TotalEnergies est titulaire d’une concession d’usage de la centrale de Plate-Taille (pompage-turbinage de 140 MW en Belgique) depuis 2014. © FT Province de Namur

Investir dans l’hydroélectricité

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Antoine TOUSSAINT (X01)

Tota­lE­ner­gies est un indus­triel his­to­rique du pétrole et du gaz, mais le défi de la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique l’a ame­né à prendre le virage des éner­gies renou­ve­lables avec un grand volon­ta­risme. L’hydroélectricité est dans ce contexte une com­po­sante impor­tante de sa stra­té­gie d’investissement. Les pre­miers résul­tats sont pro­met­teurs, mal­gré les dif­fi­cul­tés liées au mar­ché de ce sec­teur. L’entreprise dis­pose grâce à son expé­rience de conduite des grands pro­jets d’atouts déter­mi­nants pour l’avenir de cette politique.

Le 12 décembre 2015, l’Accord de Paris était adop­té par les 195 États de la conven­tion-cadre des Nations unies sur les chan­gements cli­ma­tiques. S’inscrivant dans une his­toire de négo­cia­tions inter­nationales sur le cli­mat, il est, après le pro­to­cole de Kyo­to, un nou­veau jalon majeur de l’action cli­ma­tique inter­na­tio­nale parce qu’il contraint les pays signa­taires à main­te­nir la mon­tée de la tem­pé­ra­ture moyenne mon­diale sous 2 °C et leur enjoint de pour­suivre des efforts pour limi­ter cette hausse à 1,5 °C. En par­ti­cu­lier, il impose de réa­li­ser des plans d’actions cli­ma­tiques qui, col­lec­ti­ve­ment, doivent per­mettre d’atteindre cet objectif. 

Ce méca­nisme conduit à défi­nir des plans d’actions natio­naux qui, à leur tour, irriguent les déci­sions publiques notam­ment dans le sec­teur de l’électricité. Aujourd’hui, de nom­breux pays dis­posent ain­si de plans Net Zéro à diverses échéances (Europe, USA : 2050 ; Chine : 2060 ; Inde : 2070…) et déve­loppent des plans inter­mé­diaires et spé­ci­fiques pour le sec­teur de l’électricité, typi­que­ment aux échéances 2030 ou 2035.

La nécessaire mutation des énergéticiens

Les poli­tiques publiques induisent des inves­tis­se­ments signi­fi­ca­tifs dans les éner­gies renou­ve­lables (essen­tiel­le­ment solaire et éolien) en dic­tant le rythme de ces déploie­ments qui est esti­mé, pour la décen­nie qui arrive, à envi­ron 10 % sup­plé­men­taires par an. Ces inves­tis­se­ments sont flé­chés par le biais de méca­nismes de sou­tien (éolien ter­restre et mari­time, solaire) et sont por­tés par des déci­sions poli­tiques (renou­veau ou sor­tie du nucléaire, sup­pres­sion des cen­trales à charbon).

Ces poli­tiques impliquent des évo­lu­tions régu­la­toires sur le mar­ché du CO₂ et les mar­chés élec­triques. Elles ont aus­si impul­sé des évo­lu­tions tech­no­lo­giques et éco­no­miques ren­for­cées par la com­pé­ti­tion entre les acteurs éco­no­miques (baisse des coûts et amé­lio­ra­tion des per­for­mances notam­ment pour les éoliennes, les pan­neaux solaires et les bat­te­ries). La résul­tante de ces forces impacte la demande via une élec­tri­fi­ca­tion des usages, dans des pro­por­tions et une dyna­mique qu’il est cepen­dant dif­fi­cile d’anticiper à long terme.

Consé­quence de ces prin­ci­paux chan­ge­ments (d’autres fac­teurs inter­viennent, comme l’évolution des prix du gaz ou bien encore l’importance crois­sante de la numé­ri­sa­tion et de l’IA), l’ensemble des acteurs du mar­ché de l’électricité opèrent depuis plu­sieurs années une néces­saire muta­tion et la font d’autant plus rapi­de­ment que ceux-ci s’accélèrent. Une dyna­mique qui ne doit cepen­dant pas faire oublier que la muta­tion du sys­tème élec­trique se réa­li­se­ra sur un temps long (plu­sieurs décen­nies), à l’instar de la vie utile des ouvrages et des équi­pe­ments qui le consti­tuent. Par ailleurs, pour les éner­gé­ti­ciens, les défis sont nom­breux afin de concré­ti­ser de tels chan­ge­ments. Citons-en deux seulement.

Le défi de l’investissement

Pre­miè­re­ment, les déci­sions d’investissement. Quels que soient les actifs pour les­quels des déci­sions sont prises, ces der­nières sont ren­dues très com­plexes par l’incertitude sur l’évolution des prix, d’autant plus que ces inves­tis­se­ments se jus­ti­fient typi­que­ment sur plu­sieurs décen­nies. Les années récentes ont mon­tré à quel point ces évo­lu­tions pou­vaient être fortes, et par­fois dif­fi­ci­le­ment prévisibles. 

À long terme, les prix seront struc­tu­rel­le­ment plus « dis­per­sés » que les prix actuels, du fait de la part crois­sante des renou­ve­lables. D’une part leur coût mar­gi­nal (nul) tire­ra de plus en plus fré­quem­ment le prix du mar­ché vers le bas lorsque les renou­velables pro­duisent toute l’électricité consom­mée ; d’autre part cer­taines heures devien­dront plus chères qu’actuellement, du fait de l’intervention de moyens de pointe à fort coût mar­gi­nal, comme des cen­trales consom­mant du e‑gaz (hydro­gène ou méthane). 

Cette dyna­mique de dis­per­sion sera cepen­dant contre­ba­lan­cée en par­tie par l’action des moyens de sto­ckage d’énergie, appe­lés à aug­men­ter signi­ficativement dans le futur. En effet ceux-ci s’alimentent des écarts de prix et, ce fai­sant, par­ti­cipent à les réduire. La pré­vi­sion de ces effets et contre-effets se révèle donc un exer­cice très délicat.

Centrale hydroélectrique de Miage (Haute-Savoie), 3 MW, type « fil de l’eau », mise en service par TotalEnergies en 2024.
Cen­trale hydro­élec­trique de Miage (Haute-Savoie), 3 MW, type « fil de l’eau », mise en ser­vice par Tota­lE­ner­gies en 2024.

Le défi de la flexibilité

Deuxiè­me­ment, un besoin accru de flexi­bi­li­té. Néces­saire contre­par­tie à la crois­sance des éner­gies inter­mit­tentes, on doit y répondre de plu­sieurs manières. D’abord en l’atténuant grâce à l’augmentation des capa­ci­tés de trans­mis­sion et d’interconnexion des réseaux ; ce qui relève prin­ci­pa­le­ment de l’action des ges­tion­naires de réseaux. Ensuite, en tra­vaillant sur le pilo­tage d’une par­tie de la demande. Enfin, en déve­lop­pant des actifs flexibles, tels que les cen­trales à gaz, les cen­trales hydro­élec­triques pilo­tables ou encore des actifs capables de sto­cker l’énergie pro­duite alors que la demande est faible – sys­tèmes de sto­ckage d’énergie par bat­te­rie ou cen­trales de pom­page-tur­bi­nage ; autant d’actions dans le péri­mètre des énergéticiens.

TotalEnergies dans l’électricité

La muta­tion décrite ci-avant est en marche pour Tota­lE­ner­gies : elle se conduit à double titre, car ses acti­vi­tés sont his­to­ri­que­ment celles d’une entre­prise de l’industrie Oil & Gas qui, depuis une dizaine d’années, porte l’ambition forte et struc­tu­rée de deve­nir un mul­ti-éner­gé­ti­cien majeur à l’échelle globale. 

Pion­nier par­mi ses pairs, Tota­lE­ner­gies est entré dans le monde des élec­tri­ciens a eu lieu en 2016 avec la créa­tion d’une nou­velle branche dédiée aux métiers du gaz et de l’électricité (GRP : Gas, Rene­wable & Power). L’objectif de cette trans­for­ma­tion est de répondre à une triple contrainte qui s’impose à tous les éner­gé­ti­ciens enga­gés dans la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et qui découle du contexte rap­pe­lé en intro­duc­tion : satis­faire en éner­gie les besoins d’une popu­la­tion plus nom­breuse, de manière sûre et abor­dable ; pro­po­ser cette éner­gie via un mix de plus en plus décar­bo­né ; et accom­pa­gner les clients vers une uti­li­sa­tion tou­jours plus res­pon­sable de l’énergie.

L’ampleur de la trans­for­ma­tion requise se mesure à l’aune de l’ambition d’atteindre, ensemble avec la socié­té, la neu­tra­li­té car­bone en 2050 : un défi tout aus­si ardu nous attend tous. Pour fixer les idées, à cet hori­zon, 50 % de l’énergie pro­duite par la com­pa­gnie le serait sous forme élec­trique, soit ~500 TWh/an. Cela sup­po­se­rait un déve­lop­pe­ment de ~400 GW de capa­ci­tés brutes renou­ve­lables et des capa­ci­tés de sto­ckage cor­res­pon­dantes. Le reste pro­vien­drait pour un quart de molé­cules éner­gé­tiques bas car­bone et un quart via des com­bus­tibles fos­siles (essen­tiel­le­ment du gaz). Des solu­tions de cap­tage du CO₂ per­met­traient d’atteindre la neutralité.

Une ambition notable

Par essence plus ouverts aux acteurs pri­vés, les mar­chés élec­triques dits déré­gu­lés (USA, Europe de l’Ouest, mais aus­si Inde, Bré­sil…) forment le socle prio­ri­taire du déve­lop­pe­ment de la com­pa­gnie autour des métiers de l’électricité. Afin de créer un modèle éco­no­mique avec une forte ren­ta­bi­li­té sur ces mar­chés, l’approche sui­vie vise à répli­quer ce qui a fait le suc­cès de Tota­lE­ner­gies dans l’Oil & Gas. Les élé­ments clés d’une telle approche consistent à se posi­tion­ner en tant qu’acteur inté­gré sur toute la chaîne de valeur de l’électricité, à déve­lop­per des actifs au meilleur coût, à s’assurer des capa­ci­tés de tra­ding par les­quelles une par­tie de la pro­duc­tion est « expo­sée » aux mar­chés, et enfin à accroître la maî­trise com­mer­ciale pour pro­po­ser des offres attrac­tives aux clients (B2B et B2C).

D’ici 2030, une ambi­tion de 100 GW de puis­sance ins­tal­lée et de 100 TWh de pro­duc­tion nette (qui repré­sen­te­ront jusqu’à 20 % de l’énergie pro­duite à cette échéance) struc­ture les acti­vi­tés de la branche (figure 1). Cela sera majo­ri­tai­re­ment atteint par des actifs solaire et éolien (onshore & off­shore). L’électricité pro­duite via ces actifs décar­bo­nés, par nature inter­mit­tente et variable, sera alors com­plé­tée par des actifs flexibles (aujourd’hui majo­ri­tai­re­ment des CCGT, com­bi­ned cycle gas tur­bine) qui seront opé­rés afin de four­nir une éner­gie sûre et constante aux clients.

Figure 1 : évolution prévisionnelle du parc de production de TotalEnergies (solaire, éolien, stockage), en gigawatts.
Figure 1 : évo­lu­tion pré­vi­sion­nelle du parc de pro­duc­tion de Tota­lE­ner­gies (solaire, éolien, sto­ckage), en gigawatts.

Sur ces 100 GW, envi­ron 10 % devrait cor­res­pondre à des actifs flexibles et de sto­ckage : bat­te­ries élec­triques et… hydroélectricité.

TotalEnergies dans l’hydroélectricité

Ces évo­lu­tions jus­ti­fient tout l’intérêt por­té à l’hydroélectricité : d’une part, une usine hydro­élec­trique peut opé­rer et pro­duire de manière flexible (modu­lo la taille du réser­voir et les contraintes d’exploitation qui s’imposent à elle) et, d’autre part, l’hydroélectricité est actuel­le­ment la seule tech­no­lo­gie mature pour assu­rer un sto­ckage de longue durée de l’électricité (en notant que les bat­te­ries font l’objet de pro­grès spec­ta­cu­laires depuis une dizaine d’années). Afin de réa­li­ser de tels déve­lop­pe­ments dans les pays pré­ci­tés, deux voies sont pos­sibles : acqué­rir des ouvrages exis­tants ou par­ti­ci­per à leur déve­lop­pe­ment. L’exercice de l’acquisition est ren­du com­plexe, car l’offre est faible et la com­pé­ti­tion éle­vée pour ces actifs que beau­coup sou­haitent acqué­rir ou ren­for­cer dans leur por­te­feuille. Le cas échéant, ils par­ti­ci­pe­ront à concré­ti­ser la stra­té­gie expo­sée plus haut et feront l’objet de tra­vaux de moder­ni­sa­tion voire d’extension pour géné­rer de la valeur addi­tion­nelle. C’est la voie prin­ci­pale actuel­le­ment suivie.

Le déve­lop­pe­ment de nou­veaux actifs est l’autre voie explo­rée car elle per­met­trait, à plus long terme, de se doter de nou­velles capa­ci­tés, essen­tiel­le­ment de pom­page-tur­bi­nage. En effet, en Europe de l’Ouest et aux USA, le déve­lop­pe­ment de pro­jets hydro­élec­triques conven­tion­nels sera très limi­té, comme illus­tré dans d’autres articles de ce dos­sier, la situa­tion étant dif­fé­rente dans d’autres géo­gra­phies où Tota­lE­ner­gies est actif dans l’hydroélectricité comme le Bré­sil, l’Inde, le Mozam­bique ou l’Ouganda (cf. infra). Déve­lop­per de telles cen­trales sera difficile.

« L’hydroélectricité est actuellement la seule technologie mature pour assurer un stockage de longue durée de l’électricité. »

On appli­que­ra les cri­tères les plus exi­geants aux diverses phases de déve­lop­pe­ment des ouvrages envi­sa­gés (notam­ment ceux de l’Inter­na­tio­nal Finance Cor­po­ra­tion et de l’Hydro­po­wer Sus­tai­na­bi­li­ty Stan­dard) pour atteindre les meilleurs stan­dards socioen­vi­ron­ne­men­taux. Dans le même temps, on devra conci­lier des pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment longs, des coûts d’investissement très éle­vés et une incer­ti­tude forte sur les revenus.

Par­ti­cu­la­ri­té des ouvrages de pom­page-tur­bi­nage, leurs reve­nus seront domi­nés par l’écart entre les prix les plus faibles (au moment où l’on pompe) et les prix les plus forts (au moment où l’on pro­duit de l’électricité), ce qui implique de savoir bien anti­ci­per non seule­ment l’évolution des prix moyens, mais sur­tout leurs varia­tions horaires et même infra­ho­raires. Des évo­lu­tions régu­la­toires, déjà évo­quées dans ce dos­sier pour cer­tains pays (Israël, Inde…), pour­raient conduire à réduire tout ou par­tie de ce risque majeur, par ailleurs ren­for­cé par la mise en ser­vice crois­sante de sys­tèmes de sto­ckage par bat­te­rie dont les coûts (au méga­watt) et les temps de déve­lop­pe­ment sont plus favo­rables d’un strict point de vue économique.

C’est actuel­le­ment le che­min que prennent nos voi­sins anglais avec la mise en place annon­cée d’un méca­nisme de cap & floor, qui devrait sou­te­nir la filière de sto­ckage « long », un sou­tien qui ne sera pas limi­té aux pro­jets de pom­page-tur­bi­nage. Son prin­cipe géné­ral est d’assurer un reve­nu mini­mal à l’investisseur (floor) tout en limi­tant son gain à un niveau rai­son­nable (cap). Le régu­la­teur (Ofgem) pré­voit de publier une note tech­nique fixant tous les détails très pro­chai­ne­ment et vise à approu­ver une pre­mière série de pro­jets d’ici le milieu de l’année prochaine.

Barrage de Cahora Bassa sur le fleuve Zambèze, à l’ouest du Mozambique.
Bar­rage de Caho­ra Bas­sa sur le fleuve Zam­bèze, à l’ouest du Mozam­bique. © bru­no / Adobe Stock

Des premiers résultats prometteurs

À la fin de l’année 2024, deux ans après avoir étu­dié le sujet acti­ve­ment, l’empreinte de Tota­lE­ner­gies dans le monde de l’hydroélectricité est logi­que­ment modeste mais, déjà, non négli­geable. En exploi­ta­tion sont opé­rés 19 MW en France, 33 MW au Por­tu­gal, 332 MW en Tur­quie via une joint ven­ture. À par­tir de 2025, le pro­jet Buja­ga­li (250 MW en Ougan­da) devrait s’ajouter à cette liste. Par ailleurs, le pro­jet Mphan­da Nku­wa (1500 MW sur le Zam­bèze, à l’aval de Caho­ra Bas­sa) est en cours de déve­lop­pe­ment sur le fon­de­ment d’un par­te­na­riat public-pri­vé avec EDF (lea­der) et Sumitomo.

D’autres pro­jets sont éga­le­ment à l’étude et cet ensemble contri­bue, en com­plé­ment de la stra­té­gie sur les mar­chés déré­gu­lés, à déve­lop­per des capa­ci­tés de géné­ra­tion renou­ve­lable dans les pays où la com­pa­gnie est implan­tée à long terme. L’hydroélectricité est ain­si deve­nue un nou­vel axe du déve­lop­pe­ment de Tota­lE­ner­gies, dans le cadre de sa stra­té­gie à l’horizon 2030 et à plus long terme (Net Zéro 2050). Pour rele­ver ce défi, ses forces seront son approche indus­trielle, sa capa­ci­té à nouer des par­te­na­riats stra­té­giques, sa maî­trise des pro­jets majeurs et com­plexes, sa forte capa­ci­té d’investissement et sa culture entre­pre­neu­riale du risque. Au sein de Tota­lE­ner­gies, les concepts d’amont et d’aval jusque-là reliés à ses acti­vi­tés his­to­riques connaissent ain­si une défi­ni­tion com­plé­men­taire avec la pour­suite de la crois­sance de la com­pa­gnie dans l’hydroélectricité !

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