Jean-Pierre Henry (64), infatigable webmestre de La Jaune et la Rouge
Décédé le 20 août 2021, Jean-Pierre Henry (64) a fait une brillante carrière dans l’industrie, en particulier chez PSA. Et il a passé huit années de sa retraite comme responsable du site web de notre revue, site qu’il a transformé en profondeur.
En 2009, le site web de La Jaune et la Rouge était encore embryonnaire, avec un graphisme simple et des fonctionnalités réduites. L’exploitation et les développements techniques étaient sous-traités et la gestion des contenus était assurée par une collaboratrice de l’AX qui partageait son temps avec d’autres activités, de sorte que la mise en ligne d’un numéro n’était pas toujours réalisée au moment où celui-ci arrivait dans les boîtes à lettres. Aussi, lorsque cette personne décida de quitter l’AX, la délégation générale retint-elle la proposition de la rédaction, qui était de recruter un camarade jeune retraité capable de donner un nouvel élan au site web de la revue, d’en réaliser les développements et d’en gérer l’exploitation et les contenus. C’est ainsi que Jean-Pierre fut nommé webmestre et prit ses fonctions début 2010, fonctions qu’il occupa jusqu’en octobre 2018. Huit années pendant lesquelles il allait radicalement moderniser et enrichir le site web de
La Jaune et la Rouge. Pourtant son curriculum vitæ ne semblait pas le prédisposer à assumer aussi brillamment son nouveau rôle.
Le goût du sport et de la compétition
Jean-Pierre voit le jour à Montluçon le 25 janvier 1944. Son père Pierre Henry, docteur en physique, ingénieur, travaillait pour la Compagnie des forges de Châtillon-Commentry. Sa mère, Marcelle née Danguin, lui a transmis sa passion pour la musique classique et les opéras. En 1951, il arrive à Paris. Après des études secondaires au lycée Carnot, il fait ses classes préparatoires à Louis-le-Grand et entre à l’X en 1964. Passionné de sport, en particulier de 800 mètres, il participe à diverses compétitions militaires et gagne deux fois de suite le cross Figaro-Grandes Écoles.
Après l’X, il suit les cours de l’École nationale supérieure du pétrole et des moteurs à Rueil-Malmaison et intègre Peugeot (PSA), au centre d’études de La Garenne-Colombes. Il se spécialise dans la synthèse des nouveaux modèles (liaison châssis-moteurs-boîtes…). Son goût pour la compétition trouve à nouveau l’occasion de s’exprimer dans la production de la présérie des 205 T16, permettant l’homologation de la voiture en championnat du monde des rallyes, avec le succès que l’on sait, qui marque sans doute un point d’orgue de sa carrière chez PSA. Il intègre ensuite la SATI (société d’application des techniques industrielles) où il continuera, dans ce bureau d’études spécialisé en calcul, ses travaux d’études et d’assistance technique pour l’industrie.
De l’industrie aux réseaux sociaux
Lorsqu’il se retrouve à la retraite, il se passionne pour la révolution numérique. Un article publié par Hervé Kabla dans La Jaune et la Rouge (« Se servir du blog en temps de crise » – JR n° 638) retient son attention et l’amène à s’inscrire à une conférence donnée par l’auteur. Jean-Pierre en tire la conclusion que les réseaux sociaux sont une opportunité pour renouveler et renforcer l’animation de la communauté polytechnicienne. Il en discute avec Hervé Kabla qui le convainc que le préalable est la rénovation des sites de l’AX et de La Jaune et la Rouge : aussi, lorsque notre revue fait savoir qu’elle recrute un nouveau webmestre, saisit-il l’occasion.
Travailleur acharné, il mène alors de front deux tâches. D’une part, la gestion au quotidien de l’ancien site web de la revue, qui est lourde car le transfert des articles de la revue papier sur le site requiert de nombreuses et délicates manipulations. D’autre part, la conception, le développement et le lancement d’un nouveau site. Alors qu’il est néophyte, il s’applique à faire les meilleurs choix pour le futur. Il analyse des sites des principales revues d’alumni françaises et étrangères, pour établir un cahier des charges ambitieux et complet. Il passe en revue les logiciels de gestion de contenu du marché pour retenir le système Drupal qui était alors l’outil de tous les grands sites de presse – sachant qu’au début des années 2010 WordPress, outil sur lequel est basé le site actuel, était cantonné à la gestion des blogs. Et il s’appuie sur BlogAngels – société fondée par Hervé Kabla – pour concevoir la maquette de présentation des pages. Cahier des charges et projets de maquette sont présentés au comité éditorial pour mise au point et validation. Puis Jean-Pierre réalise lui-même le gros des développements, ne recourant aux conseils de spécialistes et à la sous-traitance que de façon marginale. Le nouveau site est mis en place début 2011.
De nouveaux challenges
Ce lancement n’est qu’une première étape. Jean-Pierre veut que ce site attire de nombreux visiteurs et soit vivant. Il étudie soigneusement la façon dont Google référence les articles pour améliorer la visibilité des pages de La Jaune et la Rouge et utilise des outils d’analyse du trafic pour suivre l’attractivité du site. Les résultats ne se font pas attendre : la fréquentation qui était de quelques milliers de visites par mois augmente rapidement et atteint en 2012 plus de 40 000 visites par mois, dont une majorité de non‑X. Mais ce sportif dans l’âme ne se contente pas de ces premiers lauriers. Il lui faut continuer d’améliorer le site. Sans en parler à quiconque, il se fixe un autre challenge : créer une base d’archives permettant de retrouver et consulter tous les numéros et tous les articles de la revue depuis le premier numéro datant du 1er janvier 1948. Un travail titanesque qu’il entreprend seul et qu’il dévoile un beau jour au comité éditorial. Il s’occupe aussi de rendre la revue visible sur les réseaux sociaux et d’enrichir fonctionnellement le site, qui était alors infiniment plus convivial et moderne que le très vieillissant site de l’AX, qu’il fallait absolument rénover. L’AX ouvrit ce chantier en 2016 et profita de cette occasion pour demander à La Jaune et la Rouge de revoir le graphisme de son site pour le mettre en cohérence avec celui de l’AX, en mettant en œuvre le logiciel WordPress qui était devenu le standard du marché. Aussi, Jean-Pierre estima-t-il que le moment était venu pour lui de passer le relai, ce qu’il fit en octobre 2018.
Un pionnier du télétravail
Jean-Pierre ne venait dans les bureaux de la rue Descartes qu’une à deux fois par semaine, pour des réunions ou des rendez-vous, mais on avait chaque fois plaisir à le voir et à partager avec lui. Il savait écouter et acceptait le doute. Ceux qui travaillaient régulièrement avec lui gardent un souvenir ému de ces années. Hervé Kabla qui était son sparring partner devint son ami. Même si Jean-Pierre était peu disert sur lui-même, sûrement timide, il avait une étonnante capacité à animer une réunion ou un repas par son humour à froid qui en faisait un personnage haut en couleur.
Bien avant la crise de la Covid-19, il avait découvert les vertus du télétravail : on ne savait jamais s’il était à Meudon, Grandville, dans la Creuse ou en Corse. En effet, parallèlement à ses activités pour l’AX, il s’était investi pour les VMF ( Vieilles maisons françaises), une autre de ses passions, et avait restauré dans la Creuse un château médiéval, ses dépendances, et créé un parc autour où s’entremêlent roses, cucurbitacées et collection de conifères… Infatigable, il aimait également la voile, notamment autour des îles Anglo-Normandes où il aimait pratiquer le « rase-cailloux » en jouant (toujours avec le calcul scientifique) de la hauteur d’eau des marées et de la force des courants… laissant quelques sueurs froides à ses équipiers.
Aujourd’hui, il laisse dans la peine son épouse Évelyne, avec qui il s’est marié en juillet 1966, ses quatre enfants, toute sa famille et ses nombreux amis.
Jean-Pierre Henry, ou comment le passionné surpasse l’homo œconomicus
« Quand je suis arrivé comme président du comité éditorial de La Jaune et la Rouge, j’ai découvert un camarade qui s’affairait à développer un site web pour la revue, ce qui était d’ailleurs une des priorités qui m’avait été donnée par le conseil d’administration de l’AX lors de ma nomination. Les revues d’anciens élèves se posaient la question de leur présence sur le web, les abonnements à l’édition papier diminuant de façon quasi ‑irrésistible et nombre de jeunes ne comprenant pas pourquoi on leur proposait une revue sur papier : ils changeaient souvent d’adresse dans leurs débuts de carrière, et c’était mauvais pour la planète.
Jean-Pierre Henry s’affairait donc à relever ce défi. J’ai bien sûr pris le parti de le soutenir et de l’aider à trouver les moyens de mener à bien le travail tout à fait étonnant qu’il faisait comme un vrai passionné. Il avait opté pour Drupal plutôt que WordPress, qui lui semblait trop limité pour La Jaune et la Rouge.
Il faisait même plus : il apportait des modifications au système Drupal pour améliorer ses fonctionnalités, ce qui ne facilitait pas toujours ses relations avec les spécialistes de la maintenance de ce logiciel, qui se sentaient un peu dépassés.
Si nous pouvons être fiers du site de La Jaune et la Rouge aujourd’hui, il y a beaucoup contribué. Dans ce travail de passionné, il ne comptait pas ses heures et je me rappelle qu’un jour le délégué général de l’AX de l’époque m’a dit qu’il faudrait peut-être lui demander de moins travailler. À quoi j’ai répondu que, s’il était un salarié normal, on pourrait lui demander d’en faire moins.
Mais il n’est pas possible de demander à un passionné de travailler moins de douze heures par jour si c’est ce qui lui plaît. L’économie nous a habitués à penser que ce qui motive les agents économiques est le calcul de leurs intérêts économiques, mais le cas de Jean-Pierre Henry illustre que ceux qui sont tirés par leur passion peuvent faire bien plus, et que nul ne peut les en empêcher. »
Michel Berry (63)