Jean-Pierre RAMPAL
Le temps passe, ou plutôt nous passons dans l’espace-temps. Tentant d’échapper à la peur de l’inconnu qui nous attend in fine, nous recherchons sans cesse « du nouveau », comme disait Baudelaire. Nous courons de concert d’hiver en festival d’été, feignant de nous extasier devant tels solistes qui, dit-on, renouvellent les interprétations de Beethoven, Brahms, Ravel.
Mais l’édition musicale nous ramène à la réalité en rééditant de grands interprètes du passé et nous nous rendons alors à l’évidence : qui jouera jamais les Sonates de Beethoven mieux qu’Yves Nat, le Concerto de Brahms de manière aussi émouvante que Christian Ferras, la Sonatine de Ravel aussi bien que Samson François, pour ne citer que des musiciens français ?
Le Marseillais Jean-Pierre Rampal aura marqué le XXe siècle de manière indélébile, reconnu de l’Europe à la Chine, de l’Amérique à l’Australie, comme un flûtiste unique, comme « le » flûtiste.
C’est que son jeu possédait des qualités dont chacune peut être retrouvée, individuellement, chez tel ou tel interprète, mais dont la réunion chez un seul musicien est inespérée : maîtrise technique bien sûr, mais aussi fraîcheur, brio, élégance, distinction, grâce, poésie, palette quasi infinie des couleurs.
Erato a entrepris de rééditer les nombreux enregistrements que Rampal a réalisés au cours du temps pour cette firme et dont elle publie aujourd’hui le deuxième volume, plus de cent œuvres enregistrées entre 1963 et 19691 : Concertos et Sonates en trio de Jean-Sébastien Bach et de Carl Philipp Emanuel Bach ; Concertos de Vivaldi, Telemann, Haendel, Hoffmeister, Leclair, Galuppi, Corrette, Tartini, Platti, Devienne, Bodin de Boismortier, Holzbauer, Stamitz ; Sonates et Sonate en trio de Haendel et Purcell ; un Concert royal de Couperin (le quatrième) ; Quintettes de Johann Christian Bach. Concertos de Mozart, pièces de Schumann, Schubert, Reinecke.
Il y a aussi, pour notre plus grand plaisir, des œuvres du XXe siècle : Debussy (Syrinx), Fauré, Bartok, Prokofiev (la superbe Sonate en ré majeur), sans oublier ces compositeurs délicieux et subtils qui émergent de la chape de plomb dont les avaient recouverts les ayatollahs de la musique dodécaphonique, avec des œuvres bien connues comme la jolie Sonate de Poulenc et d’autres injustement oubliées d’Henry Barraud, Jacques Ibert, André Jolivet, Jean Rivier, Jean-Michel Damase, Paul Arma.
Jean-Pierre Rampal est servi par des partenaires-complices exceptionnels, parmi lesquels Robert Veyron- Lacroix au piano et au clavecin et Lily Laskine à la harpe dans le Concerto pour flûte et harpe de Mozart, dont l’enregistrement légendaire a fait le tour du monde.
Au-delà de la quinzaine d’œuvres familières, il y a de multiples découvertes et pas seulement de compositeurs oubliés : ainsi, les dix Sonates de Haendel pour flûte et continuo, qui ne le cèdent en rien à celles de Bach.
Beaucoup de grâce mais nulle affèterie dans ces musiques, marquées du sceau de la joie de vivre. Écoutez le mouvement lent du Concerto pour flûte et harpe de Mozart et fermez les yeux : n’est-ce pas là cette « vie simple et tranquille » qu’évoquait Verlaine, tout simplement le bonheur ?
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1. 1 coffret de 20 CD Erato.