Internet, acte II : le retour à la raison
La fin du premier acte de l’économie Internet
La fin du premier acte de l’économie Internet
C’est la douche froide pour de nombreuses grandes entreprises aux États-Unis et en Europe en ce qui concerne l’e-business. L’an dernier, elles étaient toutes sur le pied de guerre. Elles avaient réagi à la menace des start-ups Internet et lancé des dizaines de milliers d’initiatives de e‑business » pour faire quelque chose « . Ainsi, une étude récente portant sur les 30 entreprises de l’index allemand DAX a révélé que ces sociétés ont lancé plus de 2 000 projets différents d’e-business l’année dernière pour un budget global dépassant 3,5 milliards d’euros.
Cependant isolées, redondantes ou sous-dimensionnées, la plupart de ces initiatives n’ont pas encore libéré leur potentiel de création de valeur. La multitude de projets de e‑business cachés au sein des groupes pourrait ainsi représenter une perte de ressources largement supérieure au fiasco médiatisé des valeurs boursières Internet.
Le début d’année 2001 marque la fin de l’acte I de l’Internet en tant que phénomène économique. La ruée initiale vers le Net, caractérisée par la multiplication accélérée d’initiatives de e‑commerce isolées, est terminée. Dégrisées, les entreprises vont poursuivre leur évolution numérique avec une approche plus sobre et plus rationnelle. L’acte II pourra alors commencer.
À quoi ressemblera-t-il ? Certains éléments du scénario sont déjà connus : tout d’abord, le conflit n’opposera plus les dot.coms aux entreprises de » l’ancienne économie « . Ce sont les entreprises hybrides » click and mortar « , qui lutteront pour avoir la suprématie et repousseront les simples dot.coms et les entreprises non numériques vers des positions marginales.
Ensuite, les directions générales seront directement impliquées dans la réussite de ces projets et en confieront les rênes à des ressources seniors et non plus au middle management à qui ces projets avaient été pleinement confiés dans l’acte I. Enfin, et c’est capital, les entreprises qui remporteront la mise seront celles qui utilisent les nouvelles technologies pour tirer parti du potentiel considérable de leurs atouts existants et renforcer leur position établie sur leur marché.
Un exemple réussi : le recentrage des initiatives Internet de GE
Toutes les sociétés n’ont pas trébuché dans leur ruée vers le numérique. General Electric et SouthWest Airlines aux États-Unis, la SNCF, Renault, MLP et BankInter en Europe se sont inspirées des meilleures stratégies des pionniers du » click and mortar » plutôt que de se disperser dans un portefeuille de projets e‑business disparates.
Jack Welch, PDG de GE, s’était d’abord focalisé sur la » menace des dot.coms « . Il avait alors mobilisé ses troupes autour de la formule » DestroyYourBusiness.com » et mis en place des équipes de jeunes cadres à travers son groupe, chargées d’imaginer des plans d’action pour combattre les dot.coms supposées menacer les métiers de GE. Welch s’est rapidement rendu compte de son erreur et changea la formule » DestroyYourBusiness.com » en » GrowYourBusiness.com » afin de savoir comment GE pouvait utiliser l’Internet pour renforcer ses principaux concepts d’entreprise. Ainsi, GE Power Systems s’est consacré à la résolution des problèmes de ses clients :
- GEPower.com propose des outils en ligne qui aident les clients dans leurs décisions d’achat avec, par exemple, un outil de configuration des canalisations et un outil d’optimisation de coupures de courant leur permettant de comparer la performance de leur turbine à celle d’autres équipements ;
- son outil » Industrial AeroDerivative Gas Turbine Onsite Monitor » suit vingt-quatre heures sur vingt-quatre les turbines des centrales électriques. En cas de problème, ses techniciens peuvent se connecter automatiquement au site industriel concerné pour inspecter l’équipement et guider le client dans la résolution du problème.
En élargissant sa proposition de valeur, GE augmente ses sources de revenus et consolide sa relation clients. De plus, en déplaçant vers l’Internet les opérations qui nécessitent beaucoup de transactions, GE peut réorienter ses équipes vers du travail à plus haute valeur ajoutée.
GE s’est donc concentré intentionnellement sur la numérisation de ses Business Designs existants au lieu de se disperser dans des projets périphériques. Cette démarche, plus contraignante, bénéficie déjà d’un retour sur investissement significatif : les initiatives de numérisation de ses Business Designs compteraient pour 7 % des bénéfices de GE cette année.
Comment faire le tri dans le foisonnement des initiatives ?
À travers ses missions avec des grandes entreprises, dans tous les secteurs et à travers le monde, Mercer Management Consulting a évalué l’ensemble des initiatives existantes et potentielles de ses clients selon deux axes : leur contribution potentielle au cœur de métier et leur puissance économique respective.
Le classement de ces initiatives dans les quatre catégories ainsi définies a révélé que :
- beaucoup trop d’initiatives sont conçues comme des projets indépendants et développées agressivement (type B). Cela engendre plusieurs problèmes : premièrement, la plupart des initiatives sont très coûteuses et très risquées.
Deuxièmement, cela entraîne la constitution d’un » portefeuille » disparate d’initiatives e‑business ; bien que cette approche puisse réduire les risques, elle nécessite un niveau d’investissements peu réaliste.
Troisièmement, et plus grave, la prolifération de ces projets autonomes nuit au développement des opportunités vraiment intéressantes de type A ; - entre 20 % et 30 % des projets existants sont de type D. Ils devraient être supprimés et leurs ressources réallouées. La plupart des sociétés qui ont pris cette approche stratégique ont réduit leurs dépenses e‑business de façon significative.
Un mélange idéal aurait près de la moitié de ses projets de type A, 30 à 40 % de type C et pas plus de 10 à 20 % de type B.
Ce sont les projets de type A qui devront recevoir la majorité des ressources allouées à l’e-business.
Les deux piliers des projets Internet au sein des grandes entreprises
Le vrai travail de création et de mise en place d’un Business Design numérique a lieu au sein des unités opérationnelles. Cependant deux missions essentielles doivent être rattachées directement au siège : la recherche de gains d’efficacité et le leadership.
Les gains d’efficacité concernent : la technologie, en permettant d’acheter matériel, logiciels et services au meilleur prix ; les actifs numériques (c’est-à-dire les données, les logiciels clients, fournisseurs ou employés) qui peuvent souvent être réutilisés d’une unité opérationnelle à l’autre ; enfin, le management, car l’on sait qu’au moins 30 % des projets e‑business échouent pour des raisons presque toujours liées à l’encadrement et non pas à la technologie.
Afin de laisser une liberté d’action suffisante aux directeurs de division, de nombreuses sociétés ont choisi une approche décentralisée. Elles instaurent des instances de conseil en matière d’e-business qui favorisent (mais sans forcer) l’établissement de standards communs et montent des réunions pour que toute l’entreprise bénéficie des » meilleures pratiques » identifiées.
Toutefois, il y a de plus en plus d’insatisfactions à propos de cette approche, parce qu’elle engendre nécessairement peu d’action collective ou de partage. C’est l’une des raisons pour lesquelles les initiatives de la première vague sont restées anecdotiques, trop souvent de type amateur et peu réutilisables aujourd’hui.
Les sociétés qui ont réussi un rattrapage vers le numérique ont adopté une approche plus centralisée. GE, IBM, Siemens et Renault par exemple ont toutes mis en place des structures e‑business au niveau central et un système de reporting e‑business à travers toute la structure qui renforce une vision commune autour du numérique et favorise la coordination et le partage. Elles ont de plus désigné un patron du e‑business à temps complet.
Chez Renault, le directeur e‑business et les directeurs chefs des unités opérationnelles parrainent ensemble des projets collectifs et contrôlent leurs progrès au cours de la phase de définition initiale. Ils définissent les plates-formes centrales devant relier Renault et ses différentes unités aux clients (B2C), aux employés (B2E) et aux fournisseurs (B2B) – y compris Covisint, le consortium automobile Internet. Lorsque les projets sont suffisamment mûrs, les unités opérationnelles en prennent la totale responsabilité. De plus, la direction e‑business veille au partage des logiciels, des données, de l’expertise et des compétences de management de business numérique.
Ce qui nous amène au dernier point de la e‑organisation : le leadership. Seuls le PDG et l’équipe de direction peuvent définir une vision commune, établir le rôle de l’Internet dans le futur de l’entreprise et rendre les managers responsables de la numérisation de leurs opérations. Après la ruée inconsidérée vers l’Internet et l’éclatement de la bulle dot.com, la plupart des entreprises ne sont pas d’humeur à tenter de nouvelles aventures. C’est seulement avec une impulsion claire des PDG que les entreprises pourront tirer un trait sur les erreurs passées, trouver à nouveau leurs repères et faire du e‑business un levier de création de valeur dans le cadre de la stratégie numérique de l’entreprise.