Itzhak PERLMAN : Une vie
Parvenu, comme on dit, à l’automne de sa vie, et même s’il est encore plein de projets, un artiste se doit de se retourner et de mesurer le chemin parcouru. Et il éprouvera, selon le cas, satisfaction, fierté, regrets, etc.
© PETER ADAMIK LICENSED TO WARNER CLASSICS
Pour un interprète, ses enregistrements constituent des preuves ineffaçables sur lesquelles, avant d’être jugé par la postérité, il se jugera lui-même.
Itzhak Perlman a 70 ans cette année. Warner réédite les enregistrements réalisés pour EMI, Erato et Teldec : 59 volumes dont certains de 2 ou 3 CD, 550 œuvres, grandes et petites, de 110 compositeurs de Bach à Chostakovitch. Aucun violoniste n’a autant enregistré, ni Menuhin, ni Heifetz, ni Oïstrakh.
Devant une telle somme, on se sent d’abord écrasé et sceptique : certes, Perlman est un des très grands violonistes contemporains. Mais y a‑t-il une unité entre ces interprétations ? Qu’est-ce qui distingue Perlman des autres grands interprètes des XXe-XXIe siècles ? En quoi est-il unique ?
Tout d’abord, on note l’extraordinaire concentration de ses enregistrements sur les œuvres majeures du répertoire, avec aussi quelques raretés :
- Bach : les quatre Concertos (y compris pour violon et hautbois) et l’intégrale des Sonates et Partitas pour violon seul ;
- Vivaldi : Les Quatre Saisons et quatre des Concertos pour violon ;
- Mozart : le Concerto n° 3 ;
- Beethoven : le Concerto, les deux Romances, le Triple Concerto (avec Yo-Yo Ma et Barenboïm), l’intégrale des Trios avec piano (avec Ashkenazy et Lynn Harrell) et celle des Trios à cordes, œuvres de jeunesse peu jouées (avec Pinchas Zukerman à l’alto et Lynn Harrell), la Sonate à Kreutzer (avec Argerich) ;
- Brahms : le Concerto, le Double Concerto (avec Rostropovitch), l’intégrale des Trios avec piano et des Sonates et les Danses hongroises (avec Ashkenazy et Lynn Harrell pour les Trios) ;
- le Concerto de Mendelssohn, les Concertos n° 1 et 2 de Max Bruch (le second très rarement joué) ;
- Paganini : le Concerto n° 1 et les 24 Caprices ;
- Tchaïkovski : le Concerto et la Sérénade mélancolique, le Trio avec piano « à la mémoire d’un grand artiste » (avec Ashkenazy et Lynn Harrell) ;
- les Concertos de Dvorak, de Glazounov, de Goldmark ;
- les deux Concertos de Wieniawski, les Concertos 4 et 5 de Vieuxtemps – des raretés ;
- les Concertos de Sibelius, de Korngold, de Conus (autre rareté) ;
- les Concertos de Prokofiev (les deux), de Khatchatourian, de Chostakovitch le Concerto n° 1, le n° 2 de Bartok ;
- les rares Concertos de Castelnuovo- Tedesco et de Ben-Haïm ;
- de nombreuses pièces de musique de chambre : la Sonate de Franck (avec Argerich), les Duos de Bartok (les 44), Prokofiev, Chostakovitch (avec Zukerman), le Divertimento et la Suite italienne de Stravinski (versions originales piano-violon du Baiser de la fée et de Pulcinella), 4 CD de pièces de Kreisler ;
- et de nombreuses pièces qu’il serait trop long de citer ici, notamment de jazz avec André Prévin et de musique klezmer.
Nombre de ces enregistrements sont considérés comme des modèles absolus par les grands violonistes de la nouvelle génération comme Renaud Capuçon ou Maxime Vengerov.
Mais, au-delà de ce rôle de gourou du violon moderne, que Perlman ne revendique nullement, de toutes ces interprétations, qui s’étagent sur plusieurs dizaines d’années, se dégagent une incroyable unité et une constante. Bien sûr la technique est transcendante, mais pratiquement tous les violonistes d’aujourd’hui possèdent une technique parfaite.
Ce sont les couleurs d’une palette infinie, la chaleur du son et la sérénité de son jeu qui le rendent unique, quelle que soit l’œuvre jouée.
Pas de recherche de l’« épate » dans les pièces virtuoses, pas de vibrato excessif à la tzigane pour solliciter l’auditeur : le langage universel d’un homme tendre, chaleureux et généreux qui s’adresse à d’autres hommes et leur communique le bonheur de la musique.
Au total, Itzhak Perlman peut être content de son bilan : il aura consacré sa vie à rendre les autres heureux.