Jean Rousseau (42), 1921–2002
Jean nous a quittés début 2002. Sa disparition fait resurgir dans nos mémoires tous ces moments, toutes ces émotions qu’il a vécus et savait faire partager à ses proches. Ses initiales (J. R.) nous rappellent par une coïncidence significative que Jean est en effet un peu jaune et rouge à la fois, comme beaucoup des camarades dont les promotions ont été perturbées par la Seconde Guerre mondiale.
Reçu en 1942 à Polytechnique, il est astreint pendant un an aux Chantiers de Jeunesse qu’il quitte clandestinement, refusant le STO en Allemagne, pour rallier l’Afrique du Nord libérée. Incarcéré en Espagne, il s’évade et rejoint au Maroc les Forces françaises qui le dirigent vers les États-Unis où il est formé comme pilote dans l’US Air Force. Devenu lieutenant d’aviation, il rejoindra la France et les bancs de l’École en 1945.
À sa sortie de l’École, il entre dans le groupe Hutchinson où il devient directeur général adjoint de la branche française. Promis à la direction générale, il tombe gravement malade ; s’ouvre alors une parenthèse de deux ans dans sa vie familiale et professionnelle. Son parcours ultérieur est riche (attaché parlementaire de Daladier, directeur de l’agence d’architecture de Gérard Grandval et simultanément directeur de la Compagnie française d’économistes et de psychosociologues, directeur de l’option bâtiment de l’ENTPE…) ; tous ceux qui l’ont connu savent combien l’écouter raconter son histoire – ou plutôt ses histoires – était fascinant. Sa vie peut s’articuler autour de deux concepts chers à un ingénieur : la conception et la résistance.
Jean est un concepteur dans l’âme : en tant qu’ingénieur, il a durant une vingtaine d’années travaillé à la conception innovante de logements puis devenant architecte naval, dessiné et réalisé des bateaux tout en dirigeant une équipe de recherches sur l’habitat. Cette passion pour la construction s’est ensuite transformée en un goût prononcé pour l’égyptologie retranscrit dans plusieurs ouvrages dont notamment Construire la grande pyramide1. Jean Rousseau adorait trouver une signification mathématique, essentiellement basée sur la décomposition en nombres premiers, aux dimensions des édifices égyptiens. Cet attrait pour les nombres, Jean l’a concrétisé dans un ouvrage posthume écrit avec son ami Laurent Hua sur l’histoire du grand théorème de Fermat2.
Jean Rousseau était actif au sein du groupe X‑Résistance et dans le travail de mémoire prolongeant l’action menée durant la Seconde Guerre mondiale. Selon le mot du général Paul Arnaud (1906) les X devaient » montrer à [leurs] jeunes camarades, par des exemples vécus, multiples et variés que, quelle que soit la situation où se trouvait un Français, spécialement un X, il lui était toujours possible d’accomplir ce devoir [de lutte contre l’ennemi] « 3. Jean a fortement contribué à l’exposition Des polytechniciens dans la Résistance inaugurée en mars 1999 à Palaiseau et qui, depuis, parcourt la France (et se trouve sur le site xresistance.org).
Durant ce même week-end de février 2002 disparaissaient l’architecte » magicien « 4 Jacques Hondelatte et Jean Rousseau, un » concepteur » polytechnicien résistant.
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1. Jean Rousseau, Construire la grande pyramide, L’Harmattan, 2001.
2. Laurent Hua et Jean Rousseau, Fermat a‑t-il démontré son grand théorème ? L’hypothèse Pascal, L’Harmattan, 2002.
3. Allocution du général Arnaud lors d’une réunion du groupe X‑Résistance, avril 1948, Archives de X‑Résistance, versées à celles de l’École polytechnique ; cité par Bernard Lévi in Le choix des X, Fayard, 2000, sous la direction de Marc-Olivier Baruch (75) et Vincent Guigueno (88).
4. Patrice Goulet, exposition Des gratte-ciel dans la tête, cité par Frédéric Edelmann in Le Monde du 7 février 2002.