Introduction
Le parlement a voté en 1996 une loi de programmation d’une importance historique. En effet, elle engage une réorganisation des armées comme il n’y en avait pas eu depuis 1962 lorsque le général de Gaulle, rompant avec les conflits de la décolonisation, avait redéfini les missions et les moyens des armées en fonction de la guerre froide en Europe. Mais surtout, elle marque la rupture d’une tradition séculaire du mode de relation entre l’armée et la Nation.
Plusieurs de nos camarades en présentent ci-dessous les grandes lignes.
Les principales évolutions de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air sont analysées respectivement par le général d’armée Brutin (59), inspecteur général des armées, par le vice-amiral d’escadre Durteste (58), préfet maritime de Toulon, et – place aux jeunes – par le capitaine Venturi (87) de la base d’Orange, tandis que J.-Y. Helmer (65), délégué général à l’armement, expose la réforme qu’il a conçue et lancée.
Trois domaines majeurs de changement (le renseignement, l’espace et le nucléaire) font ensuite l’objet des contributions de l’ingénieur général Séméria (56), directeur à la Direction du renseignement militaire, et de l’ingénieur général des mines Ferrier (62), directeur au Secrétariat général de la Défense nationale.
Enfin, le général Novacq (67), directeur général de l’École, fait le point sur l’X et le service national. Le cœur de cette réforme, la professionnalisation des armées, résulte d’une décision personnelle du Président de la République, chef des armées. Non pas qu’une telle mesure n’ait été souhaitée par des personnalités comme notre camarade le général d’armée F. Valentin ou M. Messmer. Mais elle diffère profondément des avis formulés en leur temps par la plupart des chefs militaires en poste (les terriens en tout cas), avis qu’il serait injuste d’assimiler à de simples réactions de conservatisme ou de corporatisme.
Quoi qu’il en soit, les mois et les années qui viennent nous apporteront la réponse des faits aux questions qui se posent aujourd’hui quant aux chances de succès de cette entreprise :
a) Les armées auront-elles les moyens financiers de la mener à bien ? Certes, le Président s’est engagé sur un montant de crédits qui reste important, bien qu’en réduction par rapport au passé récent du fait de la situation financière et géostratégique de la France. Mais les effectifs « de métier », même très fortement diminués, coûtent cher. La loi de programmation a dû modifier l’équilibre habituel « frais de fonctionnement-achats d’équipement » au bénéfice du fonctionnement : 10 milliards par an (soit l0 %) des crédits d’équipement ont ainsi dû être transférés au fonctionnement. Nul ne sait si cela sera suffisant.
b) Les armées sauront-elles faire preuve de l’imagination et de la détermination nécessaires pour instaurer de nouveaux liens solides avec la Nation, en particulier avec la jeunesse, et tout spécialement avec les étudiants ? (L’École est particulièrement concernée par cet aspect, cf. l’article du général Novacq.)
c) Les conditions socio-économiques permettront-elles la pleine réussite de la réforme ambitieuse de la DGA et de l’industrie d’armement, lancée parallèlement à celle des armées ?
d) Quel sera le rythme de progrès des questions touchant à la défense de l’Europe (cf. plaquette d’X-Défense de juin 1995), et leur impact sur nos projets nationaux ?
Paradoxalement, cette réorganisation majeure de nos moyens de défense ne s’est pas jusqu’ici accompagnée explicitement d’un effort de réflexion comparable, permettant la « refondation » nécessaire de notre concept ou de notre politique de défense. Deux domaines au moins justifieront à l’avenir un important investissement conceptuel.
1) Quel est l’avenir du nucléaire ?
Notre concept dissuasif dans son état actuel est-il pertinent et destiné à le rester ? Par exemple, doit-il rester immuable face à la disparition, reconnue par ailleurs sur le plan conventionnel, d’une puissance hégémonique hostile à l’Est ?
Nos armes sont-elles adaptées ? Par exemple, les armes de faible puissance à lanceur terrestre (autrefois appelées « tactiques ») ont-elles un avenir ?
2) Comment organiser la « défense du territoire », selon un mot juridiquement mal défini mais bien concret ?
Quels sont les dangers et les risques à prendre en compte à cet égard, au-delà des problèmes de sécurité intérieure et de maintien de l’ordre ? Autrement dit notre territoire peut-il être l’objet de véritables agressions, de la part de pays utilisant toutes les ressources des stratégies indirectes (terrorisme…) ?
Quelle sera au cours des prochaines décennies la participation demandée (imposée ?) aux citoyens dans ce type de défense ?
Ces sujets feront évidemment partie des préoccupations du groupe X‑Défense pendant les mois qui viennent.