Investir à l’international, une nouvelle frontière

Dossier : La ChineMagazine N°684 Avril 2013
Par Françoise LEMOINE

Au milieu des années 2000, la Chine a joué un rôle majeur dans la mon­tée des dés­équi­libres glo­baux. Sa balance des paie­ments a enre­gis­tré des excé­dents records entre 2005 et 2007, gon­flés prin­ci­pa­le­ment par son com­merce extérieur.

REPÈRES
La Chine repré­sente 16% du com­merce mon­dial de pro­duits manufacturés.
Les ventes chi­noises aux États-Unis et à l’Europe repré­sentent 10% de son PIB (14% en 2007). Mais l’excédent com­mer­cial seule­ment 2% du même PIB (7% en 2007).
Les réserves de change dépassent 3 000 mil­liards, dont 1 600 en dollars.
Elles sont consti­tuées de titres finan­ciers, pour moi­tié en dol­lars, et 20% en euros.
La Chine inves­tit plus en Europe que l’Europe en Chine.

Crise et démographie

Depuis la crise glo­bale de la fin de l’année 2007, ce n’est plus le cas. L’excédent s’est réduit et le poids des expor­ta­tions dans le PIB a chu­té de 36 % à 26 % entre 2007 et 2011. Le ralen­tis­se­ment de la demande aux États-Unis et en Europe affecte sérieu­se­ment les condi­tions de la crois­sance chi­noise. La Chine détient une part de mar­ché mon­dial telle que sa pro­gres­sion ren­contre des obs­tacles crois­sants, comme le montre la mul­ti­pli­ca­tion des actions prises à l’encontre des pro­duits chinois.

La popu­la­tion en âge de tra­vailler va dimi­nuer de 60 millions

En même temps, les condi­tions internes à la base de son décol­lage éco­no­mique depuis 1980 sont en train de chan­ger. La Chine aborde un tour­nant démo­gra­phique qui la prive de ce qui a été un atout majeur depuis trente ans : la sur­abon­dance de main‑d’œuvre à très bon mar­ché. La popu­la­tion en âge de tra­vailler, qui a aug­men­té de 350 mil­lions entre 1980 et 2010, va dimi­nuer de 60 mil­lions d’ici à 2030. Certes, il existe encore des réserves de main‑d’œuvre dans l’agriculture, mais elles sont plus coû­teuses à mobiliser.

Des pénu­ries sont appa­rues loca­le­ment et les salaires ont ten­dance à aug­men­ter plus vite que la pro­duc­ti­vi­té. Même si elle reste très com­pé­ti­tive, la Chine a ces­sé d’être le pays du monde où les coûts du tra­vail sont les plus bas.

Relancer la croissance

Tout cela devrait conduire à une crois­sance plus lente : 7 % à 8 % par an. C’est ce que pré­voient le 12e Plan quin­quen­nal chi­nois (2011- 2015) et la plu­part des études pros­pec­tives. Cette crois­sance devrait aus­si être rééqui­li­brée, cen­trée sur la consom­ma­tion inté­rieure grâce à l’expansion de classes moyennes dont le pou­voir d’achat béné­fi­cie­ra de l’amélioration des salaires et de la pro­tec­tion sociale. Elle s’appuiera davan­tage sur les ser­vices que sur l’industrie afin de réduire les dégâts environnementaux.

Un grand virage
La popu­la­tion active chi­noise va diminuer.
La crois­sance ralen­tit et se tourne vers les services.
La Chine a ces­sé d’être le pays où les salaires sont les plus bas.
Beau­coup d’entreprises chi­noises ont la taille suf­fi­sante pour s’internationaliser.
La Chine, en matière d’investissements, suit lar­ge­ment le che­min du Japon.

Mais com­ment ce bolide qu’est l’économie chi­noise va-t-il prendre ce virage ? Elle a sur­mon­té le choc de la crise inter­na­tio­nale grâce à une relance de l’investissement interne en 2008–2009, mais, en 2012, la chute des expor­ta­tions vers l’Europe et le dégon­fle­ment de la bulle immo­bi­lière interne ont cau­sé un net ralentissement.

Pour les auto­ri­tés, la ten­ta­tion est grande de relan­cer la crois­sance à tout prix, au risque de rani­mer la spé­cu­la­tion immo­bi­lière et d’aggraver les sur­ca­pa­ci­tés indus­trielles. Trois décen­nies de crois­sance éche­ve­lée ont créé de puis­sants groupes d’intérêts et des com­por­te­ments qui freinent les inévi­tables changements.

Les réserves en dollars et en euros

Le redé­ploie­ment de la stra­té­gie éco­no­mique chi­noise passe aus­si par une pré­sence de plus en plus active sur la scène finan­cière inter­na­tio­nale. La posi­tion finan­cière exté­rieure de la Chine se carac­té­rise actuel­le­ment par d’importants actifs nets (dif­fé­rence entre ses avoirs à l’extérieur et les avoirs du reste du monde en Chine) : leur mon­tant (1 900 mil­liards de dol­lars) est dépas­sé seule­ment par ceux du Japon (3 300 mil­liards de dollars).

Les avoirs exté­rieurs sont sur­tout des titres de dettes publiques : pour moi­tié des bons du Tré­sor amé­ri­cain (la Chine est le pre­mier créan­cier étran­ger des États-Unis) et pour 20 % des titres de dettes euro­péennes. Ces pla­ce­ments, simples et en prin­cipe sans risque sont peu rému­né­ra­teurs et exposent la Chine, dont la mon­naie s’apprécie, à des pertes en capital.

Quant aux avoirs du reste du monde en Chine, ils sont, pour l’essentiel, consti­tués d’actifs pro­duc­tifs des socié­tés étran­gères qui ont inves­ti en Chine, et qui gagnent à l’appréciation du yuan.

La Chine est le pre­mier créan­cier des États-Unis

Pro­mou­voir les inves­tis­se­ments chi­nois à l’étranger répond donc à un objec­tif macroé­co­no­mique : sor­tir de la « trappe à dol­lars », redres­ser l’asymétrie défa­vo­rable de la posi­tion finan­cière exté­rieure en diver­si­fiant les avoirs de la Chine à l’étranger. La créa­tion en 2007 du fonds sou­ve­rain Chi­na Invest­ment Cor­po­ra­tion répond à ce même souci.

Mais la moti­va­tion est aus­si microé­co­no­mique. Le gou­ver­ne­ment, depuis dix ans, favo­rise l’émergence de « cham­pions natio­naux ». Nombre d’entreprises chi­noises ont atteint la taille et la matu­ri­té néces­saires pour s’internationaliser. Elles inves­tissent à l’étranger pour étendre leurs mar­chés et leurs réseaux, mon­ter en gamme, acqué­rir marques et technologies.

Jusque-là, les auto­ri­tés chi­noises comp­taient sur les inves­tis­se­ments étran­gers en Chine pour accé­lé­rer la moder­ni­sa­tion, mais les retom­bées tech­no­lo­giques sur les socié­tés chi­noises s’en sont révé­lées déce­vantes (sauf par exemple dans les télécommunications).

Rache­ter des entre­prises étran­gères est deve­nu le plus sûr moyen de mon­ter en gamme.

Les opportunités en Europe et aux États-Unis

La Chine moins attractive
Les condi­tions (fis­cales notam­ment) faites aux étran­gers sont aujourd’hui moins avan­ta­geuses, et le pays devient moins attrac­tif pour les inves­tis­seurs en quête de bas coûts de pro­duc­tion ; en outre, l’investissement étran­ger reste sou­mis à des res­tric­tions dans cer­taines indus­tries (auto­mo­bile) et dans les services.
Les appels d’offres publics pri­vi­lé­gient déli­bé­ré­ment les entre­prises locales au détri­ment des socié­tés étrangères.

Les inves­tis­se­ments directs de la Chine à l’étranger ont pris de l’ampleur à par­tir du milieu des années 2000. Par­tant d’un niveau très bas, ils ont atteint en 2011 plus de la moi­tié des flux entrants. Certes, la Chine reste encore impor­ta­trice nette d’investissements directs, mais le minis­tère du Com­merce pré­voit que les flux s’équilibrent en 2015.

La crise mul­ti­plie les oppor­tu­ni­tés d’acquisitions en Europe et aux États-Unis pour les entre­prises chi­noises, alors qu’elle affecte la capa­ci­té inverse. En 2012, les inves­tis­se­ments étran­gers en Chine ont baissé.

Un rééquilibrage international

Depuis 2011, les inves­tis­se­ments chi­nois en Europe ont dépas­sé ceux des Euro­péens en Chine, et l’Union euro­péenne réclame une plus grande ouver­ture du mar­ché chi­nois. À cer­tains égards, l’évolution de la Chine suit celle du Japon des années 1970 et 1980, lorsque ses expor­ta­tions puis ses inves­tis­se­ments à l’étranger fai­saient trem­bler Amé­ri­cains et Européens.

Mais la Chine ne s’avance qu’avec une extrême pru­dence vers la conver­ti­bi­li­té com­plète du yuan et la libé­ra­li­sa­tion de son sys­tème finan­cier interne, qui sont deux condi­tions de sa véri­table inté­gra­tion dans le sys­tème finan­cier international.

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