Jacques Pitrat (54) pionnier français de l’intelligence artificielle
Décédé en octobre 2019, Jacques Pitrat, ingénieur général de l’Armement, a été le génie scientifique qui a démarré les recherches en intelligence artificielle en France, et y a consacré sa vie.
Jacques Pitrat fait partie de ces rares génies qui ont consacré leur vie totalement à la Science, indirectement à la Patrie par les retombées de ses recherches, et insuffisamment à la Gloire au regard de ce qu’il a créé et promu. Pionnier français du domaine à la fin des années 50, très peu de temps après la naissance de ce concept aux USA, il est la preuve que l’intelligence artificielle n’est pas une invention récente, ni que la France serait en retard, a fortiori sa défense.
Né le 27 février 1934 à Bourges, il choisit l’armement à sa sortie de l’X. Après un service en Algérie et l’École nationale supérieure de l’armement, il a intégré le Laboratoire central de l’armement en 1959, comme adjoint au chef du service des machines à calculer.
Très vite après la réunion américaine de l’école d’été de 1956 du Dartmouth College où dix grands scientifiques américains, dont John McCarthy, Marvin Minsky et Claude Shannon ont déclaré la naissance de l’« intelligence artificielle », il a commencé une thèse de doctorat d’État qu’il a soutenue en 1966. Cette thèse traitait déjà de la démonstration automatique de théorèmes, en introduisant le premier la notion de métathéorèmes. Il avait en même temps publié un premier article sur l’apprentissage automatique des machines et ensuite réalisé un des premiers programmes de General Game Playing, publié en 1968.
Du LCA au CNRS
En 1967 il rejoint le CNRS, dans son Institut Blaise Pascal, devenu en octobre 1968 l’Institut de programmation de l’université Paris-VI, où il a commencé sa carrière de chercheur-enseignant. Il y a construit son équipe qui l’a accompagné jusqu’à la fin et qui a essaimé dans de multiples organismes, créant de fait l’intelligence artificielle française. Il a dirigé ce laboratoire et est devenu son directeur scientifique en tant que directeur de recherche au CNRS, jusqu’en l’an 2000, et honoraire jusqu’à la fin 2018.
Après des débuts où il a analysé, évalué et complété les méthodes de démonstration automatique de théorèmes et de jeux d’ordinateurs contre les humains et d’ordinateurs entre eux, il a fait avancer considérablement l’apprentissage automatique de la compréhension dans les ordinateurs, de la création automatique de stratégies de compréhension et d’action par les machines. Il a créé la notion de métaconnaissances, qui en créent elles-mêmes de nouvelles et les adaptent intelligemment.
Il se servait en particulier pour ce faire du programme qu’il avait créé et développé avec son équipe : le CAIA, le chercheur automatique en intelligence artificielle, dont le but était selon lui « de l’aider et de le remplacer lui-même en tant que chercheur ».
De l’autocréation de l’intelligence artificielle à la conscience dans les machines
Il a bien sûr appliqué ses idées à la compréhension du langage naturel, et même à l’introduction de la conscience chez les machines. Un rapport (Vers une technologie de la conscience ?) qu’il a rédigé avec Alain Cardon et Gérard Sabah, présenté en juin 2012 à l’Académie des technologies et publié en 2013, montre très clairement les pistes pour y arriver. Auteur prolixe, il a écrit sept ouvrages de base sur l’IA.
Expert reconnu des jeux de construction mécaniques métalliques, il était le rédacteur habituel de la revue internationale spécialisée dans ces jeux, Other Systems Newsletter.
Très attaché à ses élèves comme à sa famille, il était passionné, curieux de tout, grand lecteur, extrêmement cultivé, féru d’histoire. Tous se souviennent de lui comme bienveillant, remplissant le quotidien de son environnement d’extraordinaire et faisant en permanence « ce qu’il fallait ».