plus de nos activités de R&D, le développement de nos mémoires quantiques et d’autres technologies complémentaires, ainsi qu’une première capacité de production de mémoires quantiques.
Dans cette démarche, êtes-vous confrontés à des enjeux particuliers ?
Comme toutes les start-up, le principal défi est de pouvoir trouver les financements nécessaires et de recruter les bons profils pour poursuivre, voire accélérer, le développement de l’activité. Il s’agit aussi de pérenniser notre infrastructure et d’aller vers la commercialisation de nos mémoires quantiques en mettant en place de premiers partenariats commerciaux avec des clients du type fournisseurs de calcul quantique, centres de calcul haute performance, mais également des industriels qui sont les utilisateurs finaux des ordinateurs quantiques.