It’s the Industry, stupid !
On se souvient qu’à une époque la société (patriarcale) était divisée en trois, les bellatores, les oratores et les laboratores. Cette dernière catégorie était en fait essentiellement composée des paysans, qui formaient le bataillon très majoritaire du géant démographique qu’avait été la France de l’époque moderne. La révolution de 89 et les révolutions industrielles ont fait advenir ensuite une société structurée et hiérarchisée non plus autour de la naissance mais autour du mérite et du travail, non plus aux champs mais à la ville.
Le secteur industriel est progressivement devenu essentiel en France, comme employeur et comme créateur de richesses. Jusqu’aux chocs pétroliers il a connu au XXe siècle un essor continu – en dehors de l’éclipse due à la Deuxième Guerre mondiale. Au début des années 70 l’industrie représentait pas loin de 40 % du produit intérieur et la même proportion ou pas loin de la population active. 30 ans plus tard la part de l’industrie dans la richesse nationale avait été divisée par près de 2 et de nouveau autant jusqu’aux années 2020, pour se situer aux alentours de 13 % aujourd’hui. La population agricole a quasiment disparu, la répartition des effectifs entre les secteurs secondaire et tertiaire est en gros 20 %-80 %.
Ce reflux industriel est une tendance de fond dont les déterminants sont connus : l’avènement des pays producteurs à bas coûts, l’explosion du fret maritime, l’attrait sous nos latitudes des emplois tertiaires réputés moins pénibles, et souvent ils le sont, sans compter que la moitié de la population active – les femmes – se destine peu à l’industrie. L’auteur de votre édito fait partie de ceux qui pensent que la cote d’alerte est atteinte et qu’il serait temps d’inverser la courbe, comme dirait l’autre.
“Nos vieux points forts sont la science, la technique, l’ingénierie, la construction, l’innovation.”
C’est plus facile à dire qu’à faire et les plans d’investissement et autres mesures fiscales et sociales ne sauraient être que des facilitateurs d’un redressement que les pouvoirs publics invoquent depuis longtemps maintenant (on se souvient du « ministère du Redressement productif » de 2012). Les auteurs des articles du dossier du mois nous convainquent que nous sommes à un moment critique, celui d’un possible rebond. Mais d’abord pourquoi est-ce important de voir cesser notre déclin industriel ?
D’abord les capacités industrielles concourent à une certaine autonomie stratégique nationale (militaire, énergétique, pharmaceutique (!), dans la transition écologique…), filet de sauvegarde à ne pas négliger face à la marche inquiétante du monde ; ensuite l’agriculture étant devenue un employeur marginal, les usines permettent encore – moins qu’avant – d’habiter le vaste territoire hexagonal et donc d’assurer un rôle social essentiel ; enfin le secteur tertiaire est pour une large partie (et pas la moins prospère) lié au secteur secondaire. La France ne serait plus elle-même si elle se laissait devenir un pays musée.
Mais les usines qui sont parties ne reviendront pas pour la plupart. Il faut être compétitif pour maintenir des filières à flot, et capable de se transformer, et donc appuyer sur nos vieux points forts, la science, la technique, l’ingénierie, la construction, l’innovation. Ce qui nous renvoie au passage à un refrain connu : faites faire des maths et de la physique à vos enfants et petits-enfants pour que le monde de demain leur appartienne, grâce à eux l’industrie et une certaine excellence française y auront encore de beaux jours.