Jean-Gabriel Levon (05), l’insectivore
La carrière de Jean-Gabriel a connu auparavant un premier tour de chauffe des plus classiques, dans le conseil stratégique à l’industrie pétrolière, chez Schlumberger. C’était le moment où Total, de pétrolier qu’il était, s’affichait « énergéticien ».
C’est alors que l’idée de « nourrir la planète » germe dans son cercle d’amis : ils allaient, avec Ynsect, en faire leur pain quotidien.
L’idée initiale était d’extraire des insectes leurs riches protéines pour l’alimentation humaine. Le quatuor de créateurs, un ingénieur informaticien ENSIMAG, un ESSEC, un Agro, et Jean-Gabriel, préposé à l’industrialisation, lance sa start up. Chacun y laisse un à deux ans de salaire, sans regret :
« A partir du moment où l’on se lance dans l’entrepreneuriat, on ne raisonne plus en risque, mais en opportunité. J’ai saisi une opportunité, je n’ai pas perdu deux ans de salaire », se réjouit, sourire en coin, l’heureux startupeur. Jean-Gabriel confesse volontiers qu’il n’a eu aucune difficulté à démarrer. « L’écosystème start up français a bien marché. »
Lancer une start up en France, c’est facile ! Qu’on se le dise. Avec son président et son binet start up, très actif, l’X, où Jean-Gabriel se rend régulièrement pour partager son expérience, en est un foyer actif.
Quatre ans après sa création, la jeune entreprise est passée de 4 à 25 collaborateurs et a commencé à essaimer à l’étranger. Elle vient d’accueillir un investisseur singapourien en décembre dernier. En revanche, elle a dû quelque peu rectifier son projet.
Car si l’insecte est testé dans l’alimentation humaine en Belgique, en revanche, il est strictement proscrit des assiettes en Europe, et la même Belgique vient de voir son stand à l’exposition universelle de Milan (sur le thème « Nourrir la planète ») menacé de fermeture. Ynsect cible donc plutôt les chiens et chats dans un premier temps.
Il n’en croit pas moins à une évolution des mœurs. D’abord, parce que l’insecte est traditionnellement au menu de nombreuses civilisations bien vivantes. Ensuite, parce que les habitudes alimentaires évoluent très vite. Qui d’entre nous, il y a 25 ans (alors qu’on parlait des steaks de pétrole…) mangeait des pizzas ou des sushis ?
Aujourd’hui, ils sont devenus un plat banal. Enfin, parce que la planète a faim et que les insectes, encore redoutés chez nous comme la calamité des récoltes, lui seront une réserve nutritive précieuse.
Mais cela reste encore une perspective lointaine, il faudra évidemment stabiliser la règlementation. Actuellement, l’alimentation humaine à base d’insectes est interdite en Europe, faute d’une règlementation claire. En l’absence de vétérinaires formés, les contrôles sanitaires sont quasi-inexistants.
L’École vétérinaire de Rennes vient juste de créer un cursus spécialisé sur les abeilles, mais rien encore sur l’insecte en tant que matière première alimentaire. L’implantation mondiale d’Ynsect aidera certainement à peser les risques et à faire évoluer les marchés. Les premières ouvertures en Europe viendront certainement plus sur les marchés de l’alimentation pour animaux, aquaculture, volailles, porc.
Jean-Gabriel aspire à créer « une structure qui permette à une communauté humaine de suivre librement sa raison d’être ». Il y travaille.
Son passage à l’X, outre l’ambiance de la promo et le réseau « silencieux mais très efficace » qu’il s’y est constitué et qu’il a su étoffer depuis lors, lui a donné l’armature intellectuelle propice à son projet : « D’une certaine manière, j’ai le sentiment de n’avoir de ‘master’ dans aucune discipline, mais une licence dans une multitude, on est donc formaté pour les mettre en connexion et aborder sans peur de nouveaux champs de la connaissance. »
Esprit inlassable, Jean-Gabriel aimerait visiter toujours plus d’usines. Avis aux camarades intéressés !