déclin industriel en France

It’s the Industry, stupid !

Dossier : Le mot du présidentMagazine N°799 Novembre 2024
Par Loïc ROCARD (X91)

On se sou­vient qu’à une époque la socié­té (patriar­cale) était divi­sée en trois, les bel­la­tores, les ora­tores et les labo­ra­tores. Cette der­nière caté­go­rie était en fait essen­tiel­le­ment com­po­sée des pay­sans, qui for­maient le bataillon très majo­ri­taire du géant démo­gra­phique qu’avait été la France de l’époque moderne. La révo­lu­tion de 89 et les révo­lu­tions indus­trielles ont fait adve­nir ensuite une socié­té struc­tu­rée et hié­rar­chi­sée non plus autour de la nais­sance mais autour du mérite et du tra­vail, non plus aux champs mais à la ville.

Le sec­teur indus­triel est pro­gres­si­ve­ment deve­nu essen­tiel en France, comme employeur et comme créa­teur de richesses. Jusqu’aux chocs pétro­liers il a connu au XXe siècle un essor conti­nu – en dehors de l’éclipse due à la Deuxième Guerre mon­diale. Au début des années 70 l’industrie repré­sen­tait pas loin de 40 % du pro­duit inté­rieur et la même pro­por­tion ou pas loin de la popu­la­tion active. 30 ans plus tard la part de l’industrie dans la richesse natio­nale avait été divi­sée par près de 2 et de nou­veau autant jusqu’aux années 2020, pour se situer aux alen­tours de 13 % aujourd’hui. La popu­la­tion agri­cole a qua­si­ment dis­pa­ru, la répar­ti­tion des effec­tifs entre les sec­teurs secon­daire et ter­tiaire est en gros 20 %-80 %.

Ce reflux indus­triel est une ten­dance de fond dont les déter­mi­nants sont connus : l’avènement des pays pro­duc­teurs à bas coûts, l’explosion du fret mari­time, l’attrait sous nos lati­tudes des emplois ter­tiaires répu­tés moins pénibles, et sou­vent ils le sont, sans comp­ter que la moi­tié de la popu­la­tion active – les femmes – se des­tine peu à l’industrie. L’auteur de votre édi­to fait par­tie de ceux qui pensent que la cote d’alerte est atteinte et qu’il serait temps d’inverser la courbe, comme dirait l’autre.

“Nos vieux points forts sont la science, la technique, l’ingénierie, la construction, l’innovation.”

C’est plus facile à dire qu’à faire et les plans d’investissement et autres mesures fis­cales et sociales ne sau­raient être que des faci­li­ta­teurs d’un redres­se­ment que les pou­voirs publics invoquent depuis long­temps main­te­nant (on se sou­vient du « minis­tère du Redres­se­ment pro­duc­tif » de 2012). Les auteurs des articles du dos­sier du mois nous convainquent que nous sommes à un moment cri­tique, celui d’un pos­sible rebond. Mais d’abord pour­quoi est-ce impor­tant de voir ces­ser notre déclin industriel ?

D’abord les capa­ci­tés indus­trielles concourent à une cer­taine auto­no­mie stra­té­gique natio­nale (mili­taire, éner­gé­tique, phar­ma­ceu­tique (!), dans la tran­si­tion éco­lo­gique…), filet de sau­ve­garde à ne pas négli­ger face à la marche inquié­tante du monde ; ensuite l’agriculture étant deve­nue un employeur mar­gi­nal, les usines per­mettent encore – moins qu’avant – d’habiter le vaste ter­ri­toire hexa­go­nal et donc d’assurer un rôle social essen­tiel ; enfin le sec­teur ter­tiaire est pour une large par­tie (et pas la moins pros­père) lié au sec­teur secon­daire. La France ne serait plus elle-même si elle se lais­sait deve­nir un pays musée.

Mais les usines qui sont par­ties ne revien­dront pas pour la plu­part. Il faut être com­pé­ti­tif pour main­te­nir des filières à flot, et capable de se trans­for­mer, et donc appuyer sur nos vieux points forts, la science, la tech­nique, l’ingénierie, la construc­tion, l’innovation. Ce qui nous ren­voie au pas­sage à un refrain connu : faites faire des maths et de la phy­sique à vos enfants et petits-enfants pour que le monde de demain leur appar­tienne, grâce à eux l’industrie et une cer­taine excel­lence fran­çaise y auront encore de beaux jours.

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