Intimité
On peut éprouver des frissons en partageant, immergé dans la foule d’un auditorium, l’écoute d’une symphonie de Mahler, aussi bien que, serré au coude à coude dans un club de jazz, en suivant les chorus d’un saxo ténor inspiré.
Mais il est des moments où même l’ambiance feutrée d’un salon de musique de chambre serait incongrue et où l’on aspire à écouter une musique confidentielle chez soi, en petit comité – à deux ? – une musique donc enregistrée puisque l’on ne peut plus guère s’offrir de nos jours le luxe proustien de convoquer des interprètes en pleine nuit pour son seul plaisir.
Chansons
Certains musicologues rechignent à nommer « chanson », hors de la musique dite populaire, une pièce pour voix et piano, et préfèrent utiliser des termes plus chics tels que song (Kurt Weill), « mélodie » (Fauré, Duparc), ou Lied (Schubert et bien d’autres), même lorsque le compositeur a été explicite (Ravel, Chansons madécasses, Chanson française, etc.).
Ce sont bien des chansons qu’a composées Marc Berthomieu (1906−1991), infatigable auteur d’opérettes, de ballets, de musique de chambre, de musiques de scène et de films, chansons chantées à l’époque au cabaret et qu’ont enregistrées Mario Hacquard, baryton, et Lorène de Ratuld au piano1.
Il s’agit de pièces d’une exquise subtilité mélodique et harmonique, proches de Reynaldo Hahn et de Poulenc.
Austères coincés, qui trouvez Chagall ou Renoir « trop doux », cette musique n’est pas pour vous. Mais vous, hédonistes jouisseurs, qui aimez la vie, le vin et la bonne chère, courez découvrir les chansons de Berthomieu, dont Reynaldo Hahn disait qu’il était « un musicien qui préfère être ému qu’étonné ».
Mendelssohn – Quatuors
Émotion, émotion immédiate : que vous écoutiez le 2e Quatuor (op. 13), œuvre délicieuse de ses 18 ans, le 3e (op. 44), charnu et sensuel, écrit à 28 ans, l’année de son mariage avec la belle Cécile Jeanrenaud, ou le 6e (op. 80), le dernier, requiem déchirant à sa sœur Fanny qu’il va rejoindre quelques mois plus tard à l’âge de 38 ans, c’est ce qui vous submerge dès la première écoute de cet enregistrement par le quatuor Artemis, le meilleur ensemble allemand depuis que le quatuor Alban Berg a cessé son activité, et l’un des tout premiers au monde aujourd’hui2.
Nous avons comparé leur interprétation de l’opus 80 à d’autres enregistrements plus anciens (par les quatuors Ébène et Psophos). Là où d’autres se font les interprètes d’un Mendelssohn qui tente de s’élever au-dessus du drame et fait d’une certaine manière, au seuil de la mort, le bilan d’une vie, les Artemis jouent ce dernier quatuor comme la confession à vif d’un homme frappé par le destin et qui crie sa détresse et sa colère à un Dieu dont il refuse les arrêts injustes.
On pourrait presque dire, si l’on ne craignait de simplifier, que les uns jouent le Mendelssohn chrétien, les Artemis le Mendelssohn juif.
Mendelssohn, musicien surdoué, ce Mozart du XIXe siècle, qui a ressuscité la musique de Bach, dominait la technique musicale ; il aura mis dans sa musique de chambre, et singulièrement dans ses quatuors, le plus profond de ses pensées intimes, d’une manière telle que l’auditeur ne peut que se sentir en symbiose avec lui.
C’est pourquoi l’on doit écouter cette musique chez soi, sans lire, assis, attentif : un ami très proche vous parle, sans fard, et vous l’écoutez, aussi ému que lui.
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1. 1 CD Hybrid’music.
2. 1 CD ERATO.