Jean-Sébastien Bach : Concerto pour violon no 2 Antonio Vivaldi : Les Quatre Saisons Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon op. 61
Ce DVD reprend de façon passionnante trois œuvres qui mettent en scène dans les années 80 Herbert von Karajan à la fin de sa carrière, avec la jeune violoniste qu’il a lancée à l’époque, Anne-Sophie Mutter. Karajan a été un chef emblématique du xxe siècle, inventeur et promoteur d’un star system pour les chefs d’orchestre poussé à l’extrême. Si bien qu’à la fin de sa vie beaucoup se demandaient si la forme n’avait pas pris le pas sur le fond et doutaient que son héritage discographique lui survecût longtemps. On connaît désormais la réponse. Un grand nombre de ses interprétations resteront des références pour longtemps, on reviendra souvent à ses symphonies de Beethoven, de Brahms, de Tchaïkovski, et ses enregistrements des opéras de Strauss ou de Puccini ne seront probablement jamais dépassés. On peut compter une centaine de disques qui peuvent, qui doivent, figurer dans la discothèque de l’honnête homme.
Anne-Sophie Mutter a été découverte à l’âge de treize ans par Karajan, et le chef autrichien en a fait sa partenaire privilégiée jusqu’à la fin de sa vie, jouant et enregistrant tous les grands concertos du répertoire : Beethoven (le plus souvent), Brahms, Vivaldi, Mendelssohn, Bruch, Tchaïkovski.
Le Concerto de Beethoven est à juste titre un pilier de la discographie des deux artistes ; le film nous montre une grande interprétation, on y reviendra, mais la plus grande surprise de ce disque vient des pièces baroques de Bach et Vivaldi.
En effet, avec un effectif réduit du Philharmonique de Berlin, Karajan dirige en public Bach et Vivaldi depuis le clavecin avec un style que plus personne n’assume aujourd’hui, et pourtant un style absolument pas déplacé, avec des nuances et contrastes, et un son comme toujours très travaillé, générant une émotion et un plaisir sonore formidables. Le violon est joué intensément, mais c’est pourtant vif et brillant comme ce que l’on aime chez les ensembles récents plus « historiquement informés ». Dans le Concerto de Bach, Mutter mêle au début son violon à celui de l’orchestre et s’en dégage crescendo, pour ensuite crever l’écran pendant tout le concerto. Le disque laser initial couplait ce deuxième concerto de Bach avec un Magnificat de Bach qui a plus mal vieilli (trompettes modernes, chœur lourd…) malgré de bons solistes, le hautbois lumineux et des moments magnifiques.
Karajan dirige Bach depuis longtemps, les amateurs chérissent l’enregistrement historique de la Messe en si où nous l’entendons à Vienne diriger en duo Elisabeth Schwarzkopf et Kathleen Ferrier. Dans les années 70, Karajan avait déjà enregistré deux Suites de Bach (et des Concertos brandebourgeois), dans un style qui serait bien décrié aujourd’hui. Mais, offertes par mon père il y a près de cinquante ans, ces suites ont bercé ma jeunesse de lycéen et j’y écoute toujours Karajan avec la même admiration. La vidéo existe pour la Seconde Suite (disponible sur le site du Philharmonique de Berlin digitalconcerthall.com) et je découvre que Karajan y tient déjà la partie de clavecin.
Les Quatre Saisons de Vivaldi sont dans la même veine (1987). Karajan au clavecin, Mutter en jeune star sans complexe : voici une interprétation qui a son âge, mais c’est réalisé remarquablement. L’inventivité de Vivaldi y est constamment mise en valeur. Quand on pense que Stravinski avait osé ironiser que Vivaldi avait composé cinq cents fois le même concerto !
Le Concerto pour violon de Beethoven (1806) a été filmé en 1984, l’enregistrement en disque compact était déjà publié depuis une demi-décennie. Là, la réalisation pour la télévision est beaucoup plus sophistiquée, avec des plans très travaillés (comme dans le film célèbre de ses symphonies de Tchaïkovski, par exemple) : on voit les pupitres de cordes ou de bois dans leur ensemble, de beaux plans rapprochés sur la soliste et de nombreux plans artistiques permettant de voir en perspective le chef et la violoniste.
On peut être impressionné par les cadences au premier et au troisième mouvements, où la jeune Mutter joue seule devant plus de cent musiciens les plus exigeants qui soient. Elle est également magistrale dans ses phrases émouvantes du larghetto, avec assurance et concentration, avec délicatesse et fermeté à la fois. À son âge tenir sans le moindre frémissement la place de soliste devant le meilleur orchestre et le plus grand chef du monde en dit beaucoup sur le caractère de cette artiste d’exception. Le film permet d’admirer les mouvements du bras droit. Elle a un jeu d’archet tout en finesse, qui jamais ne laisse paraître le moindre effort, alors que ses aigus sont triomphants. Magique. Quelle violoniste elle était déjà !
Anne-Sophie Mutter, violon
Orchestre philharmonique de Berlin,
Herbert von Karajan
Un Blu-ray CMajor