Introduction de la séance inaugurale de la chaire “ développement durable ”
Mesdames et Messieurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir ce soir dans les locaux historiques de l’École polytechnique pour la création de la première chaire d’enseignement et de recherche de l’École, qui est consacrée à un thème majeur : le développement durable. Je tiens à vous remercier d’être venus si nombreux, et je remercie François Roussely, Bernard Chevassus-au-Louis, Claude Henry, et Claude Fussler, d’avoir bien voulu honorer de leur présence et de leur parole cette séance inaugurale.
Pourquoi l’École polytechnique crée-t-elle des chaires d’enseignement et de recherche avec le monde de l’entreprise ? Pourquoi en particulier commencer par une chaire “ développement durable ” ? Et enfin pourquoi associer cette chaire à l’énergie et en particulier à EDF ? C’est à ces trois questions que je voudrais répondre brièvement ce soir.
1. Pourquoi l’École polytechnique crée-t-elle des chaires d’enseignement et de recherche avec le monde de l’entreprise ?
Dans le contrat pluriannuel conclu le 17 novembre 2001 entre l’École polytechnique et l’État, le préambule affirme que : “L’École se doit d’aborder le XXIe siècle dans un esprit d’ouverture et de service ”, qu’elle doit “ constituer l’un des premiers foyers de rayonnement scientifique français dans le monde, et demeurer ce pôle d’excellence qui participe notablement aux succès collectifs de la France à l’étranger. ”
La mission assignée par l’État à l’École insiste notamment sur le rapprochement avec le monde de l’entreprise, dans le cadre d’une politique de partenariat, qui s’inscrit bien dans la triple vocation de l’École qui est de former, je cite le contrat pluriannuel :
- “ pour les entreprises : des cadres à fort potentiel, des innovateurs, des jeunes ayant l’esprit d’entreprendre,
- pour la recherche : des chercheurs de haut niveau, aptes à aborder les secteurs les plus nouveaux et les plus porteurs,
- pour les services de l’État : de futurs hauts fonctionnaires capables d’appréhender, dans un cadre multinational ou communautaire, les aspects les plus modernes de l’État de demain.”
La création de chaires d’entreprise, sur des grands enjeux de société, est donc à mes yeux une des voies pour répondre aux missions qui nous sont confiées en ce début du XXIe siècle.
2. Pourquoi le choix du thème “ développement durable ” et qu’est-ce que l’École polytechnique y apporte ?
I. Tout d’abord, consacrer la première chaire d’enseignement et de recherche de l’École au développement durable n’est pas un hasard, car le développement durable est le lieu par excellence de la rencontre entre la science et les enjeux de société.
a) En premier lieu, un partenariat dans ce domaine traduit les préoccupations et les enjeux majeurs de notre société.
En effet selon la définition de la Commission mondiale de l’environnement et du développement (Commission Bruntland), le développement durable c’est “ un développement qui répond aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ”. La façon dont cette définition a été déclinée manifeste plusieurs préoccupations avec par exemple :
- la recherche d’un développement alliant l’économie, l’environnement et le social,
- ou encore un souci d’équité à la fois entre générations présentes et générations futures, et au sein même des générations présentes.
La recherche et l’enseignement supérieur doivent naturellement aborder ces questions. C’est pourquoi, je me réjouis que l’École polytechnique soit réellement motrice dans cette attention portée au développement durable par le monde de l’enseignement et de la recherche.
b) En même temps, un travail scientifique pluridisciplinaire est nécessaire, afin de ne pas se cantonner à des concepts flous et ne pas se laisser porter par un effet de mode qui risquerait d’être éphémère.
Il faut, en effet, une démarche scientifique rigoureuse dès l’amont, sur des concepts qui sont encore à clarifier et qui sont surtout à rendre opératoires. L’implication des scientifiques me paraît, là, à la fois essentielle et très prometteuse pour l’avenir.
Prenons seulement deux exemples :
- Le premier est celui du principe de précaution. Ce principe, aujourd’hui inscrit dans le Droit international comme dans le Droit français, est fréquemment invoqué selon des interprétations qui suscitent confusions et fragilités juridiques. Voilà donc là une bonne question pour les scientifiques : quelle signification plus précise accorder au principe de précaution, en des termes appropriés pour les décideurs politiques ou les entreprises ?
- Mon second exemple reflète aussi une attente réelle des entreprises : comment élaborer des indicateurs de développement durable qui puissent être intégrés dans leurs processus de décisions, c’est-à-dire qui soient accompagnés d’éléments pertinents dans les projets, lorsqu’il y a des arbitrages à réaliser entre rentabilité financière, préservation de l’environnement, et développement du social ?
Et dans ces deux exemples, quelles disciplines scientifiques mobiliser ?
Le développement durable est profondément lié aux problèmes de la vie en société qui constituent l’objet naturel d’étude de l’économie et des autres sciences sociales. Ces sciences sont donc des points d’entrée naturels pour fournir des grilles d’analyse du développement durable qui partent des problèmes vécus par les hommes dans la “ cité ”.
Mais le développement durable est aussi lié au rapport de l’homme à la nature. La sollicitation des sciences du vivant et de la terre (pensons aux liens entre climat et gaz à effet de serre, ou entre biologie et OGM) est donc également requise au sein d’une démarche profondément pluridisciplinaire.
c) Créer une chaire sur le développement durable, c’est aussi un bon moyen pour les scientifiques de faire rentrer dans les laboratoires les questions des citoyens, et réciproquement.
- Se laisser interroger par les citoyens, c’est accepter des questions qui mobilisent chaque discipline scientifique dans sa compétence propre, mais exigent encore plus un travail de dialogue, d’interpellation et de synthèse entre ces disciplines.
- Réciproquement, l’implication des scientifiques permet de déboucher sur des forces de proposition et d’innovation, notamment en permettant de mieux formuler et traiter les problématiques.
- On a là une façon constructive d’enrichir les débats, de partager ce que l’on sait, ce que l’on ignore, et les points de controverse.
Il s’agit là également d’enrichir la recherche et de favoriser des évolutions dans l’orientation de la R&D.
Les travaux menés depuis plus de dix ans par le Groupement intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (le GIEC), lieu privilégié de collaboration de scientifiques reconnus, diversifiés sur le plan disciplinaire et diversifiés sur le plan international, sont un exemple particulièrement réussi de ce processus.
Les fruits de ces travaux sont des rapports techniques, lisibles par des non-experts, et complétés de “ résumés pour décideurs ”, qui font aujourd’hui autorité et nourrissent des débats. Ceux-ci en retour ont largement contribué à orienter et dynamiser les travaux des chercheurs.
d) Enfin créer une chaire sur le développement durable, c’est former les jeunes dans cet esprit, avec notamment une ouverture sur les préoccupations des autres et une ouverture sur les questions internationales.
On a là une réponse à une réelle attente des jeunes, si l’on en juge par le nombre croissant de demandes d’élèves qui manifestent leur intérêt sur ces questions et qui demandent à suivre un enseignement traitant du développement durable.
II. Voyons maintenant ce que l’École polytechnique peut apporter : elle dispose d’atouts reconnus sur les questions de développement durable ; ce sont les compétences réunies par les experts des laboratoires de recherche et par le corps enseignant, dont la notoriété dépasse largement les frontières de l’Europe.
Pour la recherche, je pense en particulier au laboratoire d’économétrie, au laboratoire de météorologie dynamique, au centre de recherche en épistémologie appliquée, et aux travaux du département humanités et sciences sociales et du département de biologie.
Pour l’enseignement, je pense à deux enseignements de 3e année, à savoir :
- la “ majeure écosciences ”, qui propose des cours sur la biodiversité, sur les modèles mathématiques pour l’écologie et sur l’économie du développement durable,
- et la “ majeure planète terre ”, qui analyse la Terre comme un système physique complet,
- et je pense aussi au DEA Économie de l’environnement et des ressources naturelles, en collaboration avec Paris X, l’INRA, l’École des hautes études en sciences sociales, les Mines de Paris, les Ponts et l’ENGREF.
Ces équipes de chercheurs et d’enseignants de l’École polytechnique disposent d’excellentes compétences en économie théorique appliquée aux problèmes d’environnement et de gestion des risques, en économie dans son articulation avec les sciences humaines et la philosophie morale et politique, en gouvernement d’entreprise et management, et en gestion des crises ; elles ont montré leur capacité à développer une approche pluridisciplinaire en s’appuyant sur les autres départements d’enseignement et de recherche (climat, biologie…), avec une forte ouverture à l’international et la participation de professeurs étrangers.
Les activités prévues dans le cadre de la chaire sont en particulier les suivantes :
- pour l’enseignement (outre l’existant évoqué plus haut) :
– l’introduction d’un enseignement d’approfondissement sur l’économie du développement durable dans la majeure sciences économiques, qui serait confié à un professeur étranger,
– l’introduction d’un séminaire thématique sur le développement durable en humanités sciences sociales,
– la mise en place d’un mastère international largement ouvert aux étudiants étrangers. - et pour la recherche, les travaux porteront notamment :
– sur les représentations des enjeux environnementaux, avec le panorama des problèmes contemporains, la mesure des dommages et des risques environnementaux, l’analyse du cycle de vie et les indicateurs de pérennité, l’organisation de l’expertise scientifique par exemple,
– sur les nouvelles règles de décision (décision à long terme, principe de précaution, règles éthiques),
– et sur les nouvelles formes de marché et de gouvernance (design des marchés, crédits d’émission, taxes environnementales, répartition des risques financiers, gouvernance environnementale, entreprise et environnement, partenariats publics/privés, dimension internationale du développement durable).
3. Pourquoi associer la chaire développement durable à l’énergie et en particulier à EDF ?
François Roussely va nous l’expliquer tout à l’heure. Je voudrais seulement citer brièvement trois raisons majeures qui à mes yeux suffisent à justifier cette association :
1) L’énergie est une des activités où le développement durable est structurant, avec déjà des engagements concrets d’EDF sur cette voie.
2) EDF hérite aujourd’hui d’une forte tradition de réflexion économique, initiée par Marcel Boiteux, et dispose, avec son centre de recherche, d’une capacité exceptionnelle de réflexion à caractères technique, environnemental et social.
3) Enfin de nombreux chercheurs d’EDF ont été ou sont enseignants à l’École polytechnique.
De fait, il existe, depuis longtemps, de multiples exemples de coopérations entre EDF et l’École polytechnique. Notre rencontre d’aujourd’hui en est à la fois le fruit et l’annonce de nouvelles perspectives qui s’ouvrent devant nous.
4. Conclusion
En conclusion, Mesdames et Messieurs, l’École polytechnique change et s’adapte, pour répondre aux besoins d’une société en profonde mutation.
Cette réforme, baptisée X 2000, passe par le développement de l’enseignement, avec notamment la création d’une quatrième année, par le développement de la recherche, par le développement des partenariats avec le monde des entreprises, et enfin par le développement prioritaire de l’internationalisation de l’École. Dans ce cadre, notre projet pédagogique est le suivant : préparer des femmes et des hommes responsables, à l’écoute des autres et de la société, dans un contexte internationalisé et mondialisé, capables de prendre leurs responsabilités en toutes circonstances, ayant l’esprit d’entreprendre et d’innover, formés à la compréhension et à la maîtrise de la complexité et à la gestion des risques.
Nul doute que cette chaire sur le développement durable y fait largement écho et y a toute sa place !
Je vous remercie de votre attention