IoT : Les réseaux sans fil à bas débit, une technologie de la sobriété
L’IoT est consommateur de ressources, comme toute technologie de pointe. Néanmoins les calculs économiques prouvent que les économies de ressources qu’il induit sont de loin supérieures à ses coûts. Les acteurs notamment privés sont incités à l’utiliser en raison de sa rentabilité financière, mais c’est sur un plan collectif que l’économie de ressources présente un intérêt majeur. Cela ne dispense pas d’optimiser l’utilisation de l’IoT lui-même.
Il peut sembler provocateur d’associer technologie et sobriété, puisque nous imaginons facilement une production à forte croissance lorsqu’il s’agit de l’Internet des objets. Nous allons pourtant démontrer que ces technologies de réseaux à bas débit ont pour application principale d’accompagner la sobriété, en permettant la réduction de l’utilisation des ressources naturelles et de l’énergie. Par ailleurs, contrairement aux gains concernant l’efficacité d’une machine, cette réduction de la consommation de ressources, au niveau du système dans son ensemble, n’entraîne pas d’effet rebond direct. En analysant des éléments du cycle de vie de ces machines, nous pouvons vérifier qu’il en résulte des gains réels et mettre en évidence que ces économies de ressources peuvent être monétisées de diverses façons, et produire de nouveaux modèles d’affaires.
Une croissance du secteur moins rapide que prévu
L’Internet des objets connaît, depuis une dizaine d’années, une croissance soutenue, néanmoins nettement inférieure aux prévisions. Nous imaginions que cette technologie serait adoptée avec la même rapidité que la téléphonie mobile, puis les smartphones, avec des volumes plus élevés : il y a en effet bien plus d’objets que d’êtres humains. Nous constatons pourtant que nous sommes bien loin de ces dizaines de milliards d’objets connectés ou encore d’une numérisation complète du monde. Les raisons de cette adoption limitée peuvent s’expliquer à partir des applications : la majorité d’entre elles concernent des produits ou des services déjà existants, qu’un capteur connecté vient seulement compléter. En d’autres termes, le capteur n’existe pas pour lui-même, ce qui est un premier facteur limitant. D’autre part, lors d’un déploiement l’objectif principal est une réduction des coûts, souvent grâce à une limitation des pertes. Ce déploiement s’accompagne d’un changement des méthodes de travail et des processus de l’entreprise. Ainsi, l’utilisation de l’Internet des objets devient moins un progrès technique qu’un changement d’organisation. C’est là le second facteur limitant, car ce changement d’organisation prend du temps : la transformation numérique est d’abord… une transformation. Certaines applications induisent même un changement de modèle d’affaires, par exemple quand il s’agit de prévenir certains problèmes plutôt que de les corriger a posteriori, ou encore quand une partie des opérations est externalisée par du sensing as a service. De ce point de vue, l’Internet des objets est, et restera pour de nombreuses années encore, une discrète innovation de rupture.
Il n’y a pas d’effet rebond
On entend souvent que, du point de vue de l’utilisation des ressources naturelles, tout gain d’efficacité apporté par une technologie nouvelle finit par être annulé par l’effet rebond. L’effet rebond se définit comme une modification des usages, en réaction à une technologie plus efficace, qui peut aller jusqu’à accroître une consommation qu’on prétendait réduire. Il n’est ni systématique ni constant dans son ampleur, mais il est fréquent. Par exemple, quand une voiture plus efficace incite à des déplacements plus importants ou quand une meilleure isolation des logements induit in fine une augmentation de la consommation par la recherche de plus de confort. Dans les technologies d’Internet mobile, les gains d’efficacité énergétique (à débit constant) ne servent pas à réduire la consommation, mais plutôt à maintenir une qualité de service acceptable dans les terminaux et les réseaux, pour un usage fortement croissant. Dans le cas des réseaux sans fil à bas débit, la situation est très différente, puisque les cas d’usage sont orientés vers l’optimisation des coûts. La technologie IoT n’est pas adoptée pour elle-même, mais comme outil permettant d’améliorer un système. Comme ce sont des économies de ressources ou d’énergie qui sont recherchées, dans le but premier de réduire des coûts, on ne constate pas d’effet rebond direct.
Des exemples vertueux
Les exemples suivants sont assez significatifs. Ainsi, lorsque l’on met en place un système permettant de détecter les fuites d’eau dans le réseau grâce à des compteurs connectés pour économiser 8 % de l’eau potable produite, ce gain en particulier n’incitera pas à plus de consommation ni à plus de gaspillage. Dans le domaine de l’eau toujours, si des capteurs de fuite permettent d’éviter ou de limiter les dégâts, l’assurance devient moins chère (les dégâts des eaux sont la première cause de dommage), mais les assurés ne vont pas pour autant souscrire à une seconde assurance. Dans l’industrie, la maintenance prédictive ou préventive permet de réduire les coûts de remplacement, mais elle n’incitera pas à renouveler plus souvent les machines, ce qui rendrait l’investissement dans cette technologie sans objet. Lorsqu’on optimise l’utilisation de l’espace dans un bâtiment tertiaire grâce à des capteurs de présence, l’objectif est de réduire la surface de bureaux utilisée, pas de construire de nouveaux bâtiments. Dans une ville, des capteurs peuvent, de la même façon, permettre d’offrir un service de parking équivalent avec moins de surface mobilisée. Dans l’élevage bovin, des capteurs permettent d’améliorer assez significativement la santé des veaux, ce qui induit une réduction de la taille des cheptels pour une production égale. D’une façon générale, on ne peut améliorer que ce que l’on mesure et, quand des capteurs sont installés pour atteindre un objectif d’optimisation ou de sobriété, on évite l’effet rebond. Enfin, quand les capteurs déployés permettent de protéger l’environnement, par exemple contre des feux de forêt ; s’il y a un effet rebond, il est plutôt positif.
Considérer les coûts complets
Une autre critique fréquente – et justifiée – de la technologie IoT est l’existence de coûts cachés, d’externalités négatives, d’énergie grise. À l’heure où s’amplifient les alertes quant à l’urgence de la transition écologique, la raison suggère de réaliser une analyse coût-bénéfice objective avant tout déploiement d’IoT, dès la phase de conception. Concernant des bénéfices, il faut bien faire la distinction entre les bénéfices réels et les bénéfices projetés. Une analyse prudente se fondera uniquement sur les bénéfices certains, c’est-à-dire l’utilité économique mesurable. Du côté des coûts, il faut considérer les coûts complets, et pas uniquement les coûts d’investissement. Il est donc important d’intégrer les coûts de maintenance, de mise à niveau et également ceux liés à la fin de vie et au recyclage. Lorsqu’on détermine les « coûts et bénéfices », il convient de raisonner non seulement en termes financiers, mais également en matière d’impacts environnementaux, notamment vis-à-vis de l’énergie, en GES et en eau, voire pour les projets les plus importants sur l’ensemble des axes de l’analyse du cycle de vie. Les coûts d’étude, eux-mêmes, doivent être intégrés, d’autant plus que le foisonnement de nouveaux objets a pour conséquence directe une accumulation de coûts fixes, pour des projets qui n’auront pas tout le succès escompté : l’amortissement de ces coûts fixes n’est donc pas une certitude.
Un exemple de calcul de rentabilité dans le bâtiment
Pour illustrer l’importance de l’analyse coûts-bénéfices et se donner des ordres de grandeur, on peut étudier le cas d’un bâtiment tertiaire, équipé dans le but de réduire la consommation d’énergie. En moyenne, en Europe, cette consommation d’énergie a pour bilan une émission de GES équivalant à 34 kg par an et par mètre carré. Les puces électroniques ont un facteur d’émission monétaire de 120 g de CO2 équivalent par euro. On compte environ 5 € de composants dans un capteur simple, soit 600 g, auxquels il faut ajouter une carte électronique, la fabrication, le boîtier (600 g) et, par exemple, 2 piles AA (2 x 100 g). En ajoutant conception, transport et déploiement, on peut estimer que l’impact d’un capteur est inférieur à 2 kg. Sera déployé environ 1 capteur de présence ou de température pour 10 mètres carrés, soit un investissement en CO2 équivalant à 200 g par mètre carré. Si les mesures ou les alarmes fournies par les capteurs permettent d’économiser 5 % sur les consommations d’énergie, ce qui est assez pessimiste, car les potentiels de réductions sont en réalité plus importants, alors le retour sur investissement CO2 ne sera que de 40 jours.
Quelques bonnes pratiques pour améliorer le ratio coût-bénéfice :
- intégrer systématiquement la perte d’équipements dans les scénarios d’usage et prévoir la résilience des algorithmes d’usage des données, afin de ne pas envoyer des équipes de maintenance sur le terrain au premier équipement perdu ;
- privilégier la maintenance préventive et prédictive, afin d’en rendre certain le coût et de l’intégrer sereinement dans l’analyse ;
- préférer une gestion par cohortes homogènes, pour maximiser l’exploitation des données.
Un autre exemple, dans l’élevage
Toujours pour avoir des ordres de grandeur, observons l’impact de la prévention des maladies dans l’élevage laitier. Les maladies chez les veaux impactent de manière importante les finances des exploitations, ce qui motive leur prévention. En France, la mortalité avant 6 mois est de 13 % en moyenne. De plus les maladies respiratoires, avec une incidence de 20 %, entraînent souvent un retard de croissance qui impacte la production de lait et raccourcit la carrière des vaches, réformées après un ou deux vêlages seulement. On peut faire correspondre à ces pertes un impact sur les émissions de GES : 1 500 litres de lait par vache ne seront pas produits, sachant que le bilan carbone de la production de lait est d’environ 1 kg d’équivalent CO2 par litre. Par ailleurs le bilan carbone d’un veau est d’environ 4 t, qu’il produise ensuite ou non. La prévention de ces maladies utilise la vaccination et une attention régulière. Un capteur de température ingéré permet de détecter précisément et précocement les maladies, afin de les traiter correctement. Un tel capteur coûte environ 30 €, dont moins de 5 € d’électronique, et une pile de faible capacité, soit un bilan carbone aux environs de 1 kg. Pour que l’usage de tels capteurs soit rentable sur le plan des GES, il suffirait d’éviter les maladies graves chez un veau sur 1 000. Bien entendu, l’impact de la prévention est bien meilleur en réalité. Ici encore, la rentabilité économique va de pair avec une rentabilité sur les émissions de GES bien supérieure.
Nécessité d’une planification
Imaginons une analyse qualitative de portée générale : dans chaque déploiement IoT qui cherche à faire des économies, les gains sont faits sur des postes différents des coûts. Il s’agit de substituer à de l’énergie et à des matières premières ou peu transformées des composants électroniques, des systèmes informatiques, des réseaux. Ces derniers (composants, systèmes, réseaux) sont des produits ayant subi beaucoup plus de transformations : à volume (prix) égal, leur contenu en matières premières est donc plus faible. Ainsi, si l’on peut trouver un gain financier, il existera également un gain sur les ressources, et celui-ci sera plus élevé. Finalement, les bilans des déploiements IoT, concernant des usages préexistants optimisés, sont systématiquement très positifs. La question qui se pose alors est la suivante : faut-il quantifier ces gains et les utiliser pour promouvoir le cas d’usage, au risque d’alourdir le bilan avec les efforts nécessaires à la réalisation de ces calculs ? Ou bien faut-il partir du principe que le bilan est systématiquement positif et qu’il n’est alors pas pertinent d’utiliser des ressources pour parvenir à une conclusion connue d’avance ? Le meilleur levier d’optimisation ne serait-il pas de limiter l’émergence de projets concurrents pour un cas d’usage donné, dans le but de limiter les coûts de projets qui n’aboutiront pas ? Dans certains cas, cela pourrait appeler une forme de planification par la puissance publique, afin de déplacer la compétition du déploiement vers la phase de conception.
De nouvelles formes de valorisation
Au-delà des gains économiques directs de l’optimisation des ressources, nous observons de nouvelles formes de valorisation. L’exemple des réseaux électriques permet d’illustrer les gisements de valeur exploitables pour l’IoT : rendre la consommation électrique d’un équipement modulable dans le temps, avec un horizon à la journée ou à la semaine, permet de faire émerger de nouveaux revenus, par l’arbitrage sur les prix de la fourniture ou de l’acheminement de l’électricité, par la participation aux mécanismes d’ajustement offre-demande, par la régulation rapide, avec des gisements de valeur aux échelles tant européenne que locale. Ce schéma suppose des objets qui prennent le contrôle de la consommation, avec une forte contrepartie en termes de sécurité.
Politiques publiques et politiques d’entreprises
Concernant l’électricité et dans le cas d’autres ressources critiques comme l’eau, les politiques publiques apportent une monétisation supplémentaire, par exemple aux États-Unis où l’Inflation Reduction Act va soutenir des investissements de transformation. Les incitations publiques peuvent prendre la forme de taxes sur le gaspillage, que des capteurs peuvent contribuer à réduire, et bien sûr de taxes carbone. Certains déploiements IoT peuvent profiter de crédits carbone, l’IoT ayant l’avantage de permettre une mesure objective des gains. Cette capacité à quantifier les résultats va permettre à certaines entreprises d’éviter les accusations de greenwashing et de préserver leur image de marque. Si, par exemple, une compagnie de distribution d’électricité est responsable de feux de forêt, le déploiement de capteurs de détection avancée lui permettra de démontrer une politique active de prévention, mais aussi de communiquer des chiffres précis concernant la réduction des risques.
Un effet positif sur les assurances
Grâce aux réseaux de capteurs, le secteur des assurances va connaître des évolutions dans deux domaines : une meilleure prévention et une meilleure mesure des dommages. Les capteurs permettent d’éviter ou de détecter plus tôt les problèmes (fuites, incendies, vols), ou encore d’étendre des garanties de machine grâce à la maintenance prédictive. Des capteurs peuvent également mesurer des dommages : récemment, dans l’agriculture, recours est fait à la mesure des conditions météorologiques précises et authentifiées, pour un calcul automatique et déterminé par contrat des indemnisations. On peut imaginer le même type de contrats, avec des données de température certifiées et opposables, pour des garanties de chaîne du froid. Enfin, la réduction des vols et une plus grande longévité des équipements entraînent une augmentation de la valeur produite : quand on risque moins de perdre son vélo, on peut investir dans une meilleure qualité.
Perspectives
En résumé, à travers les exemples donnés ici, nous voyons que les usages de l’IoT accompagnent la sobriété, les gains d’efficacité et les substitutions technologiques en cours. Les motivations des acteurs sont avant tout économiques, avec des gains environnementaux souvent nettement supérieurs aux gains financiers.
“L’IoT accompagne la sobriété.”
Les politiques publiques incitatives en faveur de l’environnement vont donc naturellement accélérer l’adoption des réseaux de capteurs, avec néanmoins une question de fond : l’usage en question doit-il être optimisé pour en accroître l’utilité ou disparaître pour cause de futilité ? De plus, la disponibilité des ressources naturelles et de l’énergie devient un facteur limitant de production, ce qui permet d’accorder une valeur plus élevée aux mesures d’économie et aux systèmes qui les assistent. Enfin, pour améliorer leur bilan, les capteurs vont progressivement devenir autonomes en énergie : les technologies de gestion de l’énergie et de collecte d’énergie sont prêtes au déploiement.