Investir dans les technologies quantiques un pari d’avenir
Amorçant une rupture technologique majeure dont on commence à prendre la mesure, les technologies quantiques se développent dans un écosystème encore restreint mais bouillonnant. Quantonation a pris les devants en devenant le premier fonds d’investissements au monde spécialisé dans le secteur. Associé du fonds Quantonation, Christophe Jurczak (89) nous explique pourquoi.
Quelles sont les promesses technologiques du calcul quantique, et pour quelles applications industrielles ?
Cette technologie permettra de réaliser des calculs impossibles à produire avec des ordinateurs classiques. Au-delà, si l’on veut considérer l’ensemble du secteur quantique, on peut distinguer trois segments principaux : le calcul quantique, les communications quantiques, et la détection – où l’on obtient une résolution bien meilleure qu’avec des détecteurs classiques.
Le premier secteur d’application, et dont on parle peut-être un peu moins souvent, c’est la recherche scientifique. L’ordinateur quantique est un outil extraordinaire pour faire de la science, notamment de la physique et de la science des matériaux. Dans ce domaine, l’outil est déjà mis en œuvre et fonctionne.
Concernant les applications commerciales, la technologie a permis d’aboutir à une nouvelle version du machine learning impliquant des processeurs quantiques pour améliorer les performances, avec des applications potentielles en drug development notamment-réalisation de nouvelles molécules et de nouveaux médicaments. Ensuite, cet outil peut trouver une utilité pour des problèmes d’optimisation industrielle dans les process, qui sont présents un peu partout : dans les transports, la gestion de l’électricité, dans tout ce qui touche aux systèmes complexes avec de nombreux scénarios possibles. Enfin, la finance est un domaine d’avenir pour le quantique, que ce soit dans la gestion de portefeuille, la prise en compte de risques, l’analyse de fraudes dans des réseaux bancaires ou dans des réseaux internet. Il y a également un certain nombre d’applications en vue sur les énergies renouvelables et les réseaux électrique, par exemple l’insertion intermittente d’énergie sur les réseaux. Un des premiers cas d’usage a été chez EDF l’optimisation d’une flotte de véhicules électriques, et plus spécifiquement l’élaboration de stratégies de chargement (quand les véhicules doivent se charger, quand remettre de l’électricité dans le réseau…). Ce sont des cas d’usage où il y a du calcul, des scénarios à évaluer, plus que de l’analyse de données en tant que telle.
“À l’échelle de l’Union européenne, c’est en France que les start-up hardware sont les plus nombreuses pour le quantum computing.”
Quel est le rôle de Quantonation dans cette filière en développement ?
Quantonation est un fonds d’investissement qui investit dans les start-up développant des technologies quantiques, en amorçage, au début de leur vie, entre leur création et les quatre ou cinq premières années. Nous sommes le premier fonds dans le monde à s’être spécialisé dans ce secteur, et nous sommes les plus gros investisseurs en early stage à ce stade.
Votre entreprise est de création récente. Comment avez-vous grandi ?
Il y a eu plusieurs étapes : entre 2018 et 2021, nous avons fait douze investissements à travers un premier véhicule Quantonation SAS, puis nous nous sommes convertis en fonds d’investissement stricto sensu en début d’année 2021, avec une première levée de fonds de 25 millions d’euros au mois de mars, et un objectif de clôture au-delà de 60 millions que nous attendons tout début 2022. Le fonds est déjà bien doté pour traiter du early stage et nous poursuivons nos investissements dans de nombreuses entreprises.
Quelle est la part de l’international dans vos investissements ?
Nous sommes un fonds qui a la particularité de pouvoir investir partout dans le monde, avec une proportion actuellement de 20 % en Amérique du Nord, et plus des trois quarts en Europe. La France n’est pas un pays à la traîne, bien au contraire ! L’année 2021 va être record pour l‘investissement dans les start-up du quantique, en passant à près de 3 milliards d’euros. Pour l’instant, c’est vrai que beaucoup de projets viennent des USA. Mais même si les sociétés ont chez nous démarré un petit peu plus tard, nous avons de belles pépites, qui lèvent des montants importants : par exemple la société Pasqal a levé 25 millions d’euros au mois d’avril. Nous avons eu un peu de retard sur la création des start-up mais nous sommes en phase de rattrapage, avec d’ailleurs beaucoup d’entreprises créées par des anciens polytechniciens : Pasqal, Alice&Bob, C12, Quandela par exemple. Et à l’échelle de l’Europe, c’est en France que les start-up hardware sont les plus nombreuses pour le quantum computing.
Est-ce que l’État soutient activement cette technologie ?
La France a lancé en janvier 2021 la stratégie nationale quantique : plus d’un milliard et demi d’euros d’investissement sont prévus dans les prochaines années sur les technologies quantiques. La plupart du temps les start-up sont issues de la recherche publique, notamment du CNRS. Les acteurs publics sont mobilisés. Il y a des programmes de soutien, et la France est en pointe sur le financement des start up, surtout au niveau de l’amorçage. Mais il faut s’occuper de la suite, et accompagner la filière sur plusieurs années : nous sommes là sur le long terme. Notre horizon est à 10 ans.
Les grands acteurs industriels et technologiques ont commencé à investir ?
Quelques acteurs majeurs se sont mobilisés assez tôt et ont commencé à investir : Thales, Atos, Airbus, Total notamment. On en voit arriver des nouveaux, comme Air Liquide. Il y a certes des segments sur lesquels on est en retard, comme l’automobile, alors que l’Allemagne s’est mobilisée très fortement sur ce segment, mais la base industrielle demeure assez forte. Nous avons été pendant longtemps plus intéressés par la détection que par le calcul quantique, mais la situation est en train de changer : par exemple la filiale d’investissement du Crédit Agricole CACIB a commencé à travailler sur les applications de calcul quantique en finance. Les mentalités évoluent.
Quels sont pour vous les principaux enjeux actuels ?
En premier lieu, faire le closing du fonds début 2022. Au delà, il est également important pour nous de s’assurer que des sociétés se créent constamment : il faut qu’il y ait des projets en permanence, mobiliser les pouvoirs publics, faire sortir les technologies des laboratoires. Enfin, on sait aussi, notamment pour le hardware dans le calcul quantique, qu’il faudra des centaines de millions d’investissement par technologie, voire par start-up. Est-ce qu’on est capables d’aller vers ces hauteurs en Europe, en venture capital ? C’est une question. En tous cas, il va falloir trouver la bonne articulation entre le fait qu’il faut continuer à financer la recherche fondamentale – sinon nous n’aurons pas de beau projet à échelle internationale, – mais aussi la croissance des start-up. C’est sur toute la chaîne qu’il faut se mobiliser. Aujourd’hui la situation est bonne, mais nous devons veiller à ce que tout s’articule correctement dans les prochaines années.
Qu’est-ce qui reste à faire pour continuer à développer le secteur ?
Le challenge qui reste, c’est que nous n’avons pas encore atteint l’avantage commercial avec le calcul quantique : les entreprises n’utilisent pas encore en routine l’ordinateur quantique pour des applications. Les technologies sont en train de passer à l’échelle, mais ne sont pas encore suffisamment matures pour donner un avantage par rapport à un ordinateur classique dans un vrai cas d’usage pratique. Il faut arriver à articuler l’investissement, mobiliser les industriels, dans une phase où l’environnement reste encore un peu incertain.
Nous avons réussi à construire en France le fonds leader sur la partie amorçage, avec seize investissements. C’est un beau succès, d’autant que nous nous sommes lancés en 2018 à un moment où les gens n’en parlaient quasiment pas. Nous avons développé une grande expertise technique, et nous soutenons pleinement les politiques publiques pour faire avancer le quantique. Il n’est pas trop tard pour se lancer ! Nous avons besoin de nouveaux projets, d’étudiants, de laboratoires, de chercheurs, d’entrepreneurs, et de chercheurs qui s’associent avec des entrepreneurs pour faire émerger des projets. La dynamique est là, tous les indicateurs nous encouragent à développer en France et en Europe une industrie sur les technologies quantiques.
En bref
Leader mondial des fonds d’investissements dans les technologies quantiques, Quantonation a 16 investissements dans des start-up.