« Il faut avant tout donner du sens aux données ! » Jean-Bernard Mateu (X83), cofondateur de Kwadaï

« Il faut avant tout donner du sens aux données ! » Jean-Bernard Mateu (X83), cofondateur de Kwadaï

Dossier : TrajectoiresMagazine N°800 Décembre 2024
Par Hervé KABLA (X84)

En 2018, Jean-Ber­nard Mateu (X83) a cofon­dé Kwa­daï, dont la mis­sion est de rendre l’exploitation des don­nées acces­sible à tous, en com­bi­nant la sim­pli­ci­té du lan­gage natu­rel avec la puis­sance de l’automatisation.

Qu’est-ce que Kwadaï ?

Kwa­daï est un nou­veau lan­gage de program­mation « en fran­çais », tel­le­ment simple que n’importe qui peut com­prendre un pro­gramme sans jamais avoir été for­mé, ni même avoir fait de l’informatique. D’autant que Kwa­daï guide l’utilisateur en per­ma­nence. En bref, un pro­gramme Kwa­daï est un docu­ment dyna­mique, réunis­sant en fran­çais le code, la docu­men­ta­tion, les résul­tats de l’exécution, les conseils et alertes.

Quel est le parcours des fondateurs ?

Après l’X et Télé­com Paris­Tech, j’ai enta­mé mon par­cours pro­fes­sion­nel dans l’intelligence arti­fi­cielle. À la suite de quoi j’ai exer­cé plus de vingt-cinq ans en tant qu’opérationnel, puis diri­geant de banques. Lau­rence Le Buzul­lier, Ensae, a été data scien­tist prin­ci­pa­le­ment dans les domaines du risque et du mar­ke­ting. Nous avons fon­dé ensemble il y a six ans notre acti­vi­té de conseil en stra­té­gie, data et IT.

Comment vous est venue l’idée ?

À tra­vers notre expé­rience dans l’entreprise, nous avons iden­ti­fié une pro­blé­ma­tique récur­rente sur la maî­trise des don­nées et leur signi­fi­ca­tion. Les don­nées sont pré­sentes en quan­ti­tés astro­no­miques, leurs sources sont diverses et leur exploi­ta­tion doit res­pec­ter des règles métier par­fois com­plexes. En tant que diri­geants, nous avons sou­vent été confron­tés à des don­nées trai­tées dans Excel, dont plus per­sonne ne connais­sait le sens réel, alors que la prise de déci­sion doit être rapide et éclai­rée ! Aucune solu­tion ne répon­dait tota­le­ment aux besoins métier. Nous avons donc déci­dé de conce­voir un nou­veau lan­gage à la fois simple et puis­sant. C’est ain­si que Kwa­daï est né, au croi­se­ment de nos com­pé­tences data science et intel­li­gence artificielle.

Qui sont les concurrents ?

Kwa­daï est né du constat qu’il n’existait aucune solu­tion adap­tée per­met­tant aux métiers de reprendre la maî­trise de leurs don­nées. Kwa­daï est donc une autre solu­tion, natu­relle, face aux outils habi­tuels. On peut citer par exemple les tableurs dont l’utilisation peut être ris­quée : for­mules com­plexes, limi­ta­tion sur la taille des fichiers, erreurs poten­tielles. Le « no-code », bien que pro­met­teur dans sa phi­lo­so­phie, s’avère en fait sou­vent très tech­nique. De l’autre côté du spectre, les lan­gages type Python ou SAS sont han­di­ca­pés par leur com­plexi­té, par la rare­té des res­sources com­pé­tentes et par un coût de main­te­nance éle­vé. Kwa­daï a donc été créé pour ras­sem­bler les atouts des outils pro­fes­sion­nels (puis­sance et fonc­tion­na­li­tés) et le res­pect des exi­gences métier : acces­si­bi­li­té, main­te­na­bi­li­té, audi­ta­bi­li­té, col­la­bo­ra­tion et répétabilité.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

De 2018 à 2020, nous avons conduit plu­sieurs mis­sions auprès d’entreprises qui n’arrivaient pas à rendre opé­ra­tion­nels des outils issus du machine lear­ning. Nous avons aus­si mené des tra­vaux sur la fia­bi­li­sa­tion de cal­culs finan­ciers. À chaque fois, la qua­li­té et l’adéquation de la don­née au pro­blème étaient clés. Consta­tant l’absence d’outil adé­quat sur le mar­ché, nous avons com­men­cé à déve­lop­per Kwa­daï en 2021. Dès 2022, les pro­grammes écrits en Kwa­daï ser­vaient de sup­port col­la­bo­ra­tif lors des réunions avec nos clients. Nous avons donc déci­dé de tes­ter Kwa­daï auprès d’autres uti­li­sa­teurs pen­dant envi­ron un an. Essais concluants ! Nous avons lan­cé notre start-up en 2023, avec une levée de fonds en Love Money. Depuis lors, nous avons pro­cé­dé au dépôt d’un bre­vet et nous déve­lop­pons une nou­velle ver­sion de Kwa­daï, plus per­for­mante et convi­viale. En même temps, nous accé­lé­rons la pros­pec­tion et la recherche de partenaires.

Les données sont-elles le pétrole du XXIe siècle et pourquoi ?

Les don­nées sont deve­nues une res­source aus­si pré­cieuse que poly­va­lente. Elles jouent un rôle cru­cial dans notre ère numé­rique. Mais, tout comme le pétrole doit être extrait, raf­fi­né et uti­li­sé pour être véri­ta­ble­ment pré­cieux, les don­nées néces­sitent d’être col­lec­tées, ana­ly­sées et inter­pré­tées pour géné­rer de la valeur. Il faut avant tout don­ner du sens aux don­nées ! Les entre­prises qui par­viennent à maî­tri­ser cet art peuvent prendre des déci­sions plus éclai­rées, iden­ti­fier de nou­velles chances de crois­sance et amé­lio­rer l’efficacité de leurs opé­ra­tions. L’exploitation intel­li­gente des don­nées est essen­tielle pour en faire une véri­table richesse.

N’est-ce pas justement le but de l’intelligence artificielle ?

L’IA sta­tis­tique, sous toutes ses formes, per­met réso­lu­ment des avan­cées excep­tion­nelles ! Mais elle est par­fois décon­cer­tante, si l’on évoque par exemple les hal­lu­ci­na­tions de l’IA géné­ra­tive ou la repro­duc­tion de biais induits par les échan­tillons d’apprentissage. Par­fois même, le carac­tère « pro­ba­bi­liste » n’est tout sim­ple­ment pas accep­table : deman­dez à un direc­teur finan­cier s’il veut un résul­tat juste ou seule­ment vraisemblable !

« Il est nécessaire d’encadrer ces outils par du savoir humain. »

Il est néces­saire d’encadrer ces outils par du savoir humain, dans la phase de sélec­tion, de pré­pa­ra­tion, ain­si que dans l’exploitation des don­nées. Kwa­daï, par ses capa­ci­tés à inté­grer les connais­sances métier au trai­te­ment de don­nées, per­met la décou­verte des don­nées, leur pré­pa­ra­tion et leur cor­rec­tion. En ayant recours à des tech­niques d’IA sym­bo­lique (infé­rences, gram­maires for­melles, expres­sions régu–lières…), Kwa­daï simule le rai­son­ne­ment des experts métier de manière simple et expli­cable. Kwa­daï per­met donc aus­si d’intégrer des outils issus du machine lear­ning dans des pro­ces­sus de déci­sion contrô­lés et pilotés.

Le knowledge management est donc au cœur de la démarche…

Oui, bien sûr ! Et l’enjeu est de taille en termes de prise de déci­sion, d’efficacité opé­ra­tion­nelle et de maî­trise des risques par exemple. Aujourd’hui, cer­taines entre­prises demandent même aux opé­ra­tion­nels d’écrire des pro­cé­dures en Kwa­daï afin de les docu­men­ter, les pré­ci­ser et les faire évo­luer rapi­de­ment. Ce sont les pro­cé­dures elles-mêmes qui s’exécutent. On court-cir­cuite ain­si le cycle habi­tuel : spé­ci­fi­ca­tion, déve­lop­pe­ment, uti­li­sa­tion des résul­tats, en pri­vi­lé­giant l’opérationnalité.

Comment faites-vous pour convaincre de grandes entreprises de travailler avec une jeune entreprise comme la vôtre ?

Grâce à nos expé­riences pro­fes­sion­nelles pas­sées et notre acti­vi­té de conseil, Lau­rence et moi-même sommes beau­coup inter­ve­nus auprès de diri­geants, dont nous connais­sons bien le lan­gage et les besoins liés à la data. Cette sénio­ri­té nous pro­cure un cer­tain gage de confiance de la part des grandes entre­prises. Et c’est au cœur de leurs pré­oc­cu­pa­tions que notre solu­tion prend tout son sens : face à des tableaux de bord défaillants ou à un dia­logue dif­fi­cile entre les métiers, les infor­ma­ti­ciens et les data scien­tists, nous appor­tons une solu­tion col­la­bo­ra­tive très pro­duc­tive. Les avan­tages sont tout de suite per­çus par les entre­prises et l’adoption est rapide et pérenne.

Est-il préférable de créer son entreprise après une carrière dans de grands groupes ou bien vaut-il mieux se lancer dès la sortie d’école ?

Peu importe. Ce qui fait la dif­fé­rence dans la créa­tion d’entreprise est davan­tage lié à l’énergie dont on dis­pose, à l’envie et à l’état d’esprit dont on fait preuve. Notre expé­rience et notre com­pé­tence nous ont cer­tai­ne­ment per­mis d’aller plus vite, notam­ment via notre réseau et grâce à notre connais­sance ter­rain. Mais elles n’auraient pas suf­fi à elles seules au déve­lop­pe­ment de Kwa­daï. Nous sou­hai­tons d’ailleurs recru­ter de plus jeunes pro­fils (CEO, CTO, res­pon­sable com­mer­cial) qui appor­te­ront d’autres pers­pec­tives. Tout est dans l’état d’esprit : il est essen­tiel d’avoir de la convic­tion, de l’audace, une forte capa­ci­té à inno­ver et à rebon­dir en toute circonstance.

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