Introduction
“ Les Français ignorent l’Ukraine parce qu’ils sont convaincus que son indépendance par rapport à la Russie est un accident de l’histoire. ”
C’est un ancien dirigeant du Crédit Lyonnais de Kiev qui me fait cette remarque. Et il ajoute : “ Ils ont tort parce que, quand bien même c’en serait un, il y a des accidents de l’histoire qui durent longtemps ; voyez les Pays-Bas. ”
Ne rentrons pas dans les débats que ne manque pas de susciter cette dernière remarque…
À mon avis, les Français ont tort surtout parce que, sur de nombreux points, l’Ukraine se rapproche d’avantage des pays d’Europe centrale que de la Russie. Visitez Kiev, Lvov ou Odessa, vous vous sentirez profondément en Europe. Les Français connaissent trop l’Ukraine à travers le regard, forcément défavorable, des Russes ; il faudrait la découvrir à travers le nouveau regard des Polonais qui développent de façon importante leurs échanges avec les Ukrainiens depuis quelques années.
C’est d’ailleurs la conviction de Mme E. Puissant qui vient de diriger pendant trois ans, avec enthousiasme et grande efficacité, le poste d’expansion économique auprès de l’ambassade de France à Kiev ; elle insiste sur le fait que, pour une entreprise française, la Pologne constitue vraisemblablement une bien meilleure base que la Russie pour s’implanter sur le marché ukrainien.
L’Ukraine est un pays très attachant, aux dimensions de la France, relativement très proche de nous (moins de 2000 km de nos frontières) ; ses habitants sont francophiles et souvent même férus de culture française. Contrairement à de nombreux observateurs, j’ai de l’admiration pour ce que les Ukrainiens ont réalisé depuis leur toute récente indépendance. Avoir constitué un État autonome, maintenu une cohésion sociale et politique malgré une situation difficile, assuré la sécurité des biens et des personnes, normalisé clairement ses relations avec ses voisins : voilà un bilan déjà très positif pour un pays dont l’indépendance est aussi nouvelle. Sans doute, son évolution vers une économie de marché est lente mais, comme l’écrit J.-L. Poget, elle est exsangue de ses élites et doit les reconstituer.
Tout le monde s’accorde pour reconnaître la qualité de la génération montante, celle qui n’a pas travaillé en régime soviétique et qui a aujourd’hui moins de trente ans. Elle est brillante, active, motivée, ouverte sur le monde. Dans une quinzaine d’années, elle dirigera le pays. On peut penser qu’alors il ne faudra pas dix ans au pays pour se redresser vigoureusement ; peut-être parlera-t-on alors d’un miracle ukrainien ? Il est dans l’intérêt commun d’encourager ce pays et de lui donner dès maintenant des perspectives. Son adhésion à l’Union européenne dans une trentaine d’années a « la force de l’évidence ». Afficher dès maintenant la vocation européenne de l’Ukraine ne peut qu’encourager les Ukrainiens à créer les conditions favorables à cette adhésion.
En constituant ce dossier, nous avons voulu insister sur trois points :
- s’implanter sur le marché ukrainien prend du temps, nécessite de la persévérance, suppose de bonnes relations avec des partenaires ukrainiens et les profits ne viennent pas rapidement ; au demeurant, comme l’expriment J. Mounier et E. Puissant, des places importantes restent à prendre dans de bonnes conditions : ne laissons pas nos grands partenaires américains, allemands et italiens les prendre toutes ;
- le rôle structurant, pour l’économie ukrainienne, que jouent les entreprises occidentales quand elles s’implantent durablement dans ce pays ; les exemples du Crédit Lyonnais et de Lactalis sont particulièrement éclairants mais plusieurs autres existent, notamment des PME dont nous regrettons l’absence dans ce dossier ; on ne peut pas se contenter de conseiller : il faut être présent sur place pour organiser le travail ; selon moi, les soutiens publics à l’Ukraine devraient être essentiellement consacrés à soutenir nos entreprises à s’installer en Ukraine ;
- le caractère exemplaire de la coopération franco-ukrainienne qui vient d’aboutir au vote, par le Parlement ukrainien, d’une loi sur les concessions de services publics et d’infrastructures et que décrit ici J.-L. Poget ; au-delà de son incidence juridique, le rôle pédagogique que joue une action collective de ce genre est très positif pour sécuriser les activités en Ukraine des investisseurs étrangers ; cette action doit être poursuivie, notamment par la formation des cadres municipaux ukrainiens à la délégation de services publics.
Avec nos camarades M. Malherbe et P. Terestchenko, nous avons créé le Club de Kiev précisément pour encourager, voire conduire, des actions collectives susceptibles de développer les relations économiques entre nos deux pays. En liaison avec l’ACFAU, communauté française d’affaires en Ukraine, nous mettons en place une Chambre de commerce franco-ukrainienne pour développer cette politique à plus grande échelle. J’espère que ce dossier sur l’Ukraine de La Jaune et la Rouge vous donnera une idée réaliste mais optimiste sur ce pays riche de potentialités. Si vous souhaitez mieux le connaître, nous sommes prêts à vous y aider.