Jean-Jacques Salomon (X74), du Torchon au Palio
S’il y a quelqu’un qui doit tout, ou presque, aux secrétaires de direction, c’est bien notre camarade Jean-Jacques Salomon, X74.
Dans les années 1980, l’entreprise informatique pour laquelle il travaille, la Sysmark, rachète, après le désistement du fonds d’investissement dirigé par Alain Minc, les éditions Bottin, qui souhaitaient développer leur activité sur Minitel. Jean-Jacques commence alors à s’intéresser à la question des annuaires, ceux qui ont des pages blanches ou jaunes, certes, mais aussi ceux qui, aux USA par exemple, se concentrent sur des secteurs professionnels très précis, comme « l’annuaire biographique des femmes noires avocates ».
L’annuaire des secrétaires de direction
S’inspirant de ce modèle, il décide de concevoir L’annuaire des secrétaires et assistantes de direction en France. Il a en effet l’idée astucieuse que ceux (plus souvent, celles) qui occupent ces postes ont sur leur patron un pouvoir prescriptif qui lui permettra d’obtenir les encarts publicitaires nécessaires au financement de cet ouvrage. Après quelques essais infructueux, l’affaire fonctionne, on s’arrache son ouvrage, et plus encore le fichier informatique, plus complet, dont il est le reflet. Grâce à cela, il se constitue un petit matelas financier qui lui permettra ensuite d’être relativement libre de ses choix professionnels.
Une vocation littéraire
Certes, il ne s’agissait pas de la première expérience de Jean-Jacques Salomon dans le domaine de l’édition. Pendant sa scolarité à l’X, il s’occupait du journal de sa promotion, Le Torchon – titre choisi en prenant à la lettre une exclamation du général Briquet, le directeur de l’École, qui avait vivement exprimé son agacement devant les bêtises imprimées par les élèves. Jean-Jacques se souvient y avoir écrit, dans le style de Roland Barthes, un éditorial exalté qu’il eut la surprise de retrouver sur le plateau, en 1994, lors des cérémonies du bicentenaire : chaque promotion avait droit à un panneau résumant son identité propre, et pour la 74 avait été choisi ce texte au vitriol.
Quelques années après la sortie de l’X, il avait également édité, avec quelques amis, l’Agenda noir, un almanach compilant toutes les citations qui comportaient des dates dans les romans de la célèbre Série Noire de Gallimard – l’ouvrage « passa chez Pivot » et connut de belles ventes. Son goût pour la littérature le conduisit aussi, dans les années 2000, à publier des lettres d’informations dans lesquelles des extraits des grands auteurs étaient mis en regard de questions professionnelles ou de points d’actualité. Il y eut de plus en plus d’abonnés, et de plus en plus d’annonceurs pour soutenir l’opération. On trouve d’ailleurs encore, sur le site oomark.com, certaines de ces lettres, spirituelles et érudites.
La création des éditions du Palio
Enfin, en 2006 Jean-Jacques Salomon créa, avec deux associés, sa propre maison, les éditions du Palio, qui ont publié 120 livres en dix-huit ans. Il s’agissait tout d’abord d’ouvrages professionnels, mais écrits sous forme de petits pastiches : par exemple, pour parler de la monnaie était proposé un dialogue imaginaire entre John Law, le financier qui avait fait fonctionner la planche à billets afin de résorber la dette laissée par Louis XIV, et le philosophe Montesquieu qui lui reprochait d’avoir ruiné la confiance fiduciaire.
Puis les thématiques s’élargirent, au gré des rencontres et des propositions, puisque la ligne directrice de notre camarade-éditeur est d’essayer de soutenir les projets dont il sent qu’« ils correspondent à un moment particulier de la vie de leurs auteurs ». Il y eut ainsi, par exemple, L’Étonnant pouvoir des couleurs, de Jean-Gabriel Causse – le best-seller des éditions du Palio, avec plus de 25 000 exemplaires vendus – et Mémoires de chaises au jardin du Luxembourg, livre illustré de l’aquarelliste Bernard Soupre, qui a aussi connu un beau succès.
Un grand lecteur, mais pas seulement…
C’est durant les vacances entre la seconde et la première que Jean-Jacques Salomon avait vraiment découvert la littérature. Élève alors assez médiocre, il avait trompé l’ennui estival en se plongeant dans les Mémoires d’une jeune fille rangée, de Simone de Beauvoir, qui l’avait fasciné en lui laissant entrevoir ce que pouvaient être les ébullitions d’une jeunesse intellectuelle. Depuis lors, il n’a jamais arrêté de lire – gageons qu’il a fait sienne cette phrase de l’ouvrage qui fut pour lui une révélation : « Je me disais que, tant qu’il y aurait des livres, le bonheur m’était garanti. »
« Je me disais que, tant qu’il y aurait des livres, le bonheur m’était garanti. »
Simone de Beauvoir
Par exemple, lorsqu’il peinait sur ses cours en mathématiques supérieures au lycée Pasteur, la découverte de l’œuvre de Marcel Proust fut à la fois une béquille et un catalyseur. Cela fonctionna au-delà de ses espérances : doublant certes son année de spéciales afin de pouvoir tenter le concours de l’X – qui allait ouvrir en 1974, pour la première fois, un concours réservé à sa filière, celle où prédominaient les sciences physiques – il intégra la dernière promotion qui vécut sur la montagne Sainte-Geneviève l’intégralité de sa scolarité.
On le vit ensuite démarrant une thèse d’économie sur la relation entre les taux d’intérêt et le cours du change, s’occuper du crédit des entreprises dans une succursale de la Société Générale à Boulogne-Billancourt ou gérer une entreprise informatique spécialisée dans les logiciels de ressources humaines (une expérience durant laquelle il s’amusait à envoyer à ses collaborateurs des courriels écrits en latin). Et surtout on lui doit aussi quelques livres, dont le premier, publié en 1993, rend hommage à celles auxquelles il doit beaucoup : il s’intitule en effet La vie des secrétaires au quotidien sous François Mitterrand.