Interrogations sur les innovations technologiques du XXIe siècle
Le xxe siècle a été très riche en technologies nouvelles qui ont bouleversé les modes de vie et la vision du monde dans la population des privilégiés, et qui ont éveillé, sans bouleverser leur vie (hélas), la majorité des défavorisés : électricité, téléphone, transistor, télévision, automobile, avion, énergie nucléaire, antibiotiques, pilule, laser…
Toutes ces technologies (sauf celles touchant à la santé) se profilaient déjà à la fin du XIXe siècle.
Quelles sont celles qui se profilent au début du XXIe siècle ?
Une liste – très loin d’être exhaustive – en a été dressée dans le tableau de la page suivante.
À la lecture de cette liste nous nous demandons tout naturellement quelles sont celles qui vont améliorer les modes de vie des êtres humains qui en ont le plus besoin.
Il apparaît d’abord qu’une grande part des efforts de progrès technologique visent à sauvegarder – ou sécuriser – les modes de vie menacés de dégradation : problèmes d’énergie, d’évolution climatique, d’approvisionnement en eau, de recul des maladies, de protection de la nature… Toutes les populations du monde sont concernées, mais les plus menacées (sauf pour l’eau et la santé) sont celles qui se situent au plus haut niveau de prospérité.
Les progrès dépassant l’objectif de conservation de l’acquis, et visant à faire franchir un nouveau pas à l’existence humaine, se situent dans les domaines de la biologie de pointe, de la cognitique, de l’espace, des NTIC avancées… Ils concernent bien évidemment les populations les plus évoluées aujourd’hui : celles-ci pourraient disposer d’une vie plus longue et mieux remplie, avec des activités s’exerçant sur un territoire plus vaste, dotées de moyens plus puissants. Leur soif de nouveauté et d’intensité vitale sera abondamment étanchée. Mais les bas-côtés de leur route seront toujours aussi larges et aussi profonds.
Or on aurait pu croire que, ayant atteint un certain niveau d’aisance et de sécurité, les bénéficiaires des progrès apportés par le XXe siècle auraient donné priorité à la diffusion de leurs avantages dans la communauté mondiale, au nom de l’égalité et de la fraternité qu’ils proclament. Mais leur réaction a été le « toujours plus » pour eux-mêmes et le « toujours plus vite » – et moins cher – pour leurs entreprises. Les ingénieurs technologues ont tout naturellement pris la même direction et ne se sont pas particulièrement mobilisés sur les problèmes spécifiques des plus démunis (à commencer par la prévention des catastrophes naturelles).
Nous touchons là une constante du comportement des hommes – hérité du comportement animal – dont l’effet est plus voyant qu’au cours des millénaires passés, du fait même de la rapidité du progrès.
En introduisant la philosophie de l’être dans sa réflexion « Prospective et Technologie », Thierry Gaudin a vraisemblablement placé au bon niveau le problème sur lequel nous butons.