Investir à l’international, une nouvelle frontière
Au milieu des années 2000, la Chine a joué un rôle majeur dans la montée des déséquilibres globaux. Sa balance des paiements a enregistré des excédents records entre 2005 et 2007, gonflés principalement par son commerce extérieur.
REPÈRES
La Chine représente 16% du commerce mondial de produits manufacturés.
Les ventes chinoises aux États-Unis et à l’Europe représentent 10% de son PIB (14% en 2007). Mais l’excédent commercial seulement 2% du même PIB (7% en 2007).
Les réserves de change dépassent 3 000 milliards, dont 1 600 en dollars.
Elles sont constituées de titres financiers, pour moitié en dollars, et 20% en euros.
La Chine investit plus en Europe que l’Europe en Chine.
Crise et démographie
Depuis la crise globale de la fin de l’année 2007, ce n’est plus le cas. L’excédent s’est réduit et le poids des exportations dans le PIB a chuté de 36 % à 26 % entre 2007 et 2011. Le ralentissement de la demande aux États-Unis et en Europe affecte sérieusement les conditions de la croissance chinoise. La Chine détient une part de marché mondial telle que sa progression rencontre des obstacles croissants, comme le montre la multiplication des actions prises à l’encontre des produits chinois.
La population en âge de travailler va diminuer de 60 millions
En même temps, les conditions internes à la base de son décollage économique depuis 1980 sont en train de changer. La Chine aborde un tournant démographique qui la prive de ce qui a été un atout majeur depuis trente ans : la surabondance de main‑d’œuvre à très bon marché. La population en âge de travailler, qui a augmenté de 350 millions entre 1980 et 2010, va diminuer de 60 millions d’ici à 2030. Certes, il existe encore des réserves de main‑d’œuvre dans l’agriculture, mais elles sont plus coûteuses à mobiliser.
Des pénuries sont apparues localement et les salaires ont tendance à augmenter plus vite que la productivité. Même si elle reste très compétitive, la Chine a cessé d’être le pays du monde où les coûts du travail sont les plus bas.
Relancer la croissance
Tout cela devrait conduire à une croissance plus lente : 7 % à 8 % par an. C’est ce que prévoient le 12e Plan quinquennal chinois (2011- 2015) et la plupart des études prospectives. Cette croissance devrait aussi être rééquilibrée, centrée sur la consommation intérieure grâce à l’expansion de classes moyennes dont le pouvoir d’achat bénéficiera de l’amélioration des salaires et de la protection sociale. Elle s’appuiera davantage sur les services que sur l’industrie afin de réduire les dégâts environnementaux.
Un grand virage
La population active chinoise va diminuer.
La croissance ralentit et se tourne vers les services.
La Chine a cessé d’être le pays où les salaires sont les plus bas.
Beaucoup d’entreprises chinoises ont la taille suffisante pour s’internationaliser.
La Chine, en matière d’investissements, suit largement le chemin du Japon.
Mais comment ce bolide qu’est l’économie chinoise va-t-il prendre ce virage ? Elle a surmonté le choc de la crise internationale grâce à une relance de l’investissement interne en 2008–2009, mais, en 2012, la chute des exportations vers l’Europe et le dégonflement de la bulle immobilière interne ont causé un net ralentissement.
Pour les autorités, la tentation est grande de relancer la croissance à tout prix, au risque de ranimer la spéculation immobilière et d’aggraver les surcapacités industrielles. Trois décennies de croissance échevelée ont créé de puissants groupes d’intérêts et des comportements qui freinent les inévitables changements.
Les réserves en dollars et en euros
Le redéploiement de la stratégie économique chinoise passe aussi par une présence de plus en plus active sur la scène financière internationale. La position financière extérieure de la Chine se caractérise actuellement par d’importants actifs nets (différence entre ses avoirs à l’extérieur et les avoirs du reste du monde en Chine) : leur montant (1 900 milliards de dollars) est dépassé seulement par ceux du Japon (3 300 milliards de dollars).
Les avoirs extérieurs sont surtout des titres de dettes publiques : pour moitié des bons du Trésor américain (la Chine est le premier créancier étranger des États-Unis) et pour 20 % des titres de dettes européennes. Ces placements, simples et en principe sans risque sont peu rémunérateurs et exposent la Chine, dont la monnaie s’apprécie, à des pertes en capital.
Quant aux avoirs du reste du monde en Chine, ils sont, pour l’essentiel, constitués d’actifs productifs des sociétés étrangères qui ont investi en Chine, et qui gagnent à l’appréciation du yuan.
La Chine est le premier créancier des États-Unis
Promouvoir les investissements chinois à l’étranger répond donc à un objectif macroéconomique : sortir de la « trappe à dollars », redresser l’asymétrie défavorable de la position financière extérieure en diversifiant les avoirs de la Chine à l’étranger. La création en 2007 du fonds souverain China Investment Corporation répond à ce même souci.
Mais la motivation est aussi microéconomique. Le gouvernement, depuis dix ans, favorise l’émergence de « champions nationaux ». Nombre d’entreprises chinoises ont atteint la taille et la maturité nécessaires pour s’internationaliser. Elles investissent à l’étranger pour étendre leurs marchés et leurs réseaux, monter en gamme, acquérir marques et technologies.
Jusque-là, les autorités chinoises comptaient sur les investissements étrangers en Chine pour accélérer la modernisation, mais les retombées technologiques sur les sociétés chinoises s’en sont révélées décevantes (sauf par exemple dans les télécommunications).
Racheter des entreprises étrangères est devenu le plus sûr moyen de monter en gamme.
Les opportunités en Europe et aux États-Unis
La Chine moins attractive
Les conditions (fiscales notamment) faites aux étrangers sont aujourd’hui moins avantageuses, et le pays devient moins attractif pour les investisseurs en quête de bas coûts de production ; en outre, l’investissement étranger reste soumis à des restrictions dans certaines industries (automobile) et dans les services.
Les appels d’offres publics privilégient délibérément les entreprises locales au détriment des sociétés étrangères.
Les investissements directs de la Chine à l’étranger ont pris de l’ampleur à partir du milieu des années 2000. Partant d’un niveau très bas, ils ont atteint en 2011 plus de la moitié des flux entrants. Certes, la Chine reste encore importatrice nette d’investissements directs, mais le ministère du Commerce prévoit que les flux s’équilibrent en 2015.
La crise multiplie les opportunités d’acquisitions en Europe et aux États-Unis pour les entreprises chinoises, alors qu’elle affecte la capacité inverse. En 2012, les investissements étrangers en Chine ont baissé.
Un rééquilibrage international
Depuis 2011, les investissements chinois en Europe ont dépassé ceux des Européens en Chine, et l’Union européenne réclame une plus grande ouverture du marché chinois. À certains égards, l’évolution de la Chine suit celle du Japon des années 1970 et 1980, lorsque ses exportations puis ses investissements à l’étranger faisaient trembler Américains et Européens.
Mais la Chine ne s’avance qu’avec une extrême prudence vers la convertibilité complète du yuan et la libéralisation de son système financier interne, qui sont deux conditions de sa véritable intégration dans le système financier international.