Je n’ai rien à dire
Approche grammaticale
Approche grammaticale
Cette phrase courte que chacun a dû prononcer un jour mérite en premier lieu une analyse grammaticale simple : Je est le sujet de la phrase, le verbe ai est la première personne du verbe avoir dont le complément d’objet est la locution rien à dire, elle-même composée du pronom négatif rien et de son complément à dire. La phrase est à la forme négative, comme l’annonce la négation ne, réduite à n’ devant la première voyelle de ai. Le mode est indicatif, la voix est active et le temps est le présent. Ceci laisse comprendre que l’indication donnée est le fait de la volonté du locuteur mais qu’elle se limite au présent, sans préjudice d’un possible changement dans l’avenir.
Approche sémiologique
La vie est recherche de sens. Quel sens porte cette phrase si simple que nous étudions ? Il peut y avoir bien des raisons de ne rien dire.
Ce peut être la situation d’un suspect que l’on cherche à faire avouer : il a, en fait, bien des choses à dire mais il ne le veut pas, pour se protéger ou protéger des complices.
On peut aussi ne rien avoir à dire parce qu’on ne trouve pas d’argument à opposer à l’interlocuteur. Ce peut être alors une position provisoire, susceptible de changer comme dans le cas précédent en fonction de l’évolution de l’interrogatoire.
Il est aussi possible d’employer la phrase Je n’ai rien à dire pour signifier un accord, dans le sens de : Je n’ai pas d’objection. Dans ce cas, on comprend qu’il faille le faire savoir en disant quelque chose.
Approche sociologique
Les façons d’exprimer que l’on n’a rien à dire peuvent varier considérablement selon les circonstances et le niveau de langage employé.
D’une façon vulgaire, on peut dire :
je la boucle,
je ferme ma gueule.
Au bridge, on dira : je passe.
Au poker, on se contentera de dire : servi.
Dans un milieu intellectuel, de façon subtile, on pourra dire : je ne parlerai qu’en présence de mon avocat, ce qui laisse entendre, puisqu’il n’y a pas d’avocat présent, qu’il n’est pas question de dire un mot.
À ce stade de notre réflexion, il faut remarquer qu’il est relativement rare que ce soit le sujet qui exprime sa décision de ne rien dire. Bien plus fréquemment, c’est un tiers qui souhaite que le sujet se taise alors que celui-ci voudrait s’exprimer. Selon les circonstances, on lui dira par exemple :
avant de vous laisser la parole, permettez- moi de vous dire…
laisse-moi te dire,
ta gueule (éventuellement aggravé de sale con…).
Si la personne ainsi interpellée ne répond rien, ce n’est pas obligatoirement parce qu’elle n’a rien à dire, c’est qu’elle se sent soumise à une pression qui l’amène à se taire. Si, dans ces circonstances, elle dit : je n’ai rien à dire, cette phrase ne peut être entendue que comme une acceptation de l’interdiction de parler qui lui est intimée.
Approche psychologique
Il n’est pas illégitime de se poser la question de savoir pourquoi et dans quelles circonstances on n’a rien à dire. L’homme étant par nature un être social, il faut un environnement psychologique particulier pour en arriver à ne rien avoir à dire. Il existe même des familles où il est inimaginable de n’avoir rien à dire. Dans le pire des cas, on remplira le silence en disant : voilà, voilà, voilà…
On peut aussi se demander, si l’on n’a rien à dire, pourquoi on se croit obligé de le dire. Faire savoir à son interlocuteur que l’on n’a rien à dire est déjà une façon de dire quelque chose et il semble que l’on s’enfonce dans la contradiction. Cependant, en l’absence de toute information, il est difficile d’être sûr que votre interlocuteur n’a rien à dire : il peut être simplement en train de réfléchir ou bien il ne veut pas parler la bouche pleine. On comprend donc qu’il lui soit souhaitable d’exprimer paradoxalement qu’il n’a rien à dire en disant quelque chose.
En langues étrangères
Le message consistant à dire que l’on n’a rien à dire risque fort de ne pas être compris par quelqu’un qui ne possède pas la langue française. Plus grave, du fait même que votre interlocuteur vous entend parler, s’il ne comprend pas le sens de votre phrase, il peut supposer que vous avez quelque chose à dire, vous demander de répéter, bref vous obliger à parler, alors que précisément ce n’est pas votre intention. Il est donc important de comprendre le message qui vous est adressé dans des langues usuelles, par exemple, en tagalog ou en turkmène.
En russe les phrases : nié enaiou tchto skazat ou ia nitchégo nié skajou pourtant d’usage très courant, ne couvrent pas le même champ sémantique qu’en français et se traduisent respectivement par : je ne sais pas quoi dire et je ne dirai rien, ce qui est très différent de notre propos.
En allemand, on pourrait dire : Ich habe nichts dazu zu sagen, ce qui est plus précisément je n’ai rien à dire à ce sujet. Dazu, que je traduis par à ce sujet, permet de préciser que ce n’est pas d’une façon générale que l’on n’a rien à dire mais qu’il s’agit des circonstances particulières où l’on se trouve. On constate donc, dans le cas de l’allemand comme dans celui du russe, que la phrase française ne peut être exactement traduite et qu’il faudrait une périphrase plus explicite pour rendre ce que l’on a précisément à l’esprit en fonction du sens que l’on donne (voir l’approche sémiologique).
L’anglais nous éclaire encore davantage : l’équivalent le plus proche de notre phrase pourrait être no comment, expression fort usuelle qui implique que l’on n’a pas de commentaire à faire mais ne peut s’employer sans qu’il y ait eu sollicitation d’un avis.
En turkmène on dira : diyjek zadym yok. Je laisse le lecteur libre de son commentaire.
Il y a sûrement bien d’autres façons d’aborder notre sujet mais, pour le moment, je n’ai rien à dire de plus.