Jean BOROTRA (20 S)
J’ai connu Jean Borotra lors de mon entrée à l’X en 1920. J’étais simple soldat dans la promotion normale, et Jean avait été engagé dans la Première Guerre mondiale et faisait partie de la promotion spéciale, sous-lieutenant ou lieutenant décoré. Nous étions sur les mêmes bancs et, comme j’aimais beaucoup les sports depuis ma tendre enfance, j’étais déjà ébloui par ce jeune champion de tennis.
MM. Borotra et Leprince-Ringuet disputant un match avec des élèves en 1967. © R DELHAY |
Un jour, Jean Borotra me dit : « Je suis très ennuyé, il y a un championnat du monde sur court couvert à Bruxelles ; je voudrais bien y participer mais j’ai, en même temps, un exam-gé de mécanique. » Je lui réponds : « Écoute, ce n’est pas compliqué : tu vas te rendre à Bruxelles sous un faux nom pour éviter d’être repéré et moi, je passerai l’exam-gé à ta place. » Il accepte et, parmi les joueurs du tournoi de Bruxelles, on trouve le nom de Ortabor : c’était lui. Je pense qu’il a gagné le tournoi pendant que je passais l’examen de mécanique. Je n’étais pas très fier car j’avais dû endosser un uniforme d’officier – étant simple soldat dans un établissement militaire -, mettre des décorations et signer Jean Borotra sur la feuille de présence.
Ce n’est qu’à la fin que je fus soulagé lorsque l’examinateur, dans sa petite barbe grisonnante, me dit : « Monsieur Borotra, si vous ne jouiez pas tant au tennis, vous sauriez mieux votre cours de mécanique » – j’étais sauvé ! Mais cette histoire ne fut connue qu’en 1966 car Jean la gardait très secrète, la minimisant, disant qu’il s’agissait d’une colle et non d’un exam-gé. Mais, en 1966, lors de ma réception à l’Académie française par Louis de Broglie, elle fut évoquée officiellement dans son discours – et cela sur ma demande. Aujourd’hui, bien des gens connaissent cette aventure, en particulier dans les milieux polytechniciens.
J’ai suivi l’activité sportive de Jean. Il était adoré des Anglais, et en particulier des Anglaises, grâce à sa vivacité, son adresse à la volée : de temps en temps, lorsqu’il galopait pour retourner une balle, il ne pouvait s’arrêter et tombait automatiquement dans les bras d’une jeune et souriante spectatrice.
À l’époque de nos mousquetaires, les joueurs devaient avoir un métier et leur attitude était infiniment plus sportive qu’aujourd’hui : je suis tombé, un jour, en tournoi contre Jean, et il a eu la gentillesse de me laisser trois ou quatre jeux par set. J’ai toujours été frappé par sa spontanéité, sa vivacité, et aussi sa ténacité lors des matchs si nombreux qu’il a disputés contre les meilleurs joueurs. C’était bien le Basque bondissant - qualificatif qui lui a été souvent attribué.
C’était passionnant de voir nos mousquetaires si différents l’un de l’autre : René Lacoste, toujours sérieux, précis et volontaire, Henri Cochet, plus fantaisiste et d’une adresse exceptionnelle. Jean a toujours milité pour que les jeunes fassent du sport, et il a fait aimer le tennis. Lui-même a continué à y jouer très longtemps, jusqu’à plus de quatre-vingt-dix ans.
Il nous a quittés en juillet 1994. Jusqu’en 1993, au moment de Roland Garros et de Wimbledon, il jouait une partie amicale avec un Anglais, et n’a jamais manqué cette occasion. J’ai la plus grande admiration pour Jean et je voudrais saluer également son épouse que je retrouve régulièrement dans la tribune présidentielle de Roland Garros. (Photographie) MM. Borotra et Leprince-Ringuet disputant un match avec des élèves en 1967.