Jacques Delacour (45), 1924–2003
On m’a demandé d’écrire cette notice à la mémoire de Jacques Delacour, décédé le 22 mars 2003. D’où me vient cet honneur ?
Bien que d’une promotion voisine de la sienne, je ne le connaissais pas beaucoup, ne l’ayant guère rencontré qu’une dizaine de fois dans ma vie et ne connaissant pas personnellement sa famille. Mais chacune de ces rencontres m’a laissé un souvenir inoubliable : celui qui naît de propos échangés en parfaite transparence, où chacun ouvre à l’autre le fond de son cœur. C’est ainsi que je crois pouvoir dire que nous étions profondément amis, de cette amitié qui naît d’une parfaite compréhension mutuelle.
Jacques DELACOUR et René NAVARRE, fondateur de l’IFP, en visite au centre expérimental de l’IFP à Solaize.
Jacques Delacour a été un grand ingénieur ; de la race de ceux qui créent et qui s’engagent. Quelle qu’ait été sa vocation personnelle, j’imagine que les années qu’il a passées au sein de la Société de Prospection Électrique auprès de Marcel Schlumberger l’ont confirmé dans sa passion pour ce que l’on appelle maintenant la « Recherche et Développement » et qui devrait être l’essence même du métier d’ingénieur.
Entré à l’Institut français du pétrole (IFP) après le décès de Marcel Schlumberger, il y a consacré toute sa carrière comme directeur des programmes de recherches en forage/ production. Parmi les grands projets dont il fut le promoteur, les plus connus sont :
- les conduites flexibles, d’abord conçues comme conduites de forage dans le Flexoforage, qui ont abouti aux conduites de collecte de production de Coflexip ;
- le positionnement dynamique, appliqué d’abord au navire de reconnaissance géotechnique Térébel, dont les développements permettent maintenant de forer au large de l’Angola par 3 000 mètres de fond ;
- le clip riser, tube de connexion entre le fond et la surface à joints clampés ;
- les matériaux composites assurant l’allégement des conduites.
Mais le dernier grand projet qu’il a lancé et dont j’ai longuement parlé avec lui alors que je venais de prendre la présidence du groupement des entreprises parapétrolieres (GEP) fut le pompage polyphasique. Permettant de propulser simultanément un mélange de pétrole, de gaz et d’eau depuis une tête de forage sous-marine jusqu’à une station de traitement située à plusieurs kilomètres de distance, ce nouveau type de pompe, conçu à l’origine avec le concours de Total, a permis de repenser profondément l’architecture de la mise en production des champs d’hydrocarbures sous-marins.
Jacques Delacour était un grand innovateur et nous devons garder en mémoire ce qu’il disait du binôme » Recherche et Développement » : la France sait bien gérer le premier de ces deux termes mais n’accorde pas au second le poids financier et managérial qu’il mérite.
Le souvenir de Marcel Schlumberger, mécanicien avisé ayant su transformer le projet visionnaire de son frère Conrad (X 1898), le physicien, en une réalisation industrielle qui fait encore aujourd’hui du groupe Schlumberger la référence mondiale du parapétrolier, ce souvenir a dû inspirer la stratégie que Jacques Delacour souhaitait appliquer à l’IFP en matière d’innovation technologique. Ayant épousé une nièce et filleule de Conrad, il a rendu hommage aux deux frères dans les colonnes de La Jaune et la Rouge (novembre 1992) et était administrateur de la Fondation » Musée Schlumberger » consacrée à la mémoire de ces deux grands précurseurs.
Notre profession commune, le parapétrolier, affronte encore aujourd’hui des défis redoutables pour faire face aux besoins énergétiques d’une population mondiale croissant en nombre et en richesse sans dénaturer son environnement. La France y tient une place bien supérieure à celle que la nature lui a accordée en matière de ressources d’hydrocarbures. Pour maintenir ce rang il importe que l’inspiration qui a guidé Jacques Delacour tout au long de sa carrière fasse école pour tous ceux, et ils sont encore nombreux, qui œuvrent dans ce domaine ou envisagent de lui consacrer leurs talents.
Comme Conrad et Marcel Schlumberger ont su le faire il y a près d’un siècle, puissions-nous, en France ou dans le cadre européen, combiner le génie visionnaire du premier et le sens industriel du second pour toujours réussir, dans nos matches internationaux de Recherche et Développement, à » transformer l’essai » !
J’ai le sentiment profond qu’en exprimant ce souhait je traduis, quelques mois après qu’il nous ait quittés, le cœur de la pensée de Jacques Delacour.
N. B. Jacques Delacour a publié dans La Jaune et Rouge d’avril et mai 1993 un « Libre propos » relatant ses aventures pétrolières en URSS et en juin/juillet 1995 un « Libre propos » sur « L’île à hélice » rapprochant le roman de Jules Verne de l’épopée du< positionnement dynamique.