Internet est le système nerveux de l’économie
Si vous avez la chance d’être admis au sein du colossal mausolée de pierre qui fait la gloire de la rue de Bercy, ne cherchez pas le bureau 9095. Ici, ce sont les fenêtres que l’on numérote. La notoriété d’un occupant se mesure à l’aune de la surface vitrée dont il dispose.
Peut-être parviendrez-vous tout de même à dénicher Jean-Michel Yolin, conseiller général des Mines et président du groupe X‑Internet. Le nombre de ses fenêtres est considérable. Toutes sont agrémentées de magnifiques plantes vertes. Dans l’échancrure d’un philodendron s’entraperçoit l’écran géant de l’ordinateur d’où il répand ses idées aux quatre coins du monde.
Une grande liberté d’action et de parole
Faire bosser les fonctionnaires
Armines, société de recherche sur contrat, fonctionnait suivant un mode original : « Facturer le travail de fonctionnaires en heures supplémentaires, pour pouvoir embaucher des contractuels travaillant sur d’autres projets. » Une seule contrainte : « Couvrir par des contrats plus de la moitié du budget et publier davantage que le CNRS. » Armines compte aujourd’hui cinq cents chercheurs.
De son passage à l’École des mines, il conserve une grande admiration pour Pierre Laffitte, directeur de l’époque, qui disait : « Vous avez toute votre vie pour apprendre la loi, je vais en trois ans vous montrer comment vous passer d’elle. » Un mode de pensée cher à Jean-Michel Yolin, qui retrouve, au Conseil général des Mines (« ce corps d’artistes qui parcourent la France pour répandre les Lumières »), la « grande liberté d’action et de parole » qui convient à son tempérament.
Il se souvient « d’avoir acheté aux enchères, sur le budget du petit matériel de l’École, le terrain destiné à la création de Sophia-Antipolis » et d’avoir établi, avec le projet Armines (voir encadré), « un véritable prototype de la recherche technologique dans les écoles », en faisant « bosser les fonctionnaires ».
Des adresses à vie
C’est en 1995, alors qu’il travaille au ministère de la Recherche, que Jean-Michel Yolin découvre, en mission à Harvard, la notion « d’adresse à vie ». Il se rend compte alors qu’Internet « est le système nerveux qui va permettre la mutation radicale de l’économie et de la société ».
Chaque polytechnicien qui le désire peut disposer d’une adresse immuable composée de : prénom.nom@polytechnique.org Noms et prénoms s’écrivent sans accent, les prénoms composés sont séparés par des tirets.
Les potaches et autres amateurs de jeux de mots (laids) peuvent même libeller « m4x.org » au lieu de « polytechnique.org », l’abréviation étant censée signifier « mail for x ».
Associé à un jeune ingénieur des Mines, Jean-Paul Smets, il lance mines.org, puis, avec deux jeunes élèves de l’X, Bertrand de Singly et Joan Moreau, il crée polytechnique.org, marquant l’acte de naissance du groupe X‑Internet et ses trois piliers fondamentaux : « adresses à vie, annuaire électronique, outils de réseau ».
Un repaire d’incompétents
polytechnique.org est avant tout une association de « développeurs ». Le public des « utilisateurs », qui sont tous les polytechniciens qui le désirent, est plus particulièrement représenté par le groupe X‑Internet, fort de 150 adhérents, choisis comme étant « les plus incompétents possibles », de tous âges, tous sexes, toutes professions, toutes implantations, en France ou dans le monde. Ces « utilisateurs types » se réunissent en outre une fois par an, « car il faut bien maintenir les contacts physiques et voir la tête de l’autre pour éviter les malentendus », sur un sujet de leur choix, évidemment défini par un intense échange préalable de mails en tout genre.
Tirant exemple de polytechnique.org, Jean-Michel Yolin plaide pour faire appel aux jeunes dès leur entrée à l’École, afin de développer des outils pour la communauté polytechnicienne. Il cite en exemple le site manageurs.com, créé en 2004, en collaboration avec l’AX, pour venir en aide au Bureau des Carrières.
Toujours à l’affût
Fourmillant d’idées nouvelles, il n’est pas à court de propositions, même si elles lui valent parfois quelques heurts avec ceux « qui considèrent toujours l’École comme un régiment d’infanterie ». Il se tient à l’affût des sites prometteurs développés aux États-Unis et n’hésite pas à acquérir de nouveaux noms de domaines : polytechnique.net pour « étendre l’idée des adresses à vie à ceux qui collaborent avec l’École sans être eux-mêmes polytechniciens » ; ou bien polytechnique.edu pour « faire connaître l’École à travers le monde et avant tout… aux Chinois ». « Un nom de domaine ne coûte pas très cher, explique-t-il, le difficile c’est d’élaborer le dossier. »
Où place-t-il la frontière avec sa vie privée ?
« Difficile à dire. J’ai investi à titre personnel dans une entreprise soutenue par notre groupe de « business angels » (XMP-BA), ce qui me rapportera peut-être quelques sous pour agrémenter ma vie privée. Mais, n’est-ce pas avant tout pour comprendre, apprendre et… récolter du boulot supplémentaire, du « stress » et de la passion ? »
Des projets d’avenir ? De nouvelles idées ? Hop ! Tel le démon de Maxwell, Jean-Michel Yolin a déjà sauté la prochaine barrière de potentiel.
Un renouvellement permanent
polytechnique.org est une association « loi de 1901 » qui regroupe aujourd’hui 25 membres, âgés pour la plupart de moins de trente ans. Tous bénévoles (ce sont même eux qui versent une cotisation de 15 euros par an), ils s’organisent pour être disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. « L’Association se renouvelle constamment par cooptation, la continuité étant assurée, tant par les contacts que par une documentation de premier ordre. »
L’actuel président, Aymeric Augustin (2003), vient de partir effectuer un stage aux États-Unis dans l’entreprise fondée par l’un des pionniers de l’Association. « Les jeunes sont extrêmement rigoureux, souligne Jean- Michel Yolin, tant sur le plan éthique que sur le plan professionnel. »